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Énergie : le réalisme revient aux États-Unis. Pas en Europe
©NICHOLAS KAMM / AFP

Opposition irrationnelle

L’humiliation en matière d’énergie pour Joe Biden est complète. Il avait promis qu’il allait éliminer les énergies fossiles pour que les énergies renouvelables sauvent la planète. Son tsar du climat, John Kerry, à peine la guerre en Ukraine commencée, continuait à parler de guerre contre le changement climatique. Entrainés par le wokisme et l’écologisme, les dirigeants de Washington se sont laissés dériver vers des extravagances surprenantes.

Samuel Furfari

Samuel Furfari

Samuel Furfari est professeur en géopolitique de l’énergie depuis 20 ans, docteur en Sciences appliquées (ULB), ingénieur polytechnicien (ULB). Il a été durant trente-six ans haut fonctionnaire à la Direction générale de l'énergie de la Commission européenne. Auteur de 18 livres.

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En mars 2014, je publiais un livre intitulé « Vive les énergies fossiles » et sous-titré « la contre-révolution énergétique » (éditions Texquis). J’expliquais que l’on sortait enfin de la quarantaine dans laquelle nous avait entrainés la croyance aveugle dans des modélisations qui prévoyaient la fin du pétrole. Entre 1973 et 2013, on aura vécu 40 ans avec la conviction qu’il n’y avait pas assez d’énergies fossiles. On nous faisait croire aussi depuis la conférence de Rio de juin 1992 que « nous allons droit dans le mur », slogan idiot que l’on entend répéter comme le rosaire, lors des marches pour le climat. A partir d’octobre 2014, le prix du pétrole WTI s’effondrait  : alors qu’il avait atteint un sommet de 104,29 $ le 13 juillet 2014, il chutait à 45,93 $ le 22 janvier 2015, en plein hiver. La raison en était simple : le monde prenait conscience que le pétrole et le gaz de roche-mère (erronément appelé ‘de schiste’) étaient abondants, bon marché et donnaient l’indépendance énergétique aux États-Unis. Cela se passa durant la présidence de Barack Obama, c’est-à-dire la vice-présidence de Joe Biden. Ce changement radical ne leur était pas dû, mais bien à la détermination des ingénieurs et géologues pétroliers américains qui étaient convaincus depuis les années 1970 que grâce à la technologie cette ressource deviendrait une réserve stratégique.

Dans l’UE, à la même vitesse que la chute des prix du pétrole, l’opposition au pétrole et au gaz a bloqué le développement de cette ressource. Pour avoir travaillé sur ce dossier, j’avais vite compris qu’une telle opposition irrationnelle, féroce et rapide des écologistes de tous les États membres ne pouvait avoir été orchestrée que par des intérêts économiques. J’ai encore en tête de manière bien visible les nombreuses conférences au cours desquelles des Russes expliquaient tout le mal que la population européenne devait penser du pétrole et gaz de roche-mère. Écologistes et Russes parvinrent à leur fin, les premiers à ne faire parler l’UE que d’énergies renouvelables, les seconds à ne pas diversifier nos approvisionnements en gaz. Avec l’Allemagne, mon ancien employeur — la Commission européenne — a sombré dans l’irrationalité, avec pour point culminant le Pacte vert d’Ursula von der Leyen/Frans Timmermans.

Tout renouvelable, zéro carbone, hydrogène, et cela sans énergie nucléaire qui est la principale source d’énergie décarbonée dans l’UE. Demain on rase gratis. Ceux qui comme moi ont osé en appeler à la rationalité ont été bannis des médias bien-pensants et même de l’enseignement universitaire.

A Washington, la crise énergétique créée par les activistes écologiques ridiculise Joe Biden. Il a été jusqu’à demander en août 2021 à l’OPEP+ (donc aussi la Russie) de pomper plus de pétrole pour que les Américains n’aient pas à payer plus cher leur carburant. Paradoxe puisque le pays regorge de pétrole. Alors que le Venezuela — première réserve du monde — est sous embargo, afin de résoudre le problème qu’il a lui-même créé, Joe Biden a envoyé ce 5 mars des émissaires à Caracas pour négocier avec le président Nicolás Maduro. L’administration Biden envisage de lever les sanctions américaines sur les importations de pétrole vénézuélien.

Déjà malmené pour son incapacité à gérer le pays, une défaite de son parti est annoncée lors des élections de mi-mandat en novembre 2022 pour le renouvellement de l’ensemble du congrès et d’un tiers des sénateurs. Il s’est trompé en disant qu’il allait éliminer les énergies fossiles en Amérique ; et lourdement ! Car le pétrole coule littéralement dans les veines de l’économie américaine depuis le 27 août 1859. Il a apporté la richesse, la prospérité, la qualité de vie du pays et — paradoxe qui n’est qu’apparent — il a conduit à vivre dans un monde moins pollué (voir mes livres pour la démonstration). L’abandonner comme il l’avait promis durant sa campagne a contribué largement à cette crise. Vladimir Poutine a pu déclencher sa guerre, voulue pour d’autres raisons géopolitiques, parce que Biden et Ursula von der Leyen — alias Angela Merkel — ont fait croire à leurs électeurs que nous nous passerions des combustibles fossiles, des illusions que le président russe sait impossibles et qu’il dispose donc d’un atout.

