Emmanuel Macron, le grand flou<!-- --> | Atlantico.fr
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Emmanuel Macron face aux journalistes Anne-Claire Coudray et Caroline Roux lors d'une interview diffusée en direct depuis le palais de l'Élysée, le 14 juillet 2022.
Emmanuel Macron face aux journalistes Anne-Claire Coudray et Caroline Roux lors d'une interview diffusée en direct depuis le palais de l'Élysée, le 14 juillet 2022.
©LUDOVIC MARIN / AFP

Fidèle à lui-même

Lors de son interview à TF1 et France 2 à l’occasion de la Fête nationale du 14 Juillet, le président de la République s'est montré évasif, imprécis ou flou. Emmanuel Macron est-il encore maître du jeu ?

Arnaud Benedetti

Arnaud Benedetti

Arnaud Benedetti est Professeur associé à Sorbonne-université et à l’HEIP et rédacteur en chef de la Revue politique et parlementaire. Son dernier ouvrage, "Comment sont morts les politiques ? Le grand malaise du pouvoir", est publié aux éditions du Cerf (4 Novembre 2021).   

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Atlantico : Emmanuel Macron a donné une interview à TF1 et France 2 à l’occasion de la Fête nationale du 14 Juillet. A plusieurs reprises, il s’est montré évasif, et a notamment répété qu’il avait été élu avec plus de voix qu’en 2017 mais sans être capable de préciser sur quel mandat ou programme. Comment expliquer cette forme de flou entretenu par le président de la République ?

Arnaud Benedetti : Pour une raison assez simple : le Président de la République n’est plus pleinement maître du jeu . Le fait qu’il ne cesse d’en revenir à sa réélection constitue une forme d’aveu de faiblesse comme s’il éprouvait le besoin permanent de se réassurer pour se légitimer aux yeux des Français. Son équation parlementaire en fait un président sous contrôle, ainsi en ont voulu au demeurant les électeurs. D’où la difficulté pour lui de s’orienter dans un contexte où il feint de ne pas reconnaître l’extrême fragilité de son assise politique mais où en creux l’incertitude de son agenda programmatique à court terme révèle l’hypothèque dont il est intérieurement conscient mais que par orgueil d’une part , par tactique d’autre part il refuse de reconnaître officiellement. Il faut pour analyser avec un tant soit peu de clarté la configuration croiser ce que l’on sait de la psychologie présidentielle depuis cinq ans, empreinte tout à la fois d’un complexe évident de supériorité, d’une inaptitude à exprimer une erreur et d’une audace fascinée par le précipice avec la cartographie du rapport de forces. Il faut imaginer ce que peut représenter pour un Président ainsi assiégé politiquement cette situation , un mélange d’effroi et par ailleurs une forme de motivation jouissive pour s’extirper de cet étau. Mais la pathologie du moment ne fait pas une politique . A tous les niveaux, nous sommes dans une anomie totale que le commentaire politique au jour le jour ne fait que retracer sans l’expliquer au demeurant. D’où le vague qui émane de la parole présidentielle qui ne peut de facto que caboter …



Le président de la République a également envoyé quelques signaux de son inspiration originale, à savoir une forme de libération des blocages français. Quel pouvait être le but de son discours ? A qui s’adressait-il en priorité ? A-t-il cherché à séduire un certain électorat de droite à nouveau ?

Il communique à défaut de pouvoir agir ,espérant que cette communication lui permette de desserrer ce noeud gordien qu’est devenu un « en même temps » inaudible. La question prosaïque à laquelle il est confronté est assez simple : où aller chercher des réserves parlementaires ? A l’exception des LR, on ne discerne pas où peuvent se trouver des marges de manœuvres. En conséquence il a esquissé des pistes, très pointillistes au demeurant, susceptibles de parler éventuellement à ces derniers. La réalité c’est qu’à ce stade les LR se sont d’abord fait élire sur une ligne d’opposition , que c’est là le mandat qu’ils ont reçu de leurs électeurs, et qu’en outre ils anticipent pour nombre d’entre eux un approfondissement de ces difficultés. Dés lors la dynamique qui en 2017 et durant tout le mandat précédent a permis à Emmanuel Macron de forer profond dans les couches géologiques de la droite est désormais enrayée; quelque part Emmanuel Macron a ramené à lui ou presque tout ce qu’il pouvait ramener. Au contraire, son problème est bien plus, compte tenu de la faiblesse de son assiette parlementaire, de consolider les contreforts de ses alliés du Modem et d’Horizon qui seront immanquablement tentés au fur et à mesure des évolutions socio-politiques de renchérir le coût de leurs soutiens.

Longuement interrogé au sujet de la crise énergétique exacerbée par la guerre en Ukraine, quelle a été la stratégie d’Emmanuel Macron sur cet enjeu prégnant ? 

Il prend conscience que passé l’heure de l’enthousiasme de la résistance ukrainienne et de la solidarité Occidentale, la durée dans laquelle s’installe la guerre et dont on pensait qu’elle était synonyme d’enlisement pour Moscou n’est pas forcément un handicap pour Poutine. Deux éléments doivent être pris en compte à ce stade : l’avancée des troupes Russes , l’impact peu probant à ce stade des sanctions économiques. Les opinions publiques occidentales choquées initialement sont passées du stade de l’indignation et de la sidération à celui de la banalisation , voire du doute. Cette évolution est même encouragée par l’inquiétude sociale et économique que suscite le prolongement de cette guerre : les enjeux de l’inflation et de l’indépendance énergétique ne sont pas sans conséquences sur les représentations collectives de ce conflit. Emmanuel Macron de ce point de vue tout en s’alignant sur la position américaine a néanmoins essayé de maintenir une ligne autonome conforme à la tradition diplomatique française. Pour autant il a lors de l’interview reconnu dans les faits , mezza voce certes, que le mur des contraintes liées à la politique des sanctions tendait inévitablement à se rapprocher. Et le moins que l’on puisse dire c’est qu’à l’épreuve du court terme de l’automne et de l’hiver, les solutions qu’il dessine pour faire face entre autres aux difficultés énergétiques n’apparaîtront pas forcément claires et rassurantes aux yeux de nos compatriotes que l’on appelle à plus de frugalité … Dans d’autre temps et avec un vocabulaire moins alambiqué , on aurait parlé de …rationnement.

Ce discours reflète-il finalement la personne qu’est Emmanuel Macron, un président qui répète avoir « des objectifs » mais qui gouverne sans aucun cap, sans ligne directrice et qui aurait de surcroît perdu son énergie ?

Il ne faut plus regarder ce que nous traversons avec l’œil du quinquennat de 2017. La carte politique n’est plus la même, les institutions sont confrontées à leur heure de vérité - ce dont finalement très peu d’acteurs et d’observateurs politiques semblent conscients. Nous cumulons une guerre aux portes de l’Europe, un basculement potentiel de l’ordre du monde, une dégradation des conditions de fonctionnement de nos économies et un dérèglement social majeur à venir : tout le problème de Macron c’est que les ressorts psycho-historiques qui ont présidé à son ascension sont battus en brèche par la déchéance de cette idée d’une mondialisation forcément libératrice, irénique et source de richesses. La guerre en Ukraine a rappelé que le post-modernisme auquel cotise consciemment ou inconsciemment Emmanuel Macron s’étiole sous es coups du retour de l’histoire . Le cap originel d’Emmanuel Macron s’est dissous dans les brumes de l’idéologie vaincu par la réalité. En-deçà de cette macro-analyse, force est de constater que le principal problème du Président est de savoir s’il a pris conscience de l’ingouvernabilité structurelle dans laquelle nous sommes en train d’entrer s’il ne change pas très vite sa pratique du pouvoir. A l’écouter lors de l’interview du 14 juillet, le doute demeure …

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