Drogue : quand les cadres sup’ deviennent addicts<!-- --> | Atlantico.fr
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Près de la moitié des salariés français seraient confrontés à des collègues addicts à des substances toxiques ou à des comportements de dépendance
Près de la moitié des salariés français seraient confrontés à des collègues addicts à des substances toxiques ou à des comportements de dépendance
©Archives AFP

Épidémie silencieuse

Sous pression, stressés, débordés ... Les pratiques addictives n’épargnent pas les cadres supérieurs. Selon un sondage réalisé par l’Institut Elabe en 2019, près de la moitié des salariés français sont confrontés à des collègues addicts à des substances toxiques ou à des comportements de dépendance.

Jean Doridot

Jean Doridot

Le Dr Jean Doridot  est psychologue, spécialiste des addictions.

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Atlantico : La consommation de drogue dans les classes aisées et dans les catégories socio-professionnelles supérieures est une réalité indéniable. Cependant, avons-nous une idée de la prévalence de ce phénomène et peut-être des raisons pour lesquelles il est moins évoqué ?

Jean Doridot : Que ce soit dans la jet-set ou dans les cercles de la haute finance, une certaine fascination entoure depuis toujours la mythologie des traders à succès, comme le montre le succès de livres tels qu'American Psycho. Cependant, cette image est depuis toujours associée aux classes privilégiées. Certes, cette mythologie persiste, mais qu'en est-il dans la réalité ? En pratique, il est vrai que l'on peut constater que personne n'est à l'abri de l'addiction. Je dirais que personne n’est immunisé contre la dépendance aux substances, car cela touche toutes les tranches d'âge, toutes les catégories socio-professionnelles et tous les genres. Bien sûr, il y a des spécificités liées aux différents produits. Par exemple, nous constatons aujourd'hui qu'il y a plus de femmes fumeuses que d'hommes, alors que c'était le contraire par le passé. Mais, les choses évoluent et nous sommes tous égaux en termes de risque face à la dépendance et aux substances.

Il est intéressant de noter que dans certaines études révèlent en réalité une surconsommation de certaines drogues chez les cadres, par rapport au reste de la population.

Qu’est ce qui peut expliquer est les raisons spécifiques qui peuvent faire que les cadres supérieurs deviennent addicts à certaines substances ? 

La quête de performance est une réalité pour de nombreuses personnes. Il est normal que celles-ci, étant très sollicitées à la fois sur le plan professionnel et familial, ressentent une forte pression. Elles sont exigeantes envers elles-mêmes et cherchent donc des ressources pour faire face à ces exigences. Bien entendu, elles deviennent de bons clients, que ce soit pour des aides médicales légales prescrites par des professionnels tels que des médecins ou des psychiatres, ou pour des troubles du sommeil qui nécessitent la prescription de somnifères ou d'anxiolytiques en raison du stress intense lié à leur travail. Cette réalité est documentée par la science et il est bien connu que ces substances, bien qu'elles soient prescrites, peuvent créer une accoutumance voire une dépendance nécessitant une gestion lors du sevrage. On pourrait les qualifier de "drogues littéraires sur ordonnance", bien que le terme ne soit pas très approprié. Il est indéniable que les laboratoires pharmaceutiques jouent un rôle dans cela.

En outre, il y a aussi les substances légales traditionnellement utilisées, telles que le tabac et l'alcool. Ces dernières années, les entreprises sont devenues plus vigilantes et assument davantage de responsabilités. Ainsi, la plupart des règlements internes interdisent la consommation d'alcool sur les lieux de travail. Cependant, certaines traditions d'alcoolisation persistent, notamment dans certains milieux professionnels. J'ai moi-même entendu parler de camarades de promotion travaillant dans le secteur du conseil, même dans de prestigieuses entreprises, où les traditions d'alcoolisation massive sont encore présentes lors de séminaires résidentiels ou d'événements festifs. Quant au tabac, bien qu'il soit désormais interdit de fumer dans les locaux professionnels, la tradition de la pause cigarette perdure, comme on peut le constater dans les environs des tours de La Défense.