Washington et Wall Street ont exercé une pression sur les producteurs d’énergie américains. Les banques ont réduit leurs crédits aux entreprises des hydrocarbures, de sorte que le flux continu des financements indispensables pour alimenter le secteur économique s’est tari. Par exemple, Goldman Sachs a refusé toute opération de financement qui soutient directement une nouvelle exploration ou un nouveau développement pétroliers en amont dans l’Arctique. Les écologistes et John Kerry ont applaudi. Le marché a donc intégré une prochaine pénurie (artificielle, les réserves étant abondantes) et les prix sont repartis à la hausse. Le réveil est brutal. Le Wall Street Journal rapporte que des représentants de l’État de l’Alaska ont rencontré des banques d’investissement la semaine dernière à New York. Ils les ont exhortées à modifier les politiques qui les empêchent de financer des projets pétroliers et gaziers au nord du cercle polaire. Mike Dunleavy, le gouverneur de l’Alaska, a adopté une ligne dure sur le sujet. Il annonce une législation qui obligera l’État à mettre fin à ses relations commerciales avec les entreprises qui refusent d’investir dans le forage pétrolier en Arctique. 

L’administration Biden a proposé la candidature de Sarah Bloom Raskin pour le Conseil des gouverneurs de la Réserve fédérale. Mais le sénateur Joe Manchin — pourtant Démocrate — s’y est opposé : il estime en effet qu’elle accorde plus d’attention aux risques du changement climatique qu’à « l’importance cruciale de financer une politique énergétique globale pour répondre aux besoins énergétiques critiques de notre nation ». Manchin ayant fait basculer la majorité en faveur des Républicains, madame Raskin a retiré sa candidature.

Après avoir publié « Vive les énergies fossiles », des collègues de la Commission ont cessé de me saluer. Et pourtant la contre-révolution énergétique était en cours ; elle l’est toujours. Les ‘élites’ de Bruxelles/Strasbourg restent engluées dans leurs rêveries vertes et renforcent leur politique ridicule en faveur de l’utopie hydrogène. Le simple fait que dans sa stratégie REPowerEU visant à se passer du gaz russe, la Commission européenne propose de produire plus d'hydrogène démontre le déni dans lequel s'enfonce cette institution un temps prestigieuse. L'hydrogène n'existe pas, il doit être produit à partir d'une énergie. Comment peut-on prétendre se passer du gaz russe en utilisant une autre énergie que nous n'avons pas ?

L‘accord politique du 25 mars entre Joe Biden et l’UE montre combien ces dirigeants ont été imbus d’écologisme primaire. Il tentent de camoufler leurs errements verts. 50 milliards de m³ de  gaz de schiste détesté par les dirigeants européens devrait venir des États-Unis, alors que Biden et ses amis écologistes ont tout fait pour arrêter sa production ? Il veut autoriser ses ports d’exporter, mais avec quels méthaniers ? Pense-t-il en être aussi le propriétaire ? Les 541 méthaniers qui naviguent actuellement vont-ils obéir aux injonctions de Biden ? Les pays producteurs de GNL ne vont-ils pas respecter leurs  contrats pour faire plaisir à Ursula von der Leyen ? La Chine, l’Inde, Taiwan, la Corée du Sud et le Japon vont-ils mettre en danger leurs approvisionnements gaziers pour faire plaisir à Biden et Charles Michel ? La fable de la cigale et la fourmis s’appliquent parfaitement à ces géostratèges verts.

Le réveil de Ursula von der Leyen/Frans Timmermans est plus douloureux que celui de Joe Biden, car les États-Unis possèdent tout ce qu’il faut pour assurer leur sécurité d’approvisionnement énergétique, l’UE pas. Pourtant, dans son Livre vert sur la sécurité d’approvisionnement énergétique, la Commission européenne avait vu juste : elle avait développé une stratégie de diversifications des énergies primaires, des pays d’importation et des routes et infrastructures d’importation. Mais c’était en octobre 2000, avant que, sous l’influence allemande, l’écologisme ne prenne le pouvoir à Bruxelles/Strasbourg. C’est dommage, car depuis 1951 l’UE était pourtant très bien partie en matière d’énergie. En politique énergétique et géopolitique de l’énergie, les erreurs coûtent très cher et les conséquences sont durables. Les populations de l’UE vont devoir payer le choix idéologique de la transition énergétique de ses dirigeants. Quant à eux, les États-Unis ont un avenir énergétique radieux, s’ils balayent les rêves sordides et mortifères des Démocrates — ce qui paraît en bonne voie.

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