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Trompe l’œil : pourquoi ses bons sondages (relatifs) ne font pas d’Edouard Philippe un premier ministre fort
©SYLVAIN THOMAS / AFP

Homme providentiel

Depuis quelques semaines, au fur et à mesure que la bulle Emmanuel Macron se dégonfle, les « observateurs » patentés de la vie politique française regardent du côté d’Edouard Philippe.

Les Arvernes

Les Arvernes

Les Arvernes sont un groupe de hauts fonctionnaires, de professeurs, d’essayistes et d’entrepreneurs. Ils ont vocation à intervenir régulièrement, désormais, dans le débat public.

Composé de personnalités préférant rester anonymes, ce groupe se veut l'équivalent de droite aux Gracques qui s'étaient lancés lors de la campagne présidentielle de 2007 en signant un appel à une alliance PS-UDF. Les Arvernes, eux, souhaitent agir contre le déni de réalité dans lequel s'enferment trop souvent les élites françaises.

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D’aucuns soulignent la « pression » qu’il aurait exercée sur Emmanuel Macron au moment du remaniement. D’aucuns se plaisent aussi à souligner que si le Président de la République connaît d’extrêmes difficultés « sondagières », il faut noter qu’en la matière le Premier ministre est beaucoup moins atteint par le rejet de l’opinion. Etc.

Disons-le tout net : une telle analyse est profondément erronée. Le remaniement a justement été l’occasion pour le Président de rejeter les demandes du Premier ministre, lequel souhaitait l’entrée au gouvernement de personnalités de droite. Surtout, une telle analyse revient, à tort, à appliquer à la politique la loi physique bien connue qui veut que la nature a horreur du vide. Entendez : « si le pouvoir n’est plus ou est moins à l’Elysée, mécaniquement il se retrouve à Matignon ».
La réalité est autre. En fait de Premier ministre, Edouard Philippe, par son extrême faiblesse, s’inscrit dans une pratique bien établie. A cela, plusieurs raisons.
D’abord, politiquement, Edouard Philippe est faible. Rallié de la dernière heure après avoir trahi sa famille politique, il n’est pas le chef de la majorité présidentielle, puisqu’Emmanuel Macron l’est. Edouard Philippe n’est pas non plus un « poids lourd » de la politique, c’est à dire un politicien d’envergure et/ou de profondeur, par exemple un ex grand ministre ou un ex grand élu local (sans faire injure à la ville du Havre dont il a été un bon Maire). Il est la créature d’Emmanuel Macron, lequel pourrait s’en séparer à l’instant même où son bon vouloir le lui indiquera. Faut-il ajouter que ceci n’a rien de nouveau ? Qu’étaient les insignifiants Jean-Pierre Raffarin ou Jean-Marc Ayrault respectivement à Jacques Chirac et François Hollande ? De simples « collaborateurs », pour reprendre le mot cruel mais si juste de Nicolas Sarkozy à l’égard de François Fillon. 
Ensuite, institutionnellement, Edouard Philippe est très faible. La logique de la V em République, telle que résumée dans le Discours de Bayeux de 1946 et qui est au fondement de la pensée gaullienne, se résume en la formule célèbre : « certes on ne saurait accepter qu’une dyarchie existât au sommet de l’Etat ». La faiblesse d’Edouard Philippe s’inscrit dans cette Histoire. Emmanuel Macron également quand il envisage de supprimer carrément la fonction ou quand, à rebours de notre tradition constitutionnelle et pour singer le système parlementaire britannique, il envisage de s’adresser et répondre directement à la Représentation nationale.
Deux considérations amènent à quelque peu nuancer l’analyse.
Premièrement, la réalité juridique et administrative. Matignon est le sommet de l’administration. C’est là que se déroulent les Réunions Interministérielles (les fameuses « RIM ») où, sous l’œil acéré d’un représentant de l’Elysée prêt à faire prévaloir l’autorité du Président, l’on débat de la politique gouvernementale. Il ne faut cependant pas s’exagérer l’importance de cette dimension du sujet. Pour prendre une analogie, dans le domaine européen, il ne reste plus rien ou presque politiquement du « couple franco-allemand », si ce n’est l’habitude, qui n’est pas rien mais finalement pas grand-chose, de se parler.
Deuxièmement, et c’est plus grave, derrière la question finalement de peu d’intérêt qui consiste à savoir ce que pèse Monsieur Philippe – ravi qu’il est comme ses prédécesseurs de jouir des apparences du pouvoir – se dessine la solitude extrême du Président, dont il commence à porter le poids jusque dans sa santé personnelle. Cette solitude, c’est le péché du macronisme : prétendre tout faire seul. Car Emmanuel Macron n’a eu le temps de construire aucune véritable équipe, et en réalité il n’en veut pas car il se croit assez fort. Ainsi, Emmanuel Macron prolonge jusqu’au paroxysme le dévoiement congénital de nos instituions : l’idée qu’un homme seul, entouré de quelques conseillers, peut diriger un pays aussi complexe que la France, dans un monde qui ne l’est pas moins. 
En définitive, si par Premier ministre l’on envisage une personne qui est placée sous l’autorité du Président de la république, mais qui en réalité prime sur tout le gouvernement, y compris le Premier ministre, il ne s’agit nullement d’Edouard Philippe. Cette personne s’appelle Alexis Kohler, Secrétaire général de l’Elysée. Monsieur Philippe, quelles que soient ses qualités, n’est que le fondé de pouvoir d’un pouvoir qui se vide de l’intérieur…

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