Embrouilles autour de Zemmour chez les LR : mais pourquoi la droite n’a-t-elle toujours pas trouvé le moyen de parler sereinement d’immigration ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Christian Jacob s'adresse à la presse au siège du parti Les Républicains.
Christian Jacob s'adresse à la presse au siège du parti Les Républicains.
©LUDOVIC MARIN / AFP

Stratégie pour 2022

Lors du Conseil stratégique des LR tenu ce mardi, les ténors du parti se sont déchirés sur l’attitude à tenir face à Éric Zemmour : extrême-droite à rejeter catégoriquement ou non ? Comment parler d’immigration sans tendre le flanc aux (auto-)accusations de dérive droitière ?

Edouard Husson

Edouard Husson

Universitaire, Edouard Husson a dirigé ESCP Europe Business School de 2012 à 2014 puis a été vice-président de l’Université Paris Sciences & Lettres (PSL). Il est actuellement professeur à l’Institut Franco-Allemand d’Etudes Européennes (à l’Université de Cergy-Pontoise). Spécialiste de l’histoire de l’Allemagne et de l’Europe, il travaille en particulier sur la modernisation politique des sociétés depuis la Révolution française. Il est l’auteur d’ouvrages et de nombreux articles sur l’histoire de l’Allemagne depuis la Révolution française, l’histoire des mondialisations, l’histoire de la monnaie, l’histoire du nazisme et des autres violences de masse au XXème siècle  ou l’histoire des relations internationales et des conflits contemporains. Il écrit en ce moment une biographie de Benjamin Disraëli. 

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Atlantico : Les Républicains continuent de s’écharper autour d’Éric Zemmour et l’attitude à tenir face à lui. Une partie de la formation politique craint qu’approuver certaines de ces analyses, notamment sur l’immigration, les catégorise à l’extrême droite, à l’image du polémiste. Comment expliquer que la droite peine toujours à trouver comment parler sereinement d’immigration ? Pourquoi le sujet est-il sujet à tant de débats en interne ?

Edouard Husson : En fait, je ne crois pas qu'il faille y accorder trop d'importance. L'évolution de LR se déroule à deux niveaux. Le premier est celui de la conscience, encore dominée par les intimidations de la gauche, le funeste héritage du chiraquisme et l'incapacité à se dire pourquoi Nicolas Sarkozy a perdu en 2012. Evidemment pèse encore le grand oukase mitterrando-gauchiste : l'extrême-droite point ne fréquenteras. Tout aussi évidemment, la mémoire de Jacques Chirac continue à peser sur un certain nombre d'élus issus de l'ancien RPR. Le gaullisme, avec sa double opposition à Vichy et à l'Algérie française, sert de prétexte pour dissimuler les lâchetés du chiraquisme: l'abandon (malgré la campagne de 1995) des catégories populaires et la haine de tout ce qui était vraiment de droite, qu'il se soit agi du Front National ou de l'aile droite de l'UDF (souvent plus à droite que la droite du RPR contrairement à une légende complaisamment entretenue). Nicolas Sarkozy avait tâché de dépasser tout cela mais il a été structurellement trahi par les mauvaises habitudes de la droite (l'ouverture) et par le refus d'une partie des ministres et des élus de mettre en oeuvre les promesses de campagne sur la sécurité et sur l'immigration. Zemmour ravive la blessure narcissique de cette droite chiraquisée qui n'a gardé le pouvoir en 2002 que par un incroyable concours de circonstances; et qui a perdu l'élection de 2012 alors que le monde entier entrait dans une phase populiste. Une fois que l'on a constaté tout cela, on comprend que l'état d'esprit est en train de changer en profondeur. D'abord, les militants et les sympathisants LR pensent de plus en plus à droite. Ensuite, c'est l'ensemble de la classe politique qui suit l'opinion. Même Jean-Luc Mélenchon redécouvre qu'il peut être bienvenu de critiquer la stratégie de main d'oeuvre bon marché du patronat français ! Donc, pour LR le sujet va être de jouer son rôle dans le débat qui est devenu celui des modalités du contrôle de l'immigration. Zemmour sera vite oublié de mon point de vue.   

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Ce qui est difficile à vivre pour LR, c'est que Zemmour révèle qu'il n'y avait pas de mur entre les giscardiens, les chiraquiens et les lepénistes. Le Front National n'a fait qu'occuper un terrain à droite délaissé par le RPR et l'UDF. Mitterrand était un sorcier de la politique et il a dessiné un mur imaginaire entre une "droite" et une prétendue "extrême-droite".  Eric Zemmour a toujours traversé le mur, depuis les années 1980, pour une bonne raison: le mur n'existait que dans les têtes; mais non dans la sienne. Tant qu'il était chroniqueur, cela ne gênait personne. A présent qu'il a l'air de vouloir faire de la politique, on se rend compte qu'on n'avait pas seulement affaire à un "fou des présidents" qui avait pour habitude de crier "le mur entre les droites n'est que dans vos têtes" mais qu'il est possible, politiquement, de franchir la frontière imaginaire sans se cogner le front (pardonnez-moi ce mauvais jeu de mots). Le principe de réalité est toujours douloureux - dans un premier temps.  

Les LR ont-ils raison de croire que l’électorat de droite les assignerait de la sorte à l’extrême droite ?

Si certains pensent cela chez LR, c'est une grande illusion. Etre de droite et voter Macron, c'est croire, contre toute vraisemblance, que le président sortant est libéral; et c'est surtout adhérer au "parti de l'ordre" suite à la crise des Gilets Jaunes. Ensuite, quand vous allez plus à droite, vous vous apercevez qu'il y a un clivage social et un clivage générationnel. Plus vous êtes haut placé dans l'échelle sociale et plus vous êtes âgé, plus vous votez LR. Eric Zemmour attire à la fois un électorat populaire LR et une partie de la bourgeoisie qui vote RN. Marine Le Pen rassemble la France populaire désespérée qu'autrefois quelques mots du Général de Gaulle aurait suffi à ramener dans la "Grande Maison" de l'union des droites. On a affaire à un électorat qui doit être rassemblé si l'on veut reconstruire un projet pour la nation; et qui est malheureusement éparpillé suite aux intrigues de François Mitterrand (ce renégat de la droite), aux manoeuvres énergivores de Jacques Chirac (homme de droite dévoré par la haine de soi) et à l'incapacité de Nicolas Sarkozy d'assumer, en 2007, la seule ouverture qui valait: à droite. On pourrait dire que beaucoup, à LR, ont peur de leur ombre. Ils ont surtout peur des fantômes du passé. 

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