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Emmanuel Macron et Pap Ndiaye
Emmanuel Macron et Pap Ndiaye
©Sebastien NOGIER / POOL / AFP

Ils voient de l’extrême-droite partout

En conseil des ministres ce jeudi, le Président de la République apporté son soutien à Pap Ndiaye, après ses propos sur Cnews et Vincent Bolloré : « On soutient la liberté de la presse, et on soutient aussi la liberté d’expression des Français, y compris des ministres sur la ligne éditoriale de la presse. »

Maxime Tandonnet

Maxime Tandonnet

Maxime Tandonnet est essayiste et auteur de nombreux ouvrages historiques, dont Histoire des présidents de la République Perrin 2013, et  André Tardieu, l'Incompris, Perrin 2019. 

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Rafaël Amselem

Rafaël Amselem

Rafaël Amselem, analyste en politique publique diplômé du département de droit public de la Sorbonne. Rafaël Amselem est également chargé d'études chez GenerationLibre.

 

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Pap Ndiaye, le ministre de l'Education, s'en est pris à CNews et Europe 1 qu'il a récemment qualifié de médias "d'extrême droite". Des déclarations qui n'ont pas manqué de le fragiliser, d'autant qu'Elisabeth Borne elle-même a fini par se désolidariser de son ministre... Avant d'être retoquée par le chef de l'Etat.  Comment comprendre ces revirements ? A quel point est-ce problématique ? 

Maxime Tandonnet : Ce pataquès se comprend par l’extrême confusion idéologique qui prévaut dans la sphère présidentielle et gouvernementale. On touche ici au paroxysme du « en même temps ». Le président Macron vient du parti socialiste, probablement de la gauche influencée par Terra Nova qui préconisait l’abandon des références au peuple et à la classe ouvrière pour un alignement sur le multiculturalisme dans un rapport fameux de 2010. Mais pour être élu président de la république en 2017 à la faveur de l’explosion en plein vol de la candidature Fillon, et réélu en 2022, il a opté pour le « de gauche et de droite ». La nomination de M. Pap N’Diaye l’an dernier à la place de M. Blanquer était un coup de communication en faveur de son aile gauche avant les législatives pour séduire une partie de l’électorat mélenchoniste. Cependant, les déclarations de M. pap N’Diaye sur Cnews et Europe 1, qui expriment sa qualité d’homme de gauche, jettent la confusion au sein du pouvoir qui ne sait plus sur quel pied danser. 

Rafaël Amselem : Il s’agit, de fait, de propos problématiques. Sur la forme, d’abord, en cela qu’il s’agit d’une attaque assez gratuite. Bien sûr, on peut tout à fait exprimer un désaccord avec une ligne éditoriale, mais ça n’oblige pas nécessairement à le montrer frontalement. Surtout, et c’est là que c’est plus important parce que l’on touche au fond : un ministre est le représentant du pouvoir politique. Dès lors, il arbitre de facto ce qui constitue, en somme, une ligne acceptable et une ligne inacceptable. A ce titre là, ces déclarations peuvent évidemment être dérangeantes, puisqu’il n’appartient pas au pouvoir de décider quelle parole est légitime et ce pour des considérations d’arbitraires.  Chaque média doit avoir la liberté et l’indépendance qui lui est propre.

Ceci étant dit, c’est un discours qui se doit d’être nuancé : n’oublions pas que tout ministre est aussi un citoyen et qu’il est dès lors tout à fait en droit d’estimer, sur la base d’éléments objectifs, qu’un média a un ligne radicalisée (qu’il s’agisse d’une ligne de droite ou d’une ligne de gauche). On ne peut donc pas dénier la possibilité à Pap N’Diaye de qualifier CNews ou Europe 1 de médias d’extrême-droite s’il estime l’être. D’autant plus que, en démocratie, l’expression d’une opinion très radicale peut dans certains cas s’avérer dangereuse pour les institutions.

Quand il s’agit d’une parole de citoyen, monsieur Pap N’Diaye est dans son droit. Son propos fait peut-être partie d’un discours plus global sur sa supposée inquiétude relative à la montée des idées radicales. En revanche, il va de soi que cela ne doit entraver en rien le droit de chacun de ces médias (indépendamment de leur ligne réelle ou supposée) d’exister.

