Enfants nés de GPA à l’étranger : réparons les injustices en pensant d’abord à l’enfant<!-- --> | Atlantico.fr
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La guerre en Ukraine a rouvert le débat sur la GPA.
La guerre en Ukraine a rouvert le débat sur la GPA.
©CHRISTOPHE ARCHAMBAULT AFP

Tribune

La guerre en Ukraine, en révélant la mécanique sous-jacente de la GPA en sa part la plus sombre, a rouvert le débat sur ce dossier brûlant. Une tribune de Joëlle Garriaud-Maylam, sénatrice des Français établis hors de France.

Joëlle Garriaud-Maylam

Joëlle Garriaud-Maylam

Sénatrice des Français établis hors de France, Joëlle Garriaud-Maylam est également secrétaire de la Commission des Affaires étrangères et de la Défense et vice-présidente de la Délégation aux Droits des Femmes et à l'égalité des chances entre femmes et hommes.

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La guerre en Ukraine, en révélant la mécanique sous-jacente de la GPA en sa part la plus sombre, a rouvert le débat sur ce dossier brûlant et mis l’accent non seulement sur la vulnérabilité des mères porteuses et des enfants qui naissent dans des situations parfois de grande précarité mais aussi sur la complexité d’une « pratique » que la norme ne vient pas encadrer et sécuriser de manière comparable selon les pays.

L’Ukraine est l’un des rares pays à autoriser des couples étrangers à recourir à la GPA mais dans la situation actuelle, les mères porteuses se trouvent face au tragique dilemme d’abandonner les bébés en raison de la quasi impossibilité pour les parents demandeurs de venir les chercher ou de les prendre en charge dans une situation de précarité accentuée par la guerre. Contraintes d’accoucher sur place, car elles ne peuvent théoriquement pas le faire dans les pays qui prohibent la GPA, elles se retrouvent en grande détresse. 

De nombreux pays autorisent et encadrent aussi cette pratique tels le Canada (mais sans contrepartie marchande), l’Inde (avec des conditions d’hétérosexualité, de mariage et de 5 ans d’infertilité), le Brésil (sous condition de gratuité au sein d’une même famille), Israël (hétérosexualité, absence de lien de parenté et déjà au moins un enfant dans la famille) ou certains Etats américains tels la Floride ou la Californie ; d’autres ferment les yeux, la laissant prospérer dans un inquiétant vide juridique.

Sans harmonisation du droit ou décisions communes à tous les Etats pour règlementer ce « tourisme procréatif », les enfants, mais aussi les mères porteuses et les parents d’intention se retrouvent parfois dans des situations inextricables.

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Le législateur français a lui, accentué les difficultés et les situations de précarité engendrées par un accès complexe et aléatoire à la citoyenneté des enfants nés de GPA à l’étranger. La loi bioéthique du 2 aout 2021, est en effet revenue sur la jurisprudence de la Cour de cassation et a plongé à nouveau les enfants nés de GPA à l’étranger dans une grande insécurité juridique, au détriment de leurs droits fondamentaux mais aussi de leur construction identitaire. 

En complétant l’article 47 du Code civil pour préciser que la réalité des faits déclarés dans l’acte d’état civil étranger « est appréciée au regard de la loi française et non de la loi étrangère », le législateur a à nouveau bloqué la reconnaissance de la filiation des enfants nés de GPA, entraînant une discrimination supplémentaire pour eux et pour leurs parents qui doivent faire face à des procédures complexes, longues et coûteuses. 

Deux arrêts rendus par la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) avaient pourtant condamné la France en juin 2014 , dans deux affaires de refus de retranscription d’actes d’état civil pour des enfants nés par GPA aux États-Unis, rappelant alors la primauté de l’intérêt supérieur de l’enfant sur l’intérêt général et soulignant que si la France avait le droit d’interdire la GPA sur son territoire, elle ne pouvait porter atteinte à l’identité des enfants nés de mères porteuses à l’étranger. Car refuser de valider leur identité résultant de l’acte d’état civil étranger revient à leur refuser une protection pleine et entière. 

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Les magistrats avaient depuis ces arrêts su mettre en place une jurisprudence adaptée à la situation des enfants dépourvus d’identité de l’existence desquels ils avaient été informés, dans le respect de notre Constitution (article 55), de notre ordre public, de nos engagements internationaux et de la jurisprudence de la CEDH. Ce cadre ne remettait pas en cause l’interdiction de GPA en France mais faisait en sorte que l’enfant ne soit pas impacté dans sa vie par la manière dont il avait été conçu et soit, avant tout, protégé juridiquement. Les juridictions s’étaient déployées au fil des années et des cas rencontrés, jusqu’à trouver une juste solution par l’arrêt Mennesson du 4 octobre 2019. Cet arrêt avait souligné que demander aux parents d'intention d'avoir recours à l'adoption pour établir un lien de filiation avec un enfant né de GPA à l'étranger pouvait poser un problème au regard du respect du droit à la vie privée. La Cour avait estimé qu’une « gestation par autrui (GPA) réalisée à l’étranger ne pouvait faire, à elle seule, obstacle à la reconnaissance en France d’un lien de filiation avec la mère d’intention », reconnaissant enfin la filiation de deux jumelles nées vingt ans plus tôt d’une GPA dans le comté de San Diego. 

 La formulation de la loi de 2021 a remis en cause cet équilibre trouvé par la jurisprudence de la Cour de cassation, précarisant à nouveau les familles et particulièrement les enfants dont la transcription de l’acte d’état civil est redevenue beaucoup plus restrictive. 

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Après le parcours du combattant de l’infertilité, les problèmes ne s’arrêteront décidément pas pour les couples : seul le parent biologique deviendra officiellement parent ; pour le second, parent d’intention, il faudra entamer une procédure d’adoption dont l’issue reste aléatoire.

Et l’enfant ? Quelle sera son histoire ? Et qu’adviendrait-il de lui si le premier parent venait à disparaître prématurément ? 

Seule une transcription complète et automatique de l’acte de naissance permettrait de sécuriser un enfant et de lui permettre de bénéficier de tous ses droits. 

Il ne s’agit pas d’ouvrir de nouveau le débat sur la liberté corporelle, ni sur l’interdiction ou l’autorisation de la GPA. Elle existe bel et bien dans certains pays. Ce qui doit nous préoccuper plus que jamais, c’est l’enfant ; l’enfant qui est né d’un corps et qui s’en « détache » (N.Anciaux, chron droit des personnes : JCP G 2020 n°1025). L’enfant, né d’une GPA à l’étranger qui revient sur notre sol doit pouvoir bénéficier d’une transcription sur les registres français des actes dressés dans son pays de conception et de naissance, sans passer par une procédure d’adoption pour le parent d’intention, ce qui est un retour en arrière inacceptable. L’enfant semble avoir été le grand oublié de la loi de 2021. 

Le premier marqueur de l’identité pour tout être humain est l’acte de naissance qui indique la filiation et l’identification du sujet de droit. Or l’absence de transcription automatique et a fortiori aujourd’hui, la nécessité d’une adoption par le parent d’intention viennent d’emblée impacter radicalement l’identité et la capacité d’intégration de l’enfant venu d’ailleurs.

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Désormais la Cour de cassation se focalise sur les conditions d‘application de l’article 47 du code civil et sur les règles de l’adoption plénière, la solution empirique que permettait la jurisprudence ayant été écartée. 

Si des parents français, ont agi en infraction avec la loi française parce que leur désir ou besoin d’enfant était trop impérieux, devons-nous vraiment punir l’enfant du choix de ses parents de lui donner naissance par GPA dans des pays où elle est autorisée ? Ne faudrait-il pas toujours rechercher l’intérêt supérieur de l’enfant, celui d’avoir les mêmes droits et libertés que tout autre enfant ? En premier lieu celui d’avoir pour mère, non celle qui accouché de lui mais sa mère d’intention ou celle qui a lui a donné ses ovocytes, et pour père celui qui l’a engendré. Pour cela son identité ne doit plus être soumise à l’incertitude juridique. 

Interdire la GPA et encadrer strictement son utilisation et donc sa transcription pour ne pas encourager les dérives, est une chose ; ne pas agir pour accompagner des vies humaines, déjà souvent marquées par la douleur, et préserver l’intérêt supérieur de l’enfant, en est une autre. 

Si les mères « gestationnaires » ont été poussées par un sentiment d’empathie à l’égard de ceux qui ne connaissent pas le bonheur d’être parents, rien ne justifie de multiplier les obstacles à la reconnaissance du lien de filiation entre l’enfant et son parent d’intention. La loi ne peut à la fois admettre que ce lien existe et ne pas considérer comme primordial l’intérêt supérieur de l’enfant. C’est le sens de l’article 3 de la Convention Internationale des Droits de l’enfant.

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L’adoption intraconjugale vient priver les enfants nés de GPA dans des pays étrangers où elle est légale et encadrée, de la protection juridique appropriée, les punissant doublement dans certaines situations (veuvage, divorce, séparation, succession…). Bien évidemment, il faut empêcher les excès - comme par exemple la naissance d’un enfant de parents trop âgés et surveiller l’application d’une hypothétique règlementation introduisant une plus grande clémence. Mais à l’heure où nous savons combien notre pays sera pénalisé, comme d’autres pays occidentaux, par un déficit démographique croissant, devons-nous réellement continuer à adopter une attitude beaucoup plus rigoriste que certains de nos voisins européens qui l’encadrent – comme le font par exemple la Roumanie, l’Irlande, la Grèce ou le Portugal et la Grande-Bretagne ou la tolèrent comme les Pays-Bas, la Slovaquie, Pologne et la Belgique ? 

Cette discrimination engendrée par la loi de 2021 semble une erreur, tant au regard des évolutions du monde contemporain, que de l’intérêt supérieur des enfants nés ou à naître. Elle n’empêchera pas les parents d’intention d’y recourir au prix de stratégies couteuses et parfois aléatoires pour établir la filiation. Comme l’interdiction de l’avortement en France, cette discrimination pénalise les couples infertiles n’ayant pas les moyens d’aller à l’étranger assouvir leur désir d’enfant.

Le principe d’égalité cher à notre République est ainsi bafoué. La loi de 2021 doit être abolie – ou réécrite. Je déposerai pour ma part une proposition de loi visant à ce que – au moins pour les enfants déjà nés, la transcription de leur naissance puisse être faite en toute légalité, au nom, une fois encore, de l’intérêt supérieur de l’enfant.

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