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El Hierro, première île du monde puisant uniquement son énergie du vent et de l’eau : quelles leçons en tirer ?
©Reuters

Seul au monde

L'une des îles Canaries sera bientôt le premier territoire énergétiquement autosuffisant au monde, et ce grâce à l'installation d'une "ferme à vent". Explications.

Stephan Silvestre

Stephan Silvestre

Stephan Silvestre est ingénieur en optique physique et docteur en sciences économiques. Il est professeur à la Paris School of Business, membre de la chaire des risques énergétiques.

Il est le co-auteur de Perspectives énergétiques (2013, Ellipses) et de Gaz naturel : la nouvelle donne ?(2016, PUF).

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Atlantico : El Hierro, la plus petite île des Canaries, devrait être le premier territoire autosuffisant grâce à l'installation en juin d'une "ferme à vent". En quoi cela consiste-t-il ? Cet objectif affiché est-il pertinent ?

Stephan Silvestre : Il s’agit d’un projet de centrale électrique constituée d’un parc d’éoliennes couplé à une station hydraulique réversible, dite STEP (Station de Transfert d’Énergie par Pompage et turbinage). Ce type d’installation permet un stockage temporaire de l’électricité produite par les éoliennes : lorsque celles-ci produisent, l’eau est pompée et stockée dans un réservoir supérieur et lorsque la demande arrive, l’eau est libérée dans un réservoir inférieur, en produisant de l’électricité comme dans un barrage.

Ce projet répond à deux objectifs : le premier est de réduire les émissions de CO2 de l’île en se substituant à la centrale actuelle au fioul. Le second est de parvenir à l’autosuffisance énergétique de l’île. En réalité, il ne s’agit que de son autosuffisance électrique pour le moment, car l’île aura toujours besoin de carburants pour son parc automobile, ses bateaux de pêche et les avions qui s’y posent. Les caractéristiques de cette île se prêtent particulièrement bien à cet objectif : la population y est très faible (11 000 habitants), les températures y sont toujours printanières (donc ni chauffage, ni climatisation), l’activité économique y est réduite et l’activité industrielle nulle, de sorte que la demande est très faible (la puissance crête ne dépasse pas 8 MW). Côté offre, les vents y sont forts et permanents, ce qui permet d’optimiser le potentiel éolien (un parc de 11 MW), et le relief propice à l’installation d’une station STEP (d’une puissance de 11 MW aussi). Enfin, ajoutons que le projet comprend aussi une future station de dessalement d’eau de mer, qui sera alimentée par cette centrale et qui permettra de résoudre le problème de pénurie d’eau douce, assez aigu dans les îles Canaries.

Pour toutes ces raisons, oui, ce projet est très pertinent et permettra d’améliorer les solutions possibles pour de nombreuses îles en situation de pénurie d’électricité ou d’eau.

Bien que ce modèle de gestion ne soit pas dans l'immédiat applicable en dehors de zones insulaires, peut-on envisager qu'il soit un jour transposable à un niveau plus continental ?

Le retour d’expérience de ce projet sera intéressant sur plusieurs plans. Déjà, d’un point de vue technique pour les îles dans la même situation, comme nous l’avons vu. Ensuite, la mise en œuvre de stations STEP comme outil de stockage d’électricité est très intéressante pour les sites de production d’électricité intermittente. Cependant, ce type d’installation nécessite des conditions géographiques très précises (dénivelé, accès à l’eau, raccordement au réseau électrique…) qui rendent le nombre de sites éligibles très faible. Il existe néanmoins d’autres solutions d’avenir pour stocker l’électricité (au moyen de sels fondus ou encore d’hydrogène) sur lesquelles des ingénieurs planchent. Mais l’enjeu est avant tout économique. L’expérience de l’El Hierro sera aussi enrichissante sur ce plan. La solution retenue sera nécessairement plus onéreuse que celles qui existent sur les continents (centrales nucléaires, hydrauliques ou thermiques), mais elle devrait s’avérer plus économique que d’autres solutions iliennes connues, à commencer par les petites centrales thermiques classiques, à condition toutefois que les facteurs géographiques soient propices.

Quel est le potentiel de cette méthode de production  ? Connait-elle une vraie marge de progression ?

La technique STEP est en plein développement et de nombreux projets existent dans le monde, susceptibles de quadrupler le parc actuel selon l’Agence Internationale de l’Énergie. Cependant, la limitation du nombre de sites éligibles ne lui permettra pas de répondre aux besoins à l’échelle d’un continent. Par exemple, pour la France continentale, qui dispose déjà de onze installations, le potentiel total de production ne dépasse guère les 10 TWh/an, alors que la consommation globale excède les 500 TWh/an.

La situation présente des avantages économiques. Pour autant, quels peuvent-être les risques à se priver de toute source d'énergie extérieure ? Ces sources alternatives présentent-elles une vraie sécurité ?

L’avantage économique induit ne sera valable que pour les exploitants, une fois leur investissement de 80 M€ amorti, dans la mesure où les prix de vente aux consommateurs sont les mêmes dans toute l’Espagne. Pour ce qui est du risque sur l’approvisionnement, il est assez faible, car l’ancienne centrale au fioul a été conservée pour palier toute pénurie de vent qui durerait au-delà de la capacité de la station STEP. Mais ce risque pourrait augmenter à terme. En effet, si la station de dessalement d’eau de mer voit le jour, l’eau douce sera aussi dépendante de cette installation. De plus, l’île prévoit de remplacer son parc automobile thermique par des véhicules électriques. Donc, là aussi, elle accroîtra sa dépendance à son unique équipement énergétique.

À l’échelle continentale, le problème est très différent en raison de la multiplicité des centres de production. Si les énergies renouvelables viennent en complément des installations existantes, les risques n’augmenteront pas, à condition de ne pas commettre l’erreur de l’Allemagne de fermer tout son parc nucléaire sur une courte période. Par ailleurs, le nombre de points d’interconnexion aux frontières européennes augmente régulièrement, ce qui permet de faire appel aux pays voisin en cas de besoin. Il s’agit là d’un bienfait de la politique européenne qu’il convient de souligner en ces temps de débat européen.

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