Elon Musk veut lever 6 milliards pour son projet d’IA : où va la course des Titans de la Tech ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Le robot humanoïde Engineered Arts Ameca doté d'une intelligence artificielle, lors du Consumer Electronics Show (CES) le 5 janvier 2022 à Las Vegas.
Le robot humanoïde Engineered Arts Ameca doté d'une intelligence artificielle, lors du Consumer Electronics Show (CES) le 5 janvier 2022 à Las Vegas.
©PATRICK T. FALLON / AFP

Course à l'IA

La startup d’intelligence artificielle du milliardaire américain Elon Musk, xAI, a annoncé avoir levé six milliards de dollars de nouveaux financements pour son développement.

Julien Pillot

Julien Pillot

Julien Pillot est Enseignant-Chercheur en économie (Inseec Grande Ecole) / Chercheur associé CNRS.

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Atlantico : Quels sont les champions actuels de l'IA ?
Julien Pillot : Nous parlons d'un secteur encore en phase d'émergence qui n'a pas encore désigné ses champions, même si certaines entreprises sont parties tôt et ont déjà pris des positions des plus stratégiques sur différents maillons de la chaîne de valeur. Je pense notamment à des acteurs comme Nvidia pour ce qui concerne la conception de semi-conducteurs (processeurs et de GPU) et la surcouche logicielle Cuda, ou à Microsoft, Google et Amazon pour ce qui concerne les data centers ou s'effectuent les opérations de stockage et de calculs, ou encore à Google, Microsoft et Meta pour ce qui concerne les modèles de fondation. 
Une fois ceci dit, plusieurs éléments sont à prendre en compte.
  • Le premier, c'est qu'il s'agit d'un secteur qui nécessite des investissements colossaux, à la fois sur la partie hardware et sur la partie software. La compétition sur joue donc encore principalement sur les marchés financiers, les levées de fonds spectaculaires permettant d'accélérer les opérations de croissance interne et externe, et les prises de participation stratégiques.
  • Sur l'amont de la chaîne de valeur, les avantages ont toutes les chances d'être cumulatifs. Ainsi, les champions actuels de la conception de semi-conducteurs et de data centers ont toutes les chances de le demeurer. A elles seules, Meta, Amazon, Microsoft et Google ont mis la main sur 400000 GPU pour la seule année 2023... et ces entreprises sont les mieux dotées pour mettre la main sur l'essentiel de la production mondiale. Il sera difficile de contourner ces acteurs à l'avenir.
  • Sur les marchés applicatifs, les jeux sont plus ouverts : les marchés sont encore très fragmentés et la rentabilité n'est pas encore de mise. Bien malin celui qui saura prédire le ou les futurs champions des IA dédiées à la conduite autonome, la santé, l'industrie 4.0, la cybersécurité, la finance et l'assurance, ou la connaissance. Sur ces marchés, les champions se dessineront au fur et à mesure de l'activation d'effets de réseau qui, du fait de la sélection de certaines solutions par les utilisateurs (entreprises comme particuliers) et les complémenteurs, confèreront la meilleure valeur d'usage à certaines offres plutôt que d'autres.
  • Dernier élément à surveiller : les stratégies d'intégration des acteurs. Si certaines entreprises sont spécialisées et semblent privilégier une approche open source, d'autres, comme Microsoft ou Google, ont fait le choix de modèles propriétaires et de l'intégration verticale, ce qui leur permet de disposer déjà de positions fortes sur plusieurs maillons clés de la chaîne de valeur. D'autres, comme Apple, investissent massivement pour y parvenir également. Enfin, certains comme Meta sont déjà si bien implantés sur certains marchés applicatifs qu'ils pourront réserver d'importants débouchés à leurs propres solutions d'IA.
Quels sont les projets les plus porteurs de révolution ?
Commençons par lever un tabou : les IA actuelles n'ont rien de révolutionnaires !
Elles ne sont que des évolutions de systèmes algorithmiques finalement assez classiques qui automatisent des tâches, et font exactement ce pour quoi elles ont été entraînées au préalable. Elles excellent dans le domaine de la reconnaissance multiple, de la recherche de corrélations, sont capables de réaliser de façon autonome des calculs complexes et de délivrer des résultats avec une grande rapidité. 
Mais, en dépit de démonstrateurs aussi bluffants que ChatGPT ou Midjourney, elles demeurent des "narrow AI", c'est à dire des programmes spécialisés dans une tâche précise, incapables de raisonner - comme pourrait le faire un cerveau humain - pour s'adapter à un contexte nouveau, faire face à un imprévu ou migrer d'une fonction à une autre. On le voit d'ailleurs tous les jours quand les IA génératives ont tendance à halluciner ou à ne pas répondre à la question qui leur est posée, ou lorsque qu'une voiture autonome doit faire face à un événement imprévu ou est dans l'incapacité de lire un panneau. Et ne demandez surtout pas à ChatGPT de conduire votre voiture à votre place : il en serait bien incapable ! Sur la capacité d'adaptation, le cerveau humain, d'une incroyable plasticité, garde l'avantage. Mais davantage que la technique sous-jacente ou les résultats obtenus, ce qui frappe le plus avec les IA actuelles, y compris les spécialistes, c'est la vélocité de ces évolutions rendues possibles par les progrès phénoménaux en matière de calcul et de l'immense quantité de données disponibles pour entraîner les IA.
Une fois ceci dit, il faut néanmoins souligner que ces IA, sous leur forme actuelle, sont déjà capables de faire mieux que des humains dans quasiment tous les domaines applicatifs, et en cela, elles vont être de précieux outils de productivité, et demander un effort d'adaptation conséquent des process de production, des approches métiers et des usages. Elles pourront même se montrer capables de supprimer des emplois, surtout si ceux-ci reposent sur des choix ou des actes prédéfinis, des séquences répétitives, réclamant peu d'initiatives individuelles. Mais, on est encore loin de l'IA Générale qui sera en mesure de raisonner, de prendre des décisions en totale autonomie et ce, de façon indifférenciée dans l'ensemble des domaines applicatifs. Cette IA, fantasmée par certains comme Sam Altman (OpenAI), est redoutée par d'autres comme Elon Musk, car elle porte en elle le potentiel d'une révolution qui n'usurperait pas son nom : celle de surpasser l'être humain.
Quelle est la part de bulle financière et d’illusion technologique possible ?

Nous avons déjà partiellement répondu à cette question.
Nous l'avons vu, les IA actuelles ne sont pas si révolutionnaires et, si elles sont d'indéniables outils de productivité et offrent des potentiels applicatifs importants, elles bluffent surtout les personnes non averties et doivent encore démontrer leur rentabilité, et parfois même, leur utilité. Et la course à leur développement et leur déploiement est excessivement consommatrice en cash.
Une fois ceci rappelé, il y a deux éléments supplémentaires à prendre en considération.
  1. Le secteur des IA bénéficie d'un marché financier encore largement sur-liquide qui cherche de nouveaux investissements à fort potentiel, dans un contexte où les NFT ou le metavers se sont montrés déceptifs. L'IA concentre donc bien des intentions des fonds d'investissement, avec nécessairement une part de spéculation importante dans la mesure où le marché n'a pas encore délivré ses vérités, ni distingué ses champions. Le fléchage massif d'investissements vers l'IA crée deux effets majeurs : d'une part, un afflux de moyens au bénéfice de la recherche fondamentale et appliquée, et d'autre part l'émergence d'une solidarité existentielle entre les parties prenantes puisque les sommes engagées atteignent une telle proportion que tout le monde est intéressé à la réussite des projets.
  2. La contrepartie de ce deuxième effet est que les incitations sont fortes à verser dans la sur-promesse. Les entreprises, mises en concurrence sur le marché financier autant que sur le marché des débouchés, sont incitées à survendre les capacités réelles de leurs IA, comme c'est souvent le cas dans les marchés émergents. Gare à ne pas éroder la confiance des investisseurs et des clients, sous peine de créer les conditions d'une petite traversée du désert pour l'industrie. Car il y a bien une chose que tous les magiciens savent : un tour de magie perd tout son intérêt le jour où le secret est révélé.

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