Education nationale : Nicole Belloubet enterre les ambitions de Gabriel Attal<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Société
Nicole Belloubet, ministre de l'Education nationale.
Nicole Belloubet, ministre de l'Education nationale.
©Miguel MEDINA / AFP

Désastre en perspective ?

Derrière la question des groupes de niveau, l’instruction devait être remise au cœur des missions de l’Education nationale lors du mandat de Gabriel Attal et pas l’égalité ou d’autres objectifs. En rétropédalant sur ce dossier, la ministre revient sur cet objectif-là.

Patrice Romain

Patrice Romain

Instituteur, directeur d'école puis principal de collège, Patrice Romain a pris sa retraite fin 2020, désabusé par la gouvernance de "son" école publique. Il est l'auteur d'une dizaine de livres sur l'Éducation nationale, dont le best-seller Mots d'excuse. Son dernier ouvrage est  "Requiem pour l'Education nationale - Un chef d'établissement dénonce : parents et professeurs doivent savoir !" (2021) aux éditions du Cherche Midi.

Voir la bio »

Atlantico : En annonçant renoncer au groupe de niveau, Nicole Belloubet rompt avec la ligne portée par Gabriel Attal au ministère de l’Education nationale. Quel signal envoie-t-elle à la communauté scolaire ? 

Patrice Romain : Un signal d’incohérence totale. Il suffit de voir les profils successifs des ministres de l’Éducation nationale sous la présidence Macron : Pap Ndiaye était l’antithèse de M. Blanquer, Gabriel Attal était l’antithèse de Pap Ndiaye, et Mme Bellouet se montre l’antithèse de M. Attal…

Les chefs d’établissement ont déjà remonté leur organisation pédagogique pour la rentrée 2024. J’imagine les efforts de persuasion qu’ils ont dû déployer pour convaincre certains professeurs de l’intérêt de ces groupes… Une fois de plus, ils vont passer sous les fourches caudines. Je suis étonné qu’il reste encore des couleuvres en France, après toutes celles qu’ils avalent.

Ce renoncement plaît aux syndicats majoritaires, dont les représentants sont déchargés d’élèves. Par pur dogmatisme. Les enseignants qui sont sur le terrain, eux, ne demandent qu’une chose : pouvoir exercer leur travail, leur passion, en toute sérénité, sans élément perturbateur. Or, les éléments perturbateurs sont la plupart du temps des élèves en difficulté. Où est le problème si on les met en petits groupes pour réexpliquer des notions mal acquises et, ainsi, leur redonner confiance ? Où est le problème si on pousse un élève brillant au maximum de ses possibilités, lui permettant ainsi, s’il est dans un établissement défavorisé, de lutter plus tard à armes égales avec les élèves des établissements « d’élite » (que, par ailleurs, fréquentent les enfants de tous ces donneurs de leçon) ? Pourquoi, a minima, ne pas tenter l’expérience sur plusieurs établissements volontaires, comme pour l’uniforme ? On en tirerait un bilan et on pourrait étendre la mesure ou l’abandonner, mais en ayant des arguments concrets.

L’instruction est-elle trop négligée au profil de l’égalité dans notre système ? Si oui à quand cela remonte ? 

Il y a belle lurette que « l’instruction nationale » est devenue « l’Éducation nationale », dédouanant ainsi les parents de toutes leurs responsabilités éducatives. C’est un lent processus qu’ont mis progressivement en place tous les pédagogistes depuis des décennies… Ces derniers portent une lourde responsabilité sur l’état de notre institution. À quand une enquête sur les méthodes pédagogiques des établissements qu’ils ont choisis pour leur progéniture ? Bien évidemment, leurs enfants étaient et sont scolarisés dans les « meilleurs » collèges et lycées, qui sont loin d’appliquer leurs préconisations, qui cite le nom d’un ministre concerné).

Chose incroyable pour des gens supposés intelligents, ou du moins prétendus tels : ils ne se rendent pas compte (ou alors, c’est volontaire, et encore plus scandaleux) qu’à vouloir l’égalitarisme à tout prix, ils favorisent au contraire l’inégalité d’enseignement. Je m’explique : on s’intéresse toujours aux élèves en difficulté (sans se poser d’ailleurs la question de la responsabilité des parents). C’est bien, mais à force de négliger les bons élèves, ces derniers vont dans le privé ou contournent la carte scolaire pour intégrer un « bon » établissement.  Quid de l’élève surdoué dans un collège difficile ? Faute de nourriture intellectuelle suffisante, actuellement, il rentre dans le rang. Combien la France a-t-elle ainsi perdu de grands médecins, scientifiques, chercheurs ? Dramatique car les grandes écoles qui forment les futurs dirigeants de notre pays sont de plus en plus composées d’élèves issus de CSP favorisées. Comment ces futurs décideurs comprendront-ils le peuple ?

Ce renoncement va-t-il enterrer l’héritage de Gabriel Attal rue de Grenelle ?

Quel héritage ? On retiendra l’interdiction du port de l’abaya (mesure par ailleurs indispensable) et l’expérimentation de l’uniforme (pourquoi pas, mais ce n’était pas l’essentiel). Pour le reste, notamment la volonté de ne plus taire les problèmes, les hauts fonctionnaires vont rapidement reprendre leurs mauvaises habitudes : mettre la poussière sous le tapis, dire que tout va bien, toucher leur salaire et attendre tranquillement la retraite…

L’Éducation nationale a besoin de temps, d’une vision à long terme, d’un consensus et de débats dépassionnés, avec des partenaires ouverts au dialogue une fois que le diagnostic aura enfin été posé, sans langue de bois. D’un ministre sans a priori, nommé pour ses compétences et pas en récompense de services rendus ou en préparation des prochaines élections. Clémenceau disait « La guerre est une chose trop grave pour la confier à des militaires ». Je dirais que l’Éducation nationale est trop importante pour la confier à un politique ».

Je suis très pessimiste quant à l’avenir de notre système éducatif, donc de notre pays.

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !