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Encore jeune et presque aveugle : quand la myopie devient une vraie maladie que les chercheurs ne parviennent pas à expliquer
©Reuters

Épidémie mondiale

-8/10 : à ce stade, la myopie est considérée comme une maladie, car elle déforme l'œil et ne peut plus être totalement corrigée par des lunettes de vue. La forte augmentation de "cette myopie maladie" depuis les années 70 inquiète les médecins et donne du fil à retordre aux chercheurs, qui peinent à expliquer son développement. Les facteurs sont en effet à la fois génétiques et environnementaux.

Béatrice  Cochener

Béatrice Cochener

Béatrice Cochener est chef du service d'ophtalmologie du CHU de Brest et présidente de l'Académie française de l'ophtalmologie.

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Atlantico : Depuis les années 70, le nombre de personnes myopes a augmenté de 42% aux Etats-Unis, et 96% des adolescents coréens sont actuellement myopes. Une épidémie mondiale de myopie est-elle en train de se développer ?

Béatrice Cochener : Oui, on assiste bien à une augmentation impressionnante et régulière de la quantité de myopes dans le monde, qui a commencé par toucher l'Asie dans les années 70 puis semble progressivement se répandre à l'ensemble de la planète.

La myopie semble être un problème de santé mineur. En quoi cette épidémie mondiale est-elle préoccupante ?

Les chiffres mélangent tout, mais ce qu'il faut bien comprendre, c'est qu'il y a "myopie" et "myopie". Il faut faire un vrai distinguo entre "la petite myopie" et "la myopie maladie".

On connaît bien et de très longue date "les petites myopies", dues principalement à la fatigue oculaire (d'étudiants en amphithéâtre lisant beaucoup de loin et de près par exemple), aussi appelées "myopies d’accommodation". Ce type de myopie augmente, certes, mais elle n'est pas préoccupante. D'abord parce qu'elle se corrige très bien, et ensuite parce que cette augmentation est aussi due aux exigences de qualité de vision demandées par nos sociétés modernes, pour passer son permis de conduire par exemple ou pour mieux voir lors de travaux qui se font sur écran. Autrefois, la personne vivait avec ce petit handicap sans mettre de lunettes, ce qui n'est plus le cas/possible aujourd'hui.

Ce qui est préoccupant, c'est l'augmentation massive de ce qu'on appelle "les myopies maladies". On estime que "la myopie maladie" a augmenté d'un facteur 10 depuis les années 1970 sur le continent asiatique. "La myopie maladie", c'est une myopie très forte (de règle au delà de -8D) qui atteint la structure même de l'oeil, qui devient "trop long". Pour simplifier, un œil "trop long" fragilise la rétine et va la prédisposer à des complications importantes (décollements, dégénérescence matulaire, etc). On n'a dans ce cas précis plus affaire à un œil fatigué, mais à un œil déformé. C'est donc une myopie que les médecins ne peuvent plus corriger, c'est-à-dire que même avec des lunettes, on ne parvient plus à atteindre le 10/10. C'est un pronostic de complication anatomique et de moindre performance visuelle.

A quels facteurs est due cette épidémie mondiale de myopie ?

Il y a d'abord les facteurs environnementaux. Pour les "petites myopies", c'est principalement comme dit plus haut dû à la fatigue oculaire par effort d'accommodation, c'est-à-dire que nos yeux sont trop sollicités par des lectures, notamment sur écran (portable, téléphone). Pour "les myopies maladies", on pense que le manque d'exposition à la lumière naturelle d'enfants qui ne sortent pas assez dehors est un des facteurs de croissance excessive de l’oeil privé de sa régulation. Cela a notamment été observé dans les pays asiatiques connaissant un fort exode rural, comme la Chine, où des enfants de paysans qui passaient leur temps dehors se sont retrouvés confinés dans des appartements et devenaient en grandissant très, très myopes.

Il y a ensuite les facteurs génétiques, c'est-à-dire que la myopie se transmet à la naissance. Les asiatiques sont génétiquement beaucoup plus prédisposés à la myopie que les autres populations, d'où le chiffre impressionnant des 96% d'adolescents coréens myopes aujourd'hui.

Les chercheurs semblent peiner à comprendre l'augmentation de cette "myopie maladie" qui les inquiète. Pourquoi ?

Concernant la "myopie maladie" qui préoccupe les médecins, la recherche a bien identifié les facteurs génétiques (grâce notamment aux études faites sur les populations asiatiques) et suspecte les facteurs environnementaux.

Simplement, les chercheurs cherchent déterminer lesquels ont le plus d'influence sur les autres. On ne sait pas prouver par exemple si un enfant coréen, prédisposé génétiquement à la myopie, adopté et grandissant dans une ferme américaine à l'air libre, aura la garantie de ne pas être myope ou pas. Actuellement, il y a une enquête génétique en cours sur "la myopie maladie", mais qui n'a pas encore abouti à identifier le ou les gène en cause alors que la génétique de la myopie forte est reconnue.

L'autre axe de recherche, qui a donné lieu à bon nombre de travaux sans que puisse être distinguée une stratégie d’efficacité démontrée, est comment stabiliser la myopie, c'est-à-dire faire en sorte que la croissance exagérée du globe oculaire s’interrompt et par la même que notre niveau de vue arrête de baisser concernant "les myopies maladie". De nombreuses expériences ont été tentées pour ralentir l'allongement de l'oeil, comme par exemple de ne plus mettre de lumière avec les veilleuses dans la chambre des enfants, ou encore d'équiper les enfants en cas de myopie galopante ou encore de recourir à l’orthokératologie (par port de lentilles nocturnes). En revanche la réalisation d’un indentation chirurgicale visant à maintenir mécaniquement la scène affinée n’a pas fait ses preuves et n’est plus pratiquée.

"Les petites myopies" ne relèvent pas de ce champ de la recherche, même si elles intéressent en premier lieu la chirurgie réfractive dont elle représente la principale indication. Les études épidémiologiques souffrent de la considération groupée de toutes les myopies alors que la distinction de "la myopie maladie "des "myopies petites et modérées" devrait permettre de mieux mesurer les incidences d’évolution et de complications.

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