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Le député de La France Insoumise Sébastien Delogu et Rima Hassan, lors d'un rassemblement à Paris le 29 mai 2024
Le député de La France Insoumise Sébastien Delogu et Rima Hassan, lors d'un rassemblement à Paris le 29 mai 2024
©ZAKARIA ABDELKAFI / AFP

Manœuvre politique

Depuis le début du conflit à Gaza, la France Insoumise (LFI) s'enfonce dans une dérive mortifère, qualifiée notamment par des appels à la sédition et à l'insurrection de moins en moins masqués.

Vincent Tournier

Vincent Tournier

Vincent Tournier est maître de conférence de science politique à l’Institut d’études politiques de Grenoble.

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simone rodan

Simone Rodan-Benzaquen

Simone Rodan-Benzaquen est Directrice Générale d'AJC Europe.

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Atlantico : Depuis le début du conflit à Gaza au moins, la France Insoumise (LFI) s'enfonce dans une dérive mortifère, qualifiée notamment par des appels à la sédition et à l'insurrection de moins en moins masqués. Faut-il penser que la ligne politique tenue par Rima Hassan, notamment, est le fruit d'une ingérence étrangère ? 

Vincent Tournier : Le moins qu’on puisse dire, c’est que La France Insoumise ne cherche pas à apaiser les tensions qui sont déjà bien fortes dans la société française. Cette stratégie de radicalisation et de polarisation répond-elle à une influence étrangère ? C’est une hypothèse audacieuse, mais que l’on ne peut exclure complètement. Il est désormais établi que plusieurs pays tentent de déstabiliser la France, comme l’a montré un rapport parlementaire sorti l’an dernier (https://www.vie-publique.fr/rapport/289824-ingerences-politiques-economiques-financieres-de-puissances-etrangeres). On parle de la Russie et de la Chine, mais aussi de la Turquie, de l’Iran ou du Qatar. En Nouvelle-Calédonie, le rôle de l’Azerbaïdjan dans les émeutes a été évoqué. 

Ces interventions étrangères ne relèvent donc pas d’un fantasme. Beaucoup de pays sont désireux de voir la France empêtrée dans les difficultés, d’autant que l’Occident en général devient désormais la cible d’une hostilité croissante. Pour compliquer le tout, force est de reconnaitre que, si les ingérences étrangères existent, c’est aussi parce que les démocraties libérales les facilitent. En multipliant les droits individuels et en ouvrant les frontières, les Etats européens ont rendu les protections plus difficiles. L’immigration a créé de multiples diasporas sur le territoire européen, ce qui permet aux Etats étrangers de bénéficier d’avoir leurs réseaux et leurs relais. Une personnalité comme Rima Hassan n’aurait probablement pas la même notoriété si elle ne bénéficiait pas du soutien de nombreuses associations pro-palestiniennes qui se sont développées au cours des dernières années, souvent avec le soutien des pouvoirs publics. 

Simone Rodan : Tout d’abord il faut comprendre que cette dérive n'a pas commencé avec le récent conflit à Gaza. Elle est le fruit d'une stratégie longuement mûrie et soigneusement exécutée par Jean Luc Melenchon et son parti, la France Insoumise. Les éléments de cette dérive idéologique sont nombreux et bien documentés. Cela fait longtemps que Melenchon et certains de ses acolytes montrent une hostilité marquée envers Israël et joue de manière manifeste avec l’antisémitisme,  en parlant de « génuflexion devant le Crif », en accusant le grand rabbin d’Angleterre d’être responsable de l'a défaite de Jeremy Corbyn au Royaume-Uni ou encore d’inviter ce dernier, connu pour son antisémitisme à Paris. 

Cette dérive s'accompagne d'une alliance dangereuse avec des individus et des organisations peu fréquentables, comme en témoigne leur participation à la marche contre l'islamophobie aux côtés de groupes islamistes il y a quelques années. LFI a adopté une stratégie du chaos et de la provocation, visant à affaiblir les institutions démocratiques de l'intérieur et la question d’Israel y joue un rôle central. La nomination de Rima Hassan comme candidate dans la liste pour les européennes est un choix emblématique de cette stratégie. Elle représente la faction la plus radicale du mouvement pro-palestinien, opposée à une solution à deux États, considérant les actions du Hamas légitimes et prônant une Palestine s'étendant de la rivière à la mer. Jeune et active sur les réseaux sociaux, elle utilise surtout la provocation et la haine pour mobiliser ses « followers », stratégie parfaitement alