Effet des crises successives ou passif de gouvernements laxistes : à qui ou quoi les Français doivent le niveau stratosphérique d'impôts atteint aujourd'hui<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Economie
"L’explosion de la fiscalité était prévisible dès le lancement des programmes de relance".
"L’explosion de la fiscalité était prévisible dès le lancement des programmes de relance".
©Reuters

Everest fiscal

Alors que les députés examinent à partir de ce mardi la partie recettes du projet de loi de finances pour 2014, un sondage Ipsos pour BFMTV paru lundi 14 octobre révèle que 72% des Français trouvent "excessif" le montant "des différents impôts et taxes" qu'ils payent. Si le gouvernement actuel y a sa part de responsabilité, le niveau d'impôt atteint aujourd'hui est aussi le fruit d'un long renoncement.

Atlantico : Avec 43,9% de taux d'imposition global en 2011, la France est le 4ème pays européen en matière de fiscalité, derrière le Danemark, la Suède et la Belgique, et la tendance est encore à la hausse. Comment le niveau d'impôt-a-t-il pu atteindre de tels sommets ?

Gérard Thoris : Il est drôle de voir Le Monde se faire l’écho du ras-le-bol fiscal des Français, surtout dans le cadre d’un gouvernement socialiste qu’il a appelé de ses vœux. Bien entendu, la progression des prélèvements obligatoires n’est pas nouvelle et l’on se souvient sans doute de l’inventivité fiscale de Nicolas Sarkozy dans les six derniers mois de son mandat. Mais enfin, en cumulé, sur trois ans, ce sont 84 impôts nouveaux pour des recettes anticipées de 57,6 milliards d’euros soit 875€ par français. On ne sait d’ailleurs plus ce qui serait préférable. A priori, la neutralité et la transparence fiscales supposent de privilégier un impôt à base large, payé par tout le monde, typiquement la TVA ou la CSG. Seulement, même avec une basse aussi large que la consommation finale des ménages (1 130 Milliards € en 2012) il aurait fallu faire passer le taux apparent moyen de TVA de 12 % à 17 % pour élargir son rendement de 135,7 Milliards € à 192,4 Milliards €. D’autres modes de calculs sont encore plus cruels puisqu’ils estiment que le rendement d’un point de TVA au taux normal n’est que de 6,5 Milliards €. Sur les seuls produits à taux normal, la TVA devrait passer de 19,6 à 28,5 % ! Alors, la préférence du gouvernement est allée à la micro-taxation tous azimuts. Fondamentalement, personne n’a été épargné dans aucun des actes de sa vie, ce qui est nouveau sous la Vème République. Cela explique que les classes moyennes, les plus nombreuses, se sentent particulièrement visées !

L’explosion actuelle de la fiscalité était prévisible dès le lancement des programmes de relance lors de la grande crise issue des subprimes (2009). On le sait aujourd’hui, les déficits budgétaires ont été incapables de produire le sursaut de croissance qui aurait engendré, ex post, les recettes fiscales nécessaires pour les financer. D’où la double peine actuelle : contraindre le déficit budgétaire en période déflationniste et prévoir l’impossible, à savoir le remboursement de la dette publique. Cette première faute politico-économique, dont la quasi-totalité des conseillers du prince partage la responsabilité a été doublée d’une inconséquence majeure qui a consisté à considérer les déficits sociaux (assurance-maladie, retraite, chômage) comme principalement conjoncturels. Ils devaient disparaître avec le retour de la croissance. Les uns et les autres se trouvent aujourd’hui « fort dépourvus », la bise étant venue bien plus tôt que prévu !

Jean-Yves Archer : Tout d'abord, il est essentiel de retenir une explication que l'évidence impose : entre la crise de 1975, le deuxième choc pétrolier de 1979, la crise des années 1992 et 1993 puis la crise sévère depuis 2008, la France a connu un taux de croissance qui ne suffit pas à assurer le maintien des emplois. En-dessous de 1,5% de croissance du PIB, notre pays est destructeur net d'emplois. Face à ce fait incontournable, les différents gouvernements ont tenté de résoudre le drame humain par le "traitement social du chômage" ( expression qui remonte à Pierre Mauroy ) donc par des emplois aidés et par l'augmentation du nombre de fonctionnaires.

Dès lors que cette stratégie a été retenue tant par la gauche que par la droite sans vraiment porter atteinte à certains recoins de la dépense publique, le résultat est une hausse sérieuse du taux de prélèvements obligatoires. Or, question politique, si on se place sur un plan technique, nombre d'élus ont des difficultés à appréhender le coût réel d'une mesure, par exemple d'embauche dans la Fonction publique. On ne peut se limiter à additionner le traitement et les charges sociales : il faut déterminer et prendre en compte l'environnement du poste (exemple : achat d'un ordinateur, frais kilométriques, etc.) et ne pas sous-provisionner les engagements de retraite.

Sans détour, il est clair que certains politiques ont privilégié le court terme (et leur bref horizon électoral) en passant sous silence les coûts réels pour la collectivité que l'on retrouve dans les 3.070 milliards d'engagements hors-bilan de l’État qui s'ajoutent aux quelques 1.900 milliards de la dette explicite. Depuis la crise actuelle, les prélèvements obligatoires sont passés de 43,4% à 46,5% du PIB soit une hausse de près de 10% "des différents impôts et taxes" visés par le sondage que vous mentionnez.

Plus encore que le fait de s'acquitter de l'impôt, c'est l'utilisation qui est faite des deniers publics qui inquiète les Français. 88% des sondés estiment que l'argent des impôts est "plutôt mal" (52%) ou "très mal" (36%) utilisé par les pouvoirs publics. Peut-on parler de mauvaise gestion ?

Gérard Thoris :De même que les Français sont favorables à l’impôt qui ne les touche pas, ils sont défavorables aux dépenses publiques et sociales dont ils ne bénéficient pas. L’ISF est « tout à fait justifié » pour 56 % des sondés alors que le score de la TVA n’est que de 9 % ! Les droits de successions sont « tout à fait injustifiés » pour 38 % des sondés tandis que l’impôt sur le revenu, pour lequel 10 % des contribuables font 75 % des recettes, n’est « tout à fait injustifié » que dans 7 % des cas.

Dans le même esprit, si 74 % des sondés ont le « sentiment d’une contribution supérieure aux bénéfices », on serait bien surpris de les entendre sur les éléments du bilan qu’ils tirent du système de l’Etat-providence. Ont-ils évalué au prix du marché leur ticket de transport, la garderie de leurs enfants, le coût de l’école ou encore, plus fondamentalement, les bénéfices différés des cotisations maladie ou retraite. Il est vrai que, s’ils étaient associés de plus près au fonctionnement de toutes ces instances, ils connaîtraient mieux et les contraintes, et les marges de manœuvre disponibles pour en accroître la performance.

On pourrait croire qu’ils attendent avec impatience  ne serait-ce qu’un soupçon de chiffre sur les bénéfices de la Modernisation de l’action de l’État qui a remplacé la Revue générale des politiques publiques à l’efficacité modérée mais certaine. De fait, ils sont 33 % à parler de gaspillage. Mais ce sont les profiteurs qui sont visés à 51 % et encore les fraudeurs, à 35 %. Comme si la lutte contre les abus, qui existent certainement, suffirait à équilibrer les budgets publics et sociaux !

Jean-Yves Archer : Ce point du sondage est très préoccupant. Nous sommes dans un pays où les impôts sont globalement bien collectés malgré la hausse croissante de la fraude fiscale (près de 60 milliards d'euros par an). Mais cette collecte de rendement correct ne doit pas masquer la réluctance des Français à honorer leur devoir citoyen.

En fait, l'immense majorité des contribuables considère que l'argent public ne va pas où il faut (mauvaise affectation des ressources) et qu'il y a parfois des détours inacceptables (financement des partis politiques avant les lois de régularisation, cas de corruption avérée, etc.). Il y a donc, derrière votre question, une double réponse : mauvaise gestion et gestion opaque (offices HLM, certaines Sociétés d’Économie Mixte, etc.). Évidemment, il serait inexact de verser dans un rôle aveugle de Procureur des gestionnaires publics mais à l'inverse être dans le déni des faits serait mensonger vis-à-vis de vos lecteurs. Combien de décisions de Justice sur des marchés publics "truqués" où le mot de surfacturation a été écrit dans les jugements "rendus au nom du peuple français" ?

Comment l'affectation de la recette de l'impôt a-t-elle évolué au fil du temps ?

Gérard Thoris : Un des principes fondamentaux de la République est celui de l’universalité budgétaire. En d’autres termes, il ne peut y avoir de recettes affectées à une dépense. Évidemment, les hommes politiques jouent avec ce principe autant que de besoin pour leurs incessantes campagnes de communication. Qu’on se souvienne de l’instauration de l’impôt sur les grandes fortunes (IGF) couplé à la création du Revenu minimum d’insertion (RMI). Autant ce rapprochement était contraire aux principes budgétaires, autant il était sémantiquement destructeur. Il signifiait qu’il était indifférent en termes de croissance de transformer du capital en revenu.

On peut vivre de symboles pendant un temps, ici trente ans, il ne faut néanmoins pas s’étonner que la ration (nombre d’emplois et niveau de vie) finisse par diminuer. Car c’est le symbole de l’ISF qui est soutenu par 83 % des Français (« plutôt justifié » et « tout à fait justifié »). Mais on serait bien en peine d’en augmenter le rendement à ce qui est nécessaire pour financer le RSA : il y manque 3,5 milliards d'euros sur des recettes ISF de 5 milliards d'euros !

Il est donc dangereux de justifier un prélèvement par une affectation à moins de créer un compte spécial du Trésor de façon à permettre la transparence des comptes et d’en rendre l’équilibrage obligatoire, par augmentation des recettes propres ou diminution des dépenses.

Jean-Yves Archer :La part des dépenses sociales a augmenté ainsi que les frais liés à certains dérapages qui découlent de la décentralisation mal harmonisée. Songez que près de 20 milliards de dépenses en moins pourraient être réalisés si nous osions enfin résoudre la question territoriale notamment en supprimant le département et en rationalisant l'intercommunalité.

L'affectation de l'impôt va parfois dans des secteurs où les moyens sont déjà là (voir rapport de la Cour des comptes sur l'éducation) au détriment de budgets qui demeurent très faibles (Justice) ou en-dessous du format impérativement requis par les besoins de la Nation (voir conséquences du dernier Livre blanc sur l'évolution des Armées d'ici à 2019 ).

Techniquement, les recettes abondent le budget général de l'Etat sans destination (principe d'universalité budgétaire) mais votre remarque est exacte pour les 453 organismes qui bénéficient du droit de prélever des taxes. Cette fiscalité dite affectée a dérapé jusqu'à atteindre 121 milliards d'euros en 2013 selon un rapport (4 juillet) du Conseil des Prélèvements obligatoires présidée par le premier président de la Cour des comptes.

Une chose est sûre, tous les postes de recettes sont en hausse et nous sommes loin de l'étonnante affirmation du Premier ministre qui avait pensé opportun de nous dire que "les hausses d'impôts ne toucheront qu'un Français sur 10".

L'augmentation constante de la pression fiscale est-elle le fruit d'une conjoncture défavorable ou de l'absence de réformes structurelles ?

Gérard Thoris :La conjoncture est très défavorable, c’est une évidence, mais le travail sur les structures a été à peine ébauché par Nicolas Sarkozy et le peu qui avait été fait a été consciencieusement démonté par François Hollande. Le carton jaune décerné par les entrepreneurs réunis à Lyon peut être vu comme une coquetterie. Il n’est sans doute pas sans fondement ou alors il faudrait expliquer pourquoi le ministre du redressement productif a renoncé au ministère de la parole au bénéfice du ministre de l’économie et des finances. La réponse se trouve aussi dans la situation de l’entreprise PSA Peugeot-Citroën. Hier vouée aux gémonies, sa direction est aujourd’hui contrainte de passer sous les fourches caudines d’un constructeur chinois, et cela avec l’aval de Louis Gallois et de son ministre de tutelle. En fait, l’apport en capital annoncé ne couvrira que un an de pertes liées pour une part au délai nécessaire à la fermeture du site d’Aulnay-sous-Bois. Cela n’empêche pas de considérer presque unanimement l’accord national interprofessionnel du 11 janvier 2013 comme une forme de flexibilité à la française ! Ce n’est qu’un exemple du pouvoir des mots pour différer les véritables réformes dont la France a besoin.

Jean-Yves Archer : Dominique de La Martinière, qui fût le plus jeune Directeur général des impôts (nommé en 1967 jusqu'en 1973), a apporté une large contribution à l'efficacité de l'administration fiscale. Il y a quelques semaines, il nous a été révélé que 32 milliards d'euros était soumis à des pertes en ligne ( Le syndrome de la passoire fiscale : 32 milliards de TVA...).

Pour en savoir plus, retrouvez notre article sur la passoire fiscale ici.

Il est intéressant de noter que cette freinte sur la seule TVA (qui a plusieurs causes) représente le montant de la pression fiscale exceptionnelle qui a été exigée en 2013. A ce stade, on peut regretter le volontarisme efficace de ministres tels que Michel Charasse qui avait amélioré la collecte (avec l'aide habile d'une redéfinition intelligente des missions de l'administration des douanes) et paré aux défectuosités de rendement fiscal.

Autrement dit, en propos d'ouverture, nous avons clairement évoqué l'impact de la conjoncture mais il manque des réformes structurelles (décentralisation, suivi de la TVA intracommunautaire, contrôle des prix de transfert dans les grands groupes) et des adaptations techniques que les fonctionnaires de terrain de l'administration fiscale réclament.

Au-delà de la conjoncture et de la frilosité des politiques sur la mise en place de certaines réformes, peut-on parler aussi de préférence française pour l'impôt ?

Gérard Thoris : Encore une fois, il n’y a de préférence française pour l’impôt que pour autant qu’ils sont payés par les autres. Reprenons l’exemple de l’assurance sociale. Le modèle français est vanté pour son haut degré de protection sociale. Il est plébiscité par ceux qui en bénéficient. Sauf que son financement repose sur des cotisations sociales partagées entre l’employeur et le salarié. Au départ, les taux de ces cotisations étaient strictement identiques, la première étant expliquée comme un abondement de l’employeur à l’effort d’assurance du salarié. A l’arrivée, l’essentiel des augmentations de cotisations a pesé sur les employeurs. Bien entendu, les salariés ont accepté ce système sans se rendre compte qu’ils auraient pu bénéficier d’augmentation de salaires. Le jour où il est devenu impossible d’accroître les taux supportés par les employeurs, on a inventé la notion de « dégrèvement de cotisations », ce qui revenait à les faire prendre en charge par les contribuables. Comme ceux-ci ne le voulaient pas, c’est finalement par l’emprunt que le problème a été réglé… jusqu’à aujourd’hui !

Jean-Yves Archer : Tout un pan de pensée verse vers ce slogan de "la préférence pour l'impôt " : pour monsieur de La Palice, ce thème ne fait pas grand sens sauf pour certains décideurs qui préfèrent effectivement mettre un tour de vis supplémentaire (taxez plus !) plutôt que braver le vent nécessaire de la réforme dans tel ou tel domaine.

Pour conclure, trois points doivent être rapportés ici :

1 ) Le déficit prévisionnel présenté dans le Projet de loi de finances pour 2014 est de 82,2 mds soit 15 milliards de plus que l'effort fiscal exceptionnel demandé depuis 2012. Il n'est pas interdit d'être pensif et atteint de componction.

2 ) Pour 100 euros de revenu brut primaire, il y a les charges sociales, puis l'impôt sur le revenu avant la TVA et les taxes locales, etc. Le "ras-le-bol" fiscal décrit par le ministre Moscovici n'est pas un mouvement d'humeur, c'est une vague profonde qui vient des contribuables qui n'arrivent plus à boucler leurs budgets.

3 ) Or, le graphique ci-dessous largement partagé par les économistes publics ou indépendants démontre que la hausse des prélèvements obligatoires ne va pas décroître, dans le meilleur des cas, avant 2016. Soit dans trois exercices fiscaux.

En matière fiscale, Emile de Girardin (auteur de la phrase : "Gouverner c'est prévoir ") avait vu juste en écrivant : "L'impôt sur le revenu agit comme le mors ; l'impôt sur le capital agit comme l'éperon ".

On peut donc prévoir que l'art de gouverner en France ira de pair avec les hausses fiscales.

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !