Energie : Marie Toussaint entre inexactitudes scientifiques et illusions funestes<!-- --> | Atlantico.fr
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Marie Toussaint en meeting, le 2 juin 2024.
Marie Toussaint en meeting, le 2 juin 2024.
©Zakaria ABDELKAFI / AFP

Polémique

Marie Toussaint, tête de liste EELV, souhaite forcer les entreprises comme TotalEnergies à ne pas investir dans le pétrole, le charbon et le gaz.

Alexandre Baumann

Alexandre Baumann

Alexandre Baumann est auteur de sciences sociales et sur de nombreux autres sujets (Antéconcept, Agribashing, Danger des agrégats, Cancer militant).

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Atlantico : Marie Toussaint, tête de liste EELV, souhaite forcer les entreprises comme TotalEnergies à ne pas investir dans le pétrole, le charbon et le gaz. Dans quelle mesure peut-on penser que de telles propositions représentent un danger économique pour le pays ?

Alexandre Baumann : Interdire les investissements dans les énergies fossiles en Europe pousserait simplement ces investissements hors d'Europe, notamment toute la recherche autour de la captation carbone et de l'amélioration des processus de production. On croit qu'on a tout découvert, qu'on sait tout faire parfaitement, mais c'est en fait une vue de l'esprit. Ainsi, la production de gaz a des fuites qui ont un impact environnemental titanesque : 120 millions de tonnes d’émissions de méthane en 2023 selon l'AIE. Cela représente 3 milliards de tonnes d'équivalent CO2, soit près de 5% des émissions globales (59GT en 2019 selon le GIEC). Il y a besoin de meilleures technologies pour l'éviter.

Néanmoins le pire danger est la démarche que Marie Toussaint propose d'adopter : créer un fonds européen et acheter une participation majoritaire dans ces entreprises. Les entreprises privées exploitant du pétrole, comme Total, Chevron ou Exxon, sont énormes (159 Md$ pour Total, 515Md$ pour Exxon, 290.7Md$ pour Chevron) et il faut savoir que pour en acheter la moitié (à supposer que ce soit possible, je ne suis pas sûr qu'une OPA soit quelque chose d'aussi facile), il faut garder à l'esprit que, plus une action est demandée, plus elle coûte chère. Vous ne dépenserez, donc, pas 79.5Md pour acheter la moitié de Total, mais beaucoup, BEAUCOUP plus. A moins d'acheter petit à petit, mais je n'imagine pas le temps que ça prendrait ...

Et pour quoi ? L'Etat actionnaire planterait l'entreprise et un concurrent prendrait la place. 

D'autant plus que ces compagnies sont loin de représenter l'essentiel de la production de pétrole. Les plus grosses compagnies pétrolières sont possédées par des Etats : Saudi Arabian Oil Co (Arabie Saoudite), Rosneft (Russie), China Petroleum & Chemical Corp. (Chine), Kuwait Petroleum Corporation (Koweït), etc. 

En un mot, cela consisterait simplement à brûler une quantité astronomique d'argent. 

C'est l'occasion de rappeler un élément important de l'économie de la pseudo-écologie (et du bullshit en général) : plus on fait payer quelqu'un, plus il aura du mal à accepter s'être fait rouler. Vous faire payer, vous faire faire des erreurs, causer du dommage fait partie de leur stratégie.

La tête de liste EELV revendique une prétention scientifique sur laquelle s'appuie son programme. Qu’en est-il en vérité ?

La réponse se trouve p.646 du rapport du GIEC : "Fossil fuels could play a role in climate change mitigation if strategically deployed with CCS (high confidence).", soit "Les combustibles fossiles pourraient jouer un rôle dans la lutte contre le changement climatique s'il est déployé stratégiquement avec de la captation carbone (confiance élevée)." Donc non.

Outre les problèmes évidents que l’application de telles mesures engendreraient pour nos entreprises, pourquoi peut-on penser qu’elles seraient contre-productives sur le plan écologique ?

Les impacts seraient négatifs à plusieurs niveaux pour l'écologie :

· D'abord, cela empêcherait l'amélioration des processus. Comme je l'ai dit plus haut, ces industries produisent des quantités phénoménales de méthane, notamment à cause des fuites. Améliorer la technologie permettrait de les limiter.

· Ensuite, leur brillante idée d'acheter les pétroliers aboutirait à une véritable ruée vers l'or chaotique : il s'agirait de prendre le plus vite possible la place des anciens pétroliers pour être rachetés par ce Fond souverain. Et même à le faire au mépris des règles environnementales (puisqu'il deviendrait encore plus urgent de les racheter).

Sans compter que cela n'arrêtera pas la production d'énergie fossile, qui est très majoritairement dans les mains d'entreprises d'Etat. 

Quelle ligne adopter dans le respect de la science, de l’écologie et de l’économie pour préserver notre écosystème global français (sur le plan économique, entrepreneurial, écologique) ?

Il faut comprendre que l'écologie politique n'a aujourd'hui rien d'écologique et tout de politique. Les Verts et l'extrême gauche sont simplement dédiés à la conquête du pouvoir, quel qu'en soit le prix. Ils ont montré leur capacité à débiter les pires mensonges et à manipuler sans vergogne la population pour servir leurs intérêts. Leur démarche anticapitaliste n'est, comme toutes les démarches anticapitalistes, qu'une stratégie de manipulation jouant sur l'envie, la frustration et le cynisme. 

Le progrès environnemental ne pourra se faire qu'en respectant ce qui a été la condition de son émergence : l'économie de marché. En effet, on oublie souvent que c'est dans les pays développés que sont nées les grandes réglementations environnementales et que les pays autocratiques ont tous un impact désastreux sur l'environnement, comme le Vénézuela et ses puits de pétrole qui fuient. Nous avions d'ailleurs développé cette question dans un précédent article Atlantico, démontrant que le régime communiste était par définition anti-écologique (ce qu'il a d'ailleurs prouvé à maintes reprises, notamment à Tchernobyl ou en asséchant la mer d'Aral).

Il faut avoir une stratégie rationnelle, reposant sur une compréhension poussée du fonctionnement de l'économie. Le livre "Climat : Comment éviter un désastre" de Bill Gates est à ce titre extrêmement intéressant pour les grandes orientations. Mieux, il faut pouvoir contextualiser en fonction du lieu (tout ne marche pas partout) et du moment (tout ne marche pas tout le temps).

Par exemple, le premier objectif écologique pour l'Europe devrait être de décarboner le système électrique, notamment en Allemagne et en Pologne. 

Le nucléaire est une énergie sûre, prévisible et dont les perspectives d'innovation sont extraordinaires. Je me répète, mais les perspectives ouvertes par les petits réacteurs modulaires me semblent incroyables, permettant la génération intégrée à des sites industriels et facilitant l'utilisation de la chaleur (ce qui multiplie le rendement).

Mieux, elle garantit l'indépendance énergétique, le carburant se stockant sur le long terme, étant disponible chez de nombreux fournisseurs alliés (Canada notamment) et pouvant même être réutilisé dans les réacteurs de 4e génération à neutrons rapides, ce qu'était Superphénix et qui sont développés dans le monde entier (ex: Naarea et Newcleo en France). Avec ces réacteurs, nous pourrions utiliser le combustible usagé pendant une longue durée (milliers d'années ?).Elle suppose, en outre, une main d'œuvre locale hautement qualifiée.

Néanmoins, cette main d'œuvre est aussi une limite : elle est nécessaire et met du temps à se développer.

De plus, la construction nucléaire en Europe a été l'objet d'un lobbying intensif des antinucléaires qui a non seulement fait perdre de la compétence, en bloquant les projets, mais les ralentit en influençant les normes (rappelons que des réacteurs coréens et Japonais ont pu être construits en 5 ans, comme le HANBIT-5, dont la construction a commencé le  29/06/97 et a été mis en service en mai 2002).

Développer les énergies renouvelables dans les pays avec beaucoup d'énergies fossiles semble un objectif important à court terme. Une fois un certain pourcentage dépassé, il faut, en l'absence de contextes spécifiques comme en Norvège (hydroélectricité) ou en Islande (Géothermie), passer au nucléaire.

Vous voyez, ce sont beaucoup d'enjeux et de contextes.

Néanmoins, même dire tout cela, c'est au final bien peu de choses : nous avons besoin d'un débat public approfondi sur ces questions éminemment techniques. Comment coordonner la construction de l'offre avec le développement de la demande ? Est-ce qu'il sera nécessaire que le prix de l'électricité diminue pour attirer les industries consommatrices, ou bien les deux pourront être simultanés ? Dans quelle mesure ? Avec quelle chronologie précisément ? Quid du développement du chauffage électrique ? De la voiture électrique ? Quid de la formation ? Quel lieu ? Quel moment ? Etc.

Malheureusement, aujourd'hui le débat est accaparé par les pseudo-écologistes, qui en font une coquille vide, un coffre d'où ils extraient de la valeur, ni plus ni moins. 

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