Emmanuel Macron a-t-il trahi François Hollande ? <!-- --> | Atlantico.fr
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Emmanuel Macron et François Hollande dans l'enceinte du Palais de l'Elysée.
Emmanuel Macron et François Hollande dans l'enceinte du Palais de l'Elysée.
©Patrick KOVARIK / AFP

Bonnes feuilles

Arthur Berdah publie « Emmanuel Macron, Vérités et légendes » aux éditions Perrin. A un an de l’élection présidentielle, rendez-vous politique majeur sous la Vème République, Arthur Berdah dresse le bilan du mandat d’Emmanuel Macron, et à travers son action, le portrait du premier des Français. Extrait 1/2.

Arthur Berdah

Arthur Berdah

Arthur Berdah est chef de service au Figaro et chroniqueur à France Inter.

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Dans une interview au Point accordée la veille de sa nomination – quand il ne savait pas encore qu’il entrerait au gouvernement vingt-quatre heures plus tard  –, le nouveau ministre de l’Économie suggère d’assouplir la loi sur les trente-cinq heures. « Nous pourrions autoriser les entreprises et les branches, dans le cadre d’accords majoritaires, à déroger aux règles de temps de travail et de rémunération », esquisse-t-il. Certes, il conditionne cette option « à la condition explicite qu’il y ait un accord majoritaire avec les salariés ». Mais peu importe. La gauche épidermique ne laisse que peu de place à la nuance quand on touche à ses totems. La suite se déroule en trois temps  : la droite applaudit ; ses collègues socialistes se désolidarisent ; le locataire de Bercy est sommé de faire marche arrière. La chorégraphie se rode immédiatement. Cela tombe bien, elle se reproduira à de très nombreuses reprises en deux ans. Notamment avec la fameuse « loi Macron ».

Ce texte restera l’acte fondateur de son destin présidentiel, sur le fond comme sur la forme. D’abord parce qu’il pose les bases d’une libéralisation du Code du travail. Ensuite parce qu’il nécessite quelque deux cents heures de débat à l’Assemblée, lors desquelles le ministre fait parler sa force de persuasion. Enfin parce que la loi a finalement été adoptée en force, sans vote, grâce à un 49-3 décidé à Matignon avec l’accord de l’Élysée. Les deux têtes de l’exécutif redoutent la fronde de l’aile gauche, alors ils la contournent. « C’est une forme d’humiliation qui a été un premier point de bascule », se souvient Jean-Marie Girier, qui a été son directeur de campagne en 2017.

Car à compter de ce jour, l’histoire d’Emmanuel Macron est en marche. Le benjamin du gouvernement constate l’impasse dans laquelle se trouve la classe politique. Il la juge enfermée dans ses dogmes. La trouve incapable de dépasser les clivages traditionnels pour dégager un compromis. Il considère que l’opposition s’oppose en attendant son tour et que la majorité se divise pour tenter d’exister. Surtout, il constate que personne n’avance. Alors en même temps qu’il nourrit une réflexion sur l’état des partis, le ministre de l’Économie élargit son champ de compétences.

Tandis qu’en 2015 la France a été frappée par une vague d’attentats islamistes qui a fait cent cinquante morts, Manuel Valls entreprend un virage sécuritaire. Plus le Premier ministre durcit sa ligne, plus Emmanuel Macron construit la sienne. L’un ne trouve « aucune excuse sociale, sociologique et culturelle » aux djihadistes ? L’autre déplore un « terreau [qui est] de notre responsabilité ». L’un dénonce l’objectif inatteignable d’Angela Merkel d’accueillir 800 000 migrants en pleine crise des réfugiés ? L’autre salue un geste courageux « sur le plan moral et politique ». L’un porte la déchéance de nationalité pour les terroristes binationaux ? L’autre exprime son « inconfort philosophique » vis-à-vis de cette mesure.

« Je ne me mettrais pas dans l’“anti-Valls”, parce que je ne me suis jamais construit comme ça », prétend Emmanuel Macron aujourd’hui. Il n’empêche. Ce petit jeu entre les deux frères ennemis du gouvernement se poursuivra des semaines durant. Jusqu’au point culminant  : l’abandon de la « loi Macron  2 » (appelée « Noé »), finalement éclatée et répartie entre la loi Travail de Myriam El Khomri et la loi Sapin. « C’est à ce moment-là que le choix de François Hollande est apparu comme un problème. Et qu’Emmanuel Macron a eu l’intuition qu’il faisait partie des solutions », juge, avec le recul, le président de l’Assemblée nationale, Richard Ferrand. Celui qui n’était à l’époque que député du Finistère se souvient avoir vu le ministre de l’Économie passer de la rupture au divorce. Quant à Brigitte Macron, elle raconte souvent à ses amis la scène à laquelle elle a assisté ce jour-là  : « Il est rentré, il s’est mis à jouer du piano, et il m’a dit qu’il allait être candidat. »

À compter de cet épisode, Emmanuel Macron et Manuel Valls ne font même plus l’effort de dissimuler leur rêve élyséen. Sous le regard aussi amusé qu’impuissant de François Hollande. Habi[1]tué à la stratégie du trou de souris, « Monsieur 3 % » ne s’émeut guère de l’impopularité dans laquelle il s’enfonce. Il est persuadé que les deux étoiles montantes du progressisme finiront par se neutraliser, trop dévorées par leurs ambitions respectives. Il continue de penser que lui seul saura incarner la « synthèse » le moment venu. « A-t-il eu raison de laisser un ministre se comporter ainsi pendant des mois ? Bien sûr que non !, analyse aujourd’hui Manuel Valls. Je lui ai d’ailleurs demandé d’en changer [de ministre] plusieurs fois . » Sans jamais être écouté.

Pis : toutes les tentatives du Premier ministre se retourneront contre lui. Plus il tire la sonnette d’alarme, plus on l’accuse de vouloir servir ses propres intérêts. Il devient le « traître ». Quant au président, il ne veut pas imaginer que sa propre créature puisse lui échapper. « Nous pensions tous que François Hollande serait candidat, sauf circonstance exceptionnelle. Emmanuel Macron, lui, a tout de suite vu qu’il ne serait pas candidat, sauf circonstance exceptionnelle », résume Manuel Valls. La stratégie du trentenaire fonctionne à plein. Il n’est pas inquiété par François Hollande lorsqu’il lance En marche !, le 6  avril 2016. Il ne l’est pas plus lorsqu’il organise son premier meeting à la Mutualité, le 12  juillet suivant. Et il n’est toujours pas menacé lorsqu’il débauche des socialistes historiques à tour de bras. Bref, il ne sera jamais inquiété jusqu’à sa déclaration de candidature, le 16 novembre – quinze jours seulement avant le renoncement de François Hollande. Ni jusqu’à sa propre élection. Les problèmes ne commenceront qu’après.

Car son mentor ne lui pardonnera jamais cette trahison. Tel Jules César qui, découvrant Brutus venu l’assassiner, lui lança « Tu quoque, mi fili » (« Toi aussi, mon fils ! »), François Hollande paraîtra d’abord interloqué par ce parricide. S’estimant « victime » de son protégé. Plus tard, il ne manquera toutefois pas une occasion de se venger. En le traitant de « président des très riches » ; en l’accusant d’être « passif dans le couple » avec Donald Trump ; en lui déniant le moindre point commun avec François Mitterrand, si ce n’est d’« être président »… Ou encore en critiquant publiquement son approche diplomatique de la situation en Syrie et son « manque de fermeté » vis-à-vis de la Russie. « Il n’aura pas attendu longtemps avant de me faire à moi ce qu’il a reproché à Sarkozy de lui avoir fait », s’agacera Emmanuel Macron en privé. Preuve que le cordon avait été définitivement coupé entre eux. Mais pas question pour autant de montrer le moindre signe de cette détestation en public. Le chef de l’État y a mis un point d’honneur. Car reconnaître qu’il aurait trahi celui qui l’a mis en selle, ce serait admettre cette part de cynisme et de froideur inavouable,  qu’il a eu tant de mal à dissimuler jusqu’ici. Quand ses amis le mettent face à cette réalité, il éructe systématiquement. Il préfère se mentir à lui-même et se convaincre qu’il conserve de l’affection pour son ancien patron. « Je garde [pour lui] de l’amitié, de l’estime… et même de la tendresse », glisse-t-il. Sur un ton paternaliste qui trahit presque de la pitié.

Extrait du livre d’Arthur Berdah, « Emmanuel Macron, Vérités et légendes », publié aux éditions Perrin.

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