En ce qui concerne la consommation de drogues illicites, les cadres supérieurs ne sont pas des extraterrestres. La consommation de cannabis est très répandue en France, où nous sommes champions d'Europe dans ce domaine. Quant à la consommation de cocaïne, dans mon expérience clinique du moins, c'est la drogue illicite la plus fréquemment observée, bien plus que la kétamine. Il est évident que les cadres supérieurs en consomment également, parfois de manière quotidienne, comme le cannabis, dans le but de se détendre. Cependant, ils réalisent est que cela ne fonctionne plus, car tous les produits présentent les mêmes effets et, à un certain point, une tolérance-dépendance se développe. Par conséquent, ils viennent me consulter pour essayer de sortir de cette dépendance, car ils augmentent la consommation d'autres substances pour obtenir des effets de plus en plus faibles.

Est-ce qu’ils deviennent aussi addicts parce qu’ils ont les moyens d'accéder plus facilement aux substances parce qu'ils ont l'argent ?

Lorsqu'une personne devient toxicomane, l'argent pour acheter la drogue ne pose jamais de problème. Je n'ai que très rarement rencontré des cadres qui me disaient : "Je prends de la drogue telle que la cocaïne car j’ai l’argent pour". Il est clair que dans ces environnements, les produits circulent. Les habitudes de consommation se développent pendant les études, voire dès les études supérieures. Je ne me souviens pas avoir vu cela pendant mes classes préparatoires, mais il est probable que cela existe. En revanche, une fois qu'ils sont à l'école et qu'ils ont réussi leurs concours d'entrée, ils se lâchent. C'est à ce moment-là qu'ils commencent à consommer des substances qu’ils disent « de manière récréative ». Les habitudes de consommation se forment, et à force d'une consommation dite récréative, ils peuvent se retrouver à dire : "Eh bien, c'est vrai que le matin, j'ai du mal à démarrer. J'ai veillé tard hier soir et il me reste un petit peu de drogue. J'en prends un peu pour me remettre en marche". Dans cette optique, il est évident que, gagnant bien leur vie, la question de l'argent pour la consommation est moins compliquée. Mais le cannabis, par exemple, a un coût non négligeable, mais ils trouvent toujours l'argent. Hier encore, j'ai eu affaire à une femme qui n'est pas aisée financièrement et qui fume cinq joints par jour. Dans mon métier, cela est extrêmement fréquent.

Il est vrai que dans les clichés, il peut exister cette idée collective selon laquelle un toxicomane est facilement reconnaissable. Mais en réalité, ce ne sont pas des personnes désocialisées, marginalisées ou exclues. Malgré leur consommation de substances, ils sont clairement capables de mener une vie professionnelle.

Est-ce qu’il y a des marqueurs qui font supposer que quelqu'un a un problème d'addiction ? 

Certains indicateurs existent en effet, prenons par exemple l'alcool. On peut clairement remarquer la différence. Dans de grandes entreprises, lors d'un cocktail, certaines personnes vont prendre une petite coupe pour célébrer, mais il peut y avoir une personne qui boit de manière excessive et qui finit par être ivre. Ainsi, dans un contexte festif, cela peut être un signe que cette personne a peut-être un problème avec l'alcool. Elle n'a pas la capacité de se limiter dans sa consommation comme les autres. Cela peut être un indicateur. En ce qui concerne les substances illégales, c'est peut-être encore plus tabou. Les signes peuvent inclure des troubles cognitifs, des oublis fréquents, des changements d'humeur. Il peut y avoir également des changements physiques soudains, comme une perte ou une prise de poids importante, ainsi que des retards répétés à des rendez-vous. Alors qu'auparavant, cette personne était performante, compétente, tout d'un coup, elle ne l'est plus. Elle peut sortir de ses gonds, s'emporter facilement. Ce à quoi il faut être attentif, ce sont les changements.

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