Si Pap N’Diaye a bien le droit de dire ce qu’il veut, est-il vraiment anodin qu’un ministre de la république attaque des rédactions entières en les accusant d’être mauvaises pour la démocratie ?

Maxime Tandonnet : M. Pap N’Diaye n’est pas un responsable politique expérimenté. Il est un universitaire qui ne semble pas avoir d’expérience de la direction d’une structure. Il a été nommé là au titre d’un coup de communication destiné à mettre en valeur la connotation progressiste du pouvoir macronien à un moment donné dans le but d’équilibrer la parole droitière qu’est censé incarner M. Darmanin. Or, M. Pap N’Diaye n’a sans doute pas pris toute la mesure de ce qu’était un ministre de l’Education nationale, responsable d’une administration d’un million de personnes. Les émeutes ne sont pas en faveur de ses thèses favorables à la société multiculturelle. Dès lors, il s’est laissé emporté en ciblant les parfaits boucs émissaires habituels, les médias, en l’occurrence Cnews et Europe 1 en utilisant les termes habituels de la gauche morale dans sa chasse aux sorcières, la parfaite formule diabolisante : extrême droite. Cela n’a rien d’anodin. L’extrémisme en général, le vrai, commence par la remise en cause de la liberté de presse et de la liberté d’expression. M. Pap N’Diaye a ainsi exprimé, sans vraiment le vouloir, la nuance liberticide du pouvoir actuel. En démocratie libérale, l’Etat n’a pas vocation à contrôler des médias indépendants ni à leur décerner un brevet de légitimité. En pratiquant le chasse aux sorcières envers des médias non étatiques, en les diabolisant sous la formule « extrême droite », un ministre de l’Education nationale sort de son rôle.  

Rafaël Amselem : Cela pose en effet la question d’une possible dérive, d’un danger réel. C’est pourquoi je crois qu’il faut faire très attention avec ce genre d’expressions… particulièrement quand on vise des médias dans leur globalité. On peut naturellement estimer que certains éléments justifient l’inquiétude face à une potentielle radicalisation. Il n’aura échappé à personne que CNews a notamment invité Renaud Camus, une figure du paysage politique ostracisée du débat public pour des raisons qui ont attrait à l’expression extrêmement radicale de ses idées. Quand ces mêmes idées touchent à des valeurs jugées fondamentales… il ne faut pas tomber dans le relativisme. La question est très complexe et les deux parties peuvent fournir des arguments légitimes.

Bien sûr, il est problématique qu’un ministre s’attaque à des rédactions entières. Mais il appartient aussi à un responsable politique, ce qu’est Pap N’Diaye, de s’inquiéter sur l’état de la démocratie et du débat public.

Indépendamment du fond même, cela ne donne-t-il pas le sentiment qu’il n'y aurait qu'Emmanuel Macron a avoir le droit de s’inquiéter de décivilisation ? Que Gérald Darmanin à faire un lien entre immigration et délinquance ? Ou à trouver Marine Le Pen molle dans la lutte contre l’islamisme ? La majorité s'arroge-t-elle le droit de parler de certains sujets qui seraient qualifiés d'extrême droite dès lors qu'ils sont évoqués par d'autres ?

Maxime Tandonnet : Le macronisme est une idéologie étrange qui donne le sentiment de vouloir incarner la pensée unique et disposer d’une sorte de monopole du bien et de la vérité, de la gauche à la droite. Cette tentation s’exprime dans la sublimation ou l’adoration du chef qui atteint un niveau sans précédent dans la Ve République. Il ne supporte pas d’être débordé sur ses ailes, droite ou gauche. La Nupes est devenue à gauche une sorte de mal absolu comme tout ce qui lui dispute la place à droite. Ainsi, quand certains constats ou certaines déclarations s’inscrivent à l’aune d’une allégeance macroniste, ils bénéficient d’une sorte d’imprimatur. Les mêmes propos, exactement les mêmes, venus d’autres horizon, privés de l’estampille « camp du bien » sont voués aux gémonies et renvoyés au mal absolu : extrême droite ou extrême gauche. 

Rafaël Amselem : Nous avons une majorité qui considère incarner le républicanisme et le rationalisme par défaut. Tous ceux qui sortent de l’espace de la macronie, qui expriment des idées radicales ou jugées pénibles, sont repoussés en dehors du champ de l’acceptable ; du champ du pluralisme.

C’est évidemment un problème. Le système de la représentation partisane présuppose que le pluralisme existe, que tous les partis qui se présentent sont légitimes dès lors qu’ils sont autorisés. Le Rassemblement National n’est pas un parti interdit – pas plus que ne l’est la France Insoumise, dont on dit parfois qu’elle sort du champ républicain. La radicalité, ne l’oublions pas, fait partie du débat et tout système de représentation partisane doit lui laisser une place car elle exprime quelque chose de la société. 

De toute façon, rien ne sert de la brider : on obtient systématiquement les résultats inverses de ce qui est initialement visé.

Ceci étant dit, ne perdons pas de vue que le sujet de l’immigration, de même que l’insécurité, l’identité ou la religion sont des sujets qui doivent se débattre politiquement. On ne peut pas dire qu’il y a des sujets interdits : tout se débat et doit se résoudre politiquement, c’est-à-dire par la confrontation institutionnalisée des idées. Il n’empêche, en revanche, que cela ne doit pas nous pousser au relativisme. Toutes les idées ne se valent pas (et cela ne signifie pas qu’il faut légiférer pour interdire des idées) : en tant que militants politiques, nous arbitrons entre ces idées. Cet arbitrage implique de juger et de peser des idées en concurrence. Le débat politique, par nature, nécessite de hiérarchiser les idées.

En ce sens, on peut tout à fait dire qu’il y a des idées qui ne sont pas bonnes, voire pas acceptables. La République en est l’illustration même : elle s’est construite en haine d’un autre système. Je suis plus inquiet quand je relis Raymond Aron, qui rappelle que la démocratie constitutionnelle pluraliste est un régime qui implique nécessairement du compromis, puisqu’il montre combien la prégnance d’idées trop radicales peut entraîner une désagrégation (qu’il appelle corruption) de notre système. 

Or, quand on se déclare soi comme le rationnel et le “républicaniste”, on ne fait que construire de la conflictionnalité. Et pour cause ! On nourrit alors l’idée que “c’est moi où le déluge”. Le camp du déluge n’a donc pas d’autre option que de se radicaliser parce qu’il est inacceptable d’être exclu du champ du débat.

Que disent et que valent ces accusations incessantes en "extrême droite", qui sont évoquées régulièrement ? Et la tendance de l'exécutif à sortir du champ de la République ses adversaires politiques ?

Maxime Tandonnet : Oui les formules extrême droite mais aussi, à un moindre degré, extrême gauche, sont une forme d’excommunication. Nous sommes en post-démocratie, vivons dans un régime de totalitarisme doux. Les opposants ne sont bien entendu pas déportés, emprisonnés ou massacrés comme dans les régimes totalitaires européens du XXe siècle. En revanche, ils sont exclus du champ de l’expression légitime. « L’extrémisme » est assimilé à complotisme, populisme, climato-scepticisme, xénophobie, etc. La parole de l’opposant est ainsi considérée comme illégitime, porteuse de scandale, indigne, monstrueuse. Elle rompt avec le tolérable, l’acceptable. Elle est hors du champ de la raison. Elle doit donc être maudite, rendue inadmissible. Et c’est le « bien macroniste » qui trace la limite de la parole acceptable et non acceptable. Cette vision se retrouve dans le champ politique. Il existe un bien suprême, éclairé, détenteur de la vérité et face à lui ne doivent subsister que des extrémismes. En 2027 aux prochaines élections nationales, ce bien suprême, post national, post frontières, élististe, anti-peuple, doit se retrouver (à travers le successeur de M. Macron, non rééligible) au second tour face au mal absolu. Et l’emporter haut la main. Telle est la logique du système politico-médiatique et tout ce qui tendra à la contester sera inévitablement diabolisé, traité en épouvantail. 



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