Droit du travail, le choc de simplification Badinter-Lyon-Caen : un pari salutaire mais ambitieux<!-- --> | Atlantico.fr
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Robert Badinter et Antoine Lyon-Caen proposent de désépaissir le Code du Travail.
Robert Badinter et Antoine Lyon-Caen proposent de désépaissir le Code du Travail.
©© Michel Gile/Sipa

Au boulot !

Robert Badinter et Antoine Lyon-Caen publient "Le travail et la loi", un livre qui propose de désépaissir le Code du Travail et d'édicter 50 principes fondamentaux. Une manière pertinente de rendre le code du travail plus lisible.

François Taquet

François Taquet

François Taquet est professeur en droit du travail, formateur auprès des avocats du barreau de Paris et membre du comité social du Conseil supérieur des experts-comptables. Il est également avocat à Cambrai et auteur de nombreux ouvrages sur le droit social.

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Éric Verhaeghe

Éric Verhaeghe

Éric Verhaeghe est le fondateur du cabinet Parménide et président de Triapalio. Il est l'auteur de Faut-il quitter la France ? (Jacob-Duvernet, avril 2012). Son site : www.eric-verhaeghe.fr Il vient de créer un nouveau site : www.lecourrierdesstrateges.fr
 

Diplômé de l'Ena (promotion Copernic) et titulaire d'une maîtrise de philosophie et d'un Dea d'histoire à l'université Paris-I, il est né à Liège en 1968.

 

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Atlantico : Ces 50 principes fondamentaux sont-ils une révolution au regard du droit du travail actuel ?

Eric Verhaeghe : Non, précisément. Ces principes constituent une sorte de réduction culinaire des principes existants. En 50 principes fondamentaux rédigés de façon très claire, un peu à la manière des lois révolutionnaires, qui se souciaient d'être comprises et connues de tous, Badinter et Lyon-Caen proposent de dire les "50 vérités du droit du travail". Par exemple, sur le licenciement, les auteurs proposent la rédaction suivante: "Article 25 : Tout licenciement requiert de l’employeur qu’il informe le salarié de son projet, recueille ses observations et dispose d’un motif réel et sérieux pour y procéder." 

Badinter et Lyon-Caen proposent donc concrètement de rester dans le cadre actuel: le licenciement doit se justifier par un motif réel et sérieux. On n'est donc pas du tout dans la configuration très imprudente de Pierre Gattaz qui proposait de supprimer la justification du licenciement. Au contraire, on maintient bien ce principe et on le grave dans le marbre. Simplement, on dépouille le Droit du Travail de ses détails superfétatoires et on le "tasse" sur les principes fondamentaux: le licenciement doit s'explique par un motif réel et sérieux. 

On voit bien l'utilité de cette démarche et de cette logique. Elle consiste à rendre lisible le Code, sans l'embarrasser d'une multitude de considérations techniques qui ne relèvent pas forcément du niveau de la loi. 

Pour répondre à votre question, il n'y a donc pas de révolution, mais au contraire une consolidation des principes en vigueur actuellement dans le droit du travail.

François Taquet : Ce que disent Messieurs Badinter et Lyon-Caen n’est pas critiquable et procède même de l’évidence. Cela fait des lustres de manière individuelle que nous nous battons pour dire que la situation actuelle est inacceptable. Nous avons aujourd’hui un Code du travail qui prétend tout régir (qui nous rappelle la fin de l’empire romain) et qui contient environ 12 000 articles. Un Code que plus personne ne comprend, qui mécontente les salariés qui s’estiment paradoxalement insuffisamment protégés et par les employeurs qui estiment que ces kyrielles de dispositions constituent une entrave à l’embauche. En un mot, un code qui fait l’unanimité contre lui… mais que personne n’a songé à remettre en cause. Si le livre de Messieurs Badinter et Lyon Caen permettent une véritable prise de conscience sur la  nécessité de réformer  les relations sociales, on ne saurait que s’en féliciter !

Réorganiser le Code du travail autour de ces 50 principes impliquerait quels changements ? Pour quels résultats ?

Eric Verhaeghe : Le changement porte essentiellement sur la méthode de détermination des normes sociales.  Aujourd'hui, ces normes restent fortement fixées par la loi. C'est le législateur, et le gouvernement qui, par un tissu de lois et de décrets, créent et nourrissent le droit du travail. Cette méthode est compliquée à gérer, dans la mesure où elle impose des règles uniques à des entreprises qui sont très différentes et confrontées à des enjeux diamétralement opposés. Entre l'entreprise qui nettoie le métro et qui est forcément installée en France, et l'industrie textile qui bouge autant qu'on le veut à travers le monde, l'imposition de normes identiques n'a guère de sens. La solution Badinter-Lyon-Caen permet de garantir un socle minimal de protection à tous les salariés tout en renvoyant aux entreprises le soin de définir les détails et les suppléments. C'est en cela que le changement existe: il permet à chaque acteur de définir ses propre règles.

François Taquet : Ainsi que vous le dites, il ne s’agit ici que de principes qui ne remettent pas en cause les principes du droit du travail actuel. Le tout est de savoir ensuite comment ces principes peuvent application. Il semble que les auteurs proposent un renforcement de la négociation collective. L’idée n’est pas nouvelle mais se heurte à deux réalités : la France est un pays où les syndicats sont sous représentés (7% contre par exemple plus de 50% en Belgique) et où les TPE (où les syndicats sont totalement absents) représentent plus de 80% des entreprises. Dans ces conditions, la proposition des deux auteurs n’est pas aussi simple qu’il n’y paraît !

Une telle approche est-elle conforme à la réalité actuelle du marché du travail ? Est-elle adaptée à toutes les structures d'entreprises ?

Eric Verhaeghe : Pour mettre en place un système de ce genre, il faut forcément parier sur la capacité des entreprises à négocier des accords majoritaires partout où la loi existe aujourd'hui. Cela me semble possible, mais c'est un pari et il suppose une évolution substantielle des mentalités. Les employeurs français ne sont pas tous, loin de là, des grands défenseurs du dialogue social interne. Beaucoup sont habitués à râler contre l'Etat, mais à attendre que celui-ci fasse tout. Passer à un système sans Etat, ou presque, mais fondé sur une logique de négociation est une évolution en profondeur qui aura un impact fort sur la conception du syndicalisme et de l'action patronale. En particulier, il faut passer d'une culture de la confrontation politique, du rapport de force, à une culture de négociation. Je ne suis pas extrêmement pessimiste, au contraire, sur le sujet: nécessité fait loi et beaucoup de syndicalistes pratiquent de longue date, dans les entreprises, les négociations sociales. Il faut juste parvenir à ce que cet état de fait qui est vécu comme contraire à la culture dominante des syndicats, devienne la règle naturelle dans le domaine du droit social.

De mon point de vue, pour favoriser ce mouvement, l'Etat doit jouer à fond la carte de l'incitation fiscale. Il ne serait pas absurde de concentrer sur les entreprises qui négocient l'effet des allègements de cotisations qui coûtent grosso modo 30 milliards aujourd'hui en année pleine.

François Taquet : Il est quelque chose de pathétique dans ce pays, c’est que personne ne songe d’abord à réformer le code du travail tel qu’il est afin de le rendre plus simple et plus abordable ! On préfère proposer des solutions extrêmes dont on sait qu’elles sont sans avenir ! Soyons francs, la France depuis des décennies est incapable de faire des grandes réformes telle que celle proposée par les deux auteurs ! Dans un pays qui est incapable de réformer sa fiche de paie ou de simplifier les 38 formes de contrat de travail, contentons nous donc de ce qui est possible. N’est-il pas vrai que la politique est l’art du possible ! Sans aller jusqu’à la réforme proposée par les auteurs, ne serait pas envisageable de réécrire la législation relative à la durée du travail ou à la procédure de licenciement économique, où plus personne ne comprend rien, en la simplifiant et en la rendant lisible !  En serions-nous à ce point où le droit du travail serait uniquement une affaire de spécialistes ? Ainsi, qui est aujourd’hui capable de rédiger un contrat de travail à déterminée et à temps partiel de 20 h semaine ? Pourquoi serions-nous plus mauvais que nos voisins européens qui savent créer des textes plus simples, lisibles et souvent avec un contentieux moindre.

Quels sont aujourd'hui les vices principaux du Code du travail ? Comment expliquer qu'il soit si difficile de le changer ? Faut-il forcément le casser pour corriger ses défauts ?

Eric Verhaeghe : Le Code du Travail s'est, avec le temps, perdu en une multitude de détails techniques insignifiants, totalement incompréhensibles et indigestes pour un chef d'entreprise normalement constitué. Il est regrettable que cette rédaction soit largement le fait d'une concertation régulière avec certains mouvements patronaux qui ont trouvé très utile de protéger les entreprises établies dans leur secteur contre la concurrence des nouveaux entrants. L'épaisseur des textes a constitué un sérieux éteignoir pour la concurrence. IL faut aujourd'hui avoir le courage politique d'ouvrir les portes et les fenêtres pour donner de belles doses d'oxygènes aux nouveaux entrants.

François Taquet : Depuis des décennies, nous vivons avec l’idée que plus un Code du travail est fourni, plus il est rassurant et plus il protège le salarié. Ce qui est une absurdité lorsque l’on regarde le code du travail suisse ou allemand. On sait en outre que le sujet est très sensible à gauche. Quant à la droite, elle ne doit pas oublier non plus que c’est sous le gouvernement Fillon qu’a été promulgué le code du travail de 2008 dont elle se plait aujourd’hui à dénoncer l’obésité. En un mot, il faudrait de la part des hommes politiques une véritable volonté de réformer cette situation. Existe-t-elle ?

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