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Elon Musk est devenu le 2ème homme le plus riche au monde et voilà pourquoi la France aurait singulièrement besoin de s'en inspirer
©Brendan Smialowski / AFP

Génie

L'ingéniosité de l'entrepreneur sud-africain porte enfin ses fruits et son parcours doit être regardé avec intérêt. Voici quelques citations commentées qui vous permettront de mieux comprendre sa pensée et peut-être vous inspireront à suivre sa carrière.

Leonidas Kalogeropoulos

Leonidas Kalogeropoulos

 

Léonidas Kalogeropoulos est Président du Cabinet de lobbying Médiation & Arguments qui défend la liberté d’entreprendre, l’innovation, le pluralisme et la concurrence dans les domaines de l’audiovisuel, des télécoms, du sport, d’Internet, de l’énergie, de la presse…
 
Il est le fondateur du site libertedentreprendre.com, qui milite pour l’inscription de liberté d’entreprendre dans la Constitution française et est Vice-Président du mouvement patronal Ethic. Il est également le porte-parole du collectif David contre Goliath, lanceur d'alertes concurrentielles

 

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Pierre Bentata

Pierre Bentata

Pierre Bentata est Maître de conférences à la Faculté de Droit et Science Politique d'Aix Marseille Université. 

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"Je suis arrivé à la conclusion que nous devrions aspirer à accroître la portée et l'échelle de la conscience humaine afin de mieux comprendre les questions à poser. En réalité, la seule chose qui ait un sens est de s'efforcer d'obtenir une plus grande illumination collective".

Pierre Bentata : Il a une vision qui est assez simple et qui se rapproche beaucoup de la vision transhumaniste qu’on peut trouver dans la Silicon Valley. Son idée c’est qu’il y a des grands enjeux. Il est conscient et motivé par des idéaux qu’il considère être planétaires : des enjeux environnementaux, de population ou de surpopulation avec la possibilité de nourrir tout le monde. Il a une vision de très long terme qui oriente son activité entrepreneuriale. Si on observe les différentes entreprises et différents succès qu’il a eu, ils sont toujours motivés par ces idées. D’abord relier les individus, faciliter les interactions, c’était l’idée de PayPal par exemple. L’idée de Tesla est vraiment sur l’aspect écologique, avec quelque chose de vraiment « disruptif » qui  transforme le modèle, même si on peut débattre sur les batteries au lithium, etc. Surtout, SpaceX et Neuralink sont des pas supplémentaires dans la concrétisation de sa vision des choses. Avec SpaceX l’idée est que pour l’homme arrive à survivre, il va falloir qu’il arrive à coloniser d’autres planètes et s’affranchir de certaines contraintes, notamment celle d’être terrien. Et l’idée de Neuralink est que, lorsque les communications pourront se faire de manière presque télépathique, les barrières du langage, les problèmes de traduction pourront enfin être dépassés. La vision profonde qu’il se fait de l’humanité motive ses entreprises. Est-ce qu’on doit s’en inspirer ? La difficulté c’est que c’est une idée très orientée sur ce qui est, pour l’instant, de la science-fiction, l’idéal transhumaniste. En revanche, il y a quelque chose dont on peut s’inspirer, puisque c’est une vision libérale classique. Il pense que les individus ont les moyens de s’affranchir de certaines contraintes. Pour lui, la raison et la science doivent amener les individus à se dépasser. Et l’activité économique fait partie de ce projet plus vaste qui combine science, organisation des sociétés et politique vers un objectif universaliste, même si ce n’est pas l’universalisme des Lumières à la française. À une époque où l’on critique beaucoup le libéralisme, il a une entreprise qui fonctionne, ses entreprises ont des succès énormes et il fait partie des premières fortunes mondiales. Il affiche aussi un profond optimisme qu’on semble avoir perdu en Europe et surtout en France, depuis 20 ou 30 ans, et qui pourrait servir à connaitre des succès comme ceux d’Elon Musk ou d’autres entrepreneurs. 

Par ailleurs, il y a quelque chose qui n’est pas propre à Elon Musk mais à l’ensemble des grandes fortunes américaines qui partagent les idées transhumanistes : jusqu’à présents les rêveurs n’étaient pas ceux qui avaient le pouvoir économique, aujourd’hui c’est le cas. Pour une fois, ils ont les moyens techniques, scientifiques et financiers de réaliser leur rêve. Il faudrait qu’en Europe on cesse de voir cela soit comme quelque chose de terrifiant soit quelque chose de naïf et que l’on prenne au sérieux ces innovateurs. Cela permet d’anticiper ce qu’il va passer, car le monde dont ils rêvent n’est pas celui de la vieille Europe ou des vieilles valeurs occidentales : c’est la disparition des frontières, l’interaction d’individu à individu, la fin des états et aussi potentiellement des inégalités très fortes. Or tout cela est absent du débat parce que les entrepreneurs sont disqualifiés, parce qu’on ne les aime pas ou qu’on les prend pour des rêveurs. Il faudrait les prendre plus au sérieux au-delà du folklore. Ces gens ont une vraie vision et il serait temps de compter avec.

Léonidas Kalogeropoulos : Cette déclaration d’Elon Musk ne délimite probablement pas autant que d’autres à quel point son parcours est déterminé par le fait de rechercher des solutions aux problèmes collectifs. Ce qu’il veut dire, c’est qu’en soulevant la question de la surpopulation, de la crise environnementale, de la faim dans le monde, si on pose les questions en termes de problématiques collectives à résoudre, alors forcément, on se lance dans des inventions innovantes pour conquérir de nouveaux espaces, on réfléchit à l’électrification des transports, on cherche à changer l’échelle dans laquelle peut se penser l’avenir d’une humanité qui en l’espace d’une vie humaine aura doublé en nombre, sur une planète restée inchangée.

En France,  on pose les questions en des termes biaisés qui conduisent, face à chaque problème, à réfléchir à la loi, la réglementation, la taxe ou la subvention qui pourra résoudre chaque question d’intérêt général. Si on pose les questions avec plus de pertinence, on se rend bien compte que ce n’est qu’en entreprenant qu’on sera capable d’apporter des solutions aux problèmes très concrets qui se posent derrière chacun des défis de l’humanité. Et pour y apporter des réponses, c’est l’esprit d’entreprise de chacun qui doit être sollicité, davantage que la pulsion régulatrice qui nous écarte des véritables solutions.

“L'échec est ici une option. Si les choses n'échouent pas, c'est que vous n'innovez pas assez”

Pierre Bentata : Sur le plan économique, Elon Musk, ressemble à Jeff Bezos, Bill Gates d’une certaine manière, ou à Howard Hugues il y a plus longtemps. Il a cette idée d’entrepreneur Schumpetérien. La prise de risque et l’innovation sont essentielles à l’activité si le but est de s’enrichir. Kirzner dira qu’on peut être un « petit » entrepreneur qui a une activité qui fonctionne mais pour transformer les choses il faut prendre tous les risques. Le risque est simplement une information supplémentaire sur comment arriver à faire aboutir un projet. Sur ce point, l’échec est fondamental. En France, c’est principalement un problème culturel, parce qu’on ne comprend pas bien l’échec et les mécanismes économiques. Un échec, même si vous perdez de l’argent ou êtes déçus, c’est aussi une information, un signal. L’économie c’est uniquement un processus d’information : que veulent les gens et quelle la meilleure façon de les satisfaire. L’échec a autant de valeur qu’une réussite puisqu’il indique que telle méthode ne fonctionnait pas. Tous les grands entrepreneurs aujourd’hui ont connu des échecs dans leur vie sentimentale, sociale ou économique. Il ne faut pas avoir honte de l’échec car il a fait fonctionner l’information. En France, on considère l’échec comme quelque chose qui nous discrédite mais on considère aussi la réussite comme quelque chose qui nous discrédite. On a une vision de l’entrepreneur qui globalement ne peut pas se développer à cause de cela. Sur ce point, Elon Musk représente vraiment la pensée américaine et cet état d’esprit-là favorise un certain marché.

Léonidas Kalogeropoulos : Les ambitions de grande échelle ne peuvent pas être poursuivies avec l’exigence de la réussite immédiate. Les très grandes aventures entrepreneuriales à l’échelle mondiale ont été menées par des entrepreneurs qui ont réussi à embarquer des actionnaires qui ont donné du temps à leurs promoteurs. Prenons Amazon, Uber, Google…, combien d’années ces aventures mondiales ont-elles perdues de l’argent au point que si on les avait obligées à arrêter les compteurs et à produire du résultat immédiat, elles n’auraient jamais vu le jour. La France et l’Europe ne comptent pas de géants mondiaux, alors que l’Europe est le berceau de la pensée universaliste. Nous aurions dû, de par notre histoire et nos racines, être à la tête des grandes aventures entrepreneuriales qui ont changé les modes de vie de l’humanité. Mais nous avons des structures capitalistiques qui exigent du rendement immédiat, et lorsqu’il n’est pas au rendez-vous, le couperet tombe et on est frappé de l’infamie du soupçon d’échec. L’échec, c’est souvent le pari qui n’a pas pu être porté assez loin pour devenir une réussite. La réussite, c’est tomber 9 fois et se relever 10. Si à chaque fois qu’on trébuche, on est disqualifié, on est condamné à ne poursuivre que de petits objectifs. Pour en poursuivre de grands, il faut changer notre échelle de vision et d’attente de résultats.

Elon Musk affirme s’être dit, en quittant PayPal : “Quels sont les autres problèmes qui risquent d'affecter le plus l'avenir de l'humanité ?” et non “Quelle est la meilleure façon de gagner de l'argent ?”

Pierre Bentata : A mon avis il faut nuancer cette posture romantique, ou romanesque d’Elon Musk sur au moins deux points. Le premier, c’est qu’il est proche du courant transhumaniste, profondément libertarien et, pour autant, il n’est pas anti-état. Il sait très bien que SpaceX n’aurait pas fonctionné sans avoir eu, au départ, de très gros contrats avec la Nasa et la Défense américaine. Il y a un vrai pragmatisme, ce n’est pas simplement quelqu’un qui est motivé par des idées. Il y a un vrai businessman derrière. La deuxième chose, c’est que les entreprises qui s’appuient sur la technique se sont développées très vite. Donc même si ce n’est pas pensé au départ, il fait partie de ce mouvement, représenté par Zuckerberg avec Facebook, Brin et Page chez Google, qui sait qu’il va y avoir des idées qui vont révolutionner le monde, va tenter de le mettre en place et verra plus tard comment faire de l’argent avec, tout en sachant qu’il y aura de l’argent à la clé. Ce n’est pas une action philanthropique. Les entreprises de Musk ont été créées entre 1998 et 2004, donc cela fait un moment qu’il y a des investissements, des réflexions et des transformations du business model. Il a une vraie volonté de pouvoir et de gagner de l’argent. Mais le meilleur moyen de gagner de l’argent, c’est de se demander ce qui va transformer le monde. Qu’est-ce que les consommateurs ou les états vont être prêts à payer ? Pour arriver à répondre à cela il faut revenir à l’idée défendue par Adam Smith : il faut avoir une certaine dose d’empathie. Il se demande ce qu’il peut faire pour l’humanité, mais ce n’est pas indissociable de la recherche de profit, au contraire.

Léonidas Kalogeropoulos : La vision du monde héritée des penseurs libéraux a évolué. Que la main invisible du bonheur commun soit faite de particuliers qui poursuivent leur intérêt égoïste et immédiat, entrainant à leur insu le bien collectif, cela correspond à une pensée obsolète. Elon Musk a risqué son argent et celui de tous ceux qui ont fait confiance à sa vision du monde avec la possibilité de tout perdre. S’il n’avait pensé qu’à la meilleure façon de gagner de l’argent, il aurait eu une vie totalement différente. Ce qui est rassurant, c’est qu’en se lançant dans des aventures entrepreneuriales destinées à apporter des réponses concrètes à des défis d’intérêt général, il soit devenu la deuxième fortune mondiale. C’était imprévisible et extrêmement risqué. Mais si en faisant de grandes choses pour répondre à de grandes causes, on peut s’enrichir, c’est probablement la meilleure nouvelle pour l’avenir de l’humanité. Il est plus rassurant de savoir que des « armées » d’entrepreneurs vont pouvoir se lancer à la conquête de solutions pour résoudre les grands problèmes du monde en voyant à cette occasion la promesse de s’enrichir, que d’espérer résoudre les problèmes du monde en les confiant à une « armée » de hauts fonctionnaires.

"Nous n'avons pratiquement aucun brevet dans SpaceX. Notre principale concurrence à long terme se situe en Chine. Si nous publions les brevets, ce serait une farce, car les Chinois les utiliseraient simplement comme un livre de recettes"

Pierre Bentata : Sur un plan stratégique, Elon Musk a raison. Il a compris que les problèmes de propriété intellectuelle étaient dépassés. Il est très difficile de protéger ses inventions et le meilleur moyen de garder le leadership, c’est toujours d’être en avance et non pas de se soucier qui va vous copier. Il a une vision plus libérale, moins interventionniste, et qui est aussi beaucoup plus pragmatique. Vouloir réguler des secteurs c’est possible avec des pays qui ont les mêmes approches que vous. La Chine c’est une forme d’impérialisme économique qui est un mix d’économie et de politique, sans vrai état de droit. Il est très difficile de se dire qu’une réglementation, même internationale va permettre de régler le problème. Le paradoxe c’est que l’Europe va avoir très peur des Gafa, des grandes entreprises américaines, parce que l’on sait qu’il est possible de négocier avec l’Etat américain puisque l’on partage des valeurs communes. À l’inverse, on ne va rien dire vis-à-vis de la Chine parce qu’on sait que la culture n’est pas la même. On va préférer s’inféoder au système qui ne partage pas nos valeurs. Elon Musk a raison de dire qu’il faut garder le leadership. En termes de politiques publiques, si on adoptait cette idée-là au niveau européen, cela signifierait que plutôt que s’attaquer au Gafa ou à démanteler les grandes plateformes, on essaierait de prendre le train en marche afin de profiter de la prochaine révolution technique plutôt que de se demander si l’on préfère être les vassaux des Etats-Unis ou de la Chine. Si on avait cette attitude plus provocatrice mais plus proactive, on serait certainement dans une meilleure situation.

Léonidas Kalogeropoulos : Elon Musk n’a pas besoin de déposer des brevets, parce que sa course à l’innovation est telle que son espoir n’est pas de s’enrichir avec une seule invention, au point qu’il faudrait à tout prix la protéger, parce qu’elle est la source unique de son espérance de rentabilité. Il est conscient de la concurrence de la Chine en ayant une stratégie pour ne pas être dépassé : innover sans cesse en sachant qu’il sera de toute façon copié et que sa seule chance de gagner la course est de ne jamais compter sur les brevets pour arrêter les compteurs avec l’illusion qu’il serait ainsi protégé. La Chine nous place dans une situation qui nous condamne à l’innovation permanente et exponentielle. Plutôt que de se bercer de la chimère selon laquelle il serait un jour possible de réguler à l’échelle mondiale le commerce pour que les brevets soient convenablement respectés sur toute la surface de la planète, Elon Musk réagit en entrepreneur : la solution n’est pas dans la loi, mais dans la réponse concrète. Face à la Chine, la réponse consiste à avoir en permanence une innovation d’avance. En Europe, on en est encore loin, mais il n’est jamais trop tard pour s’y mettre.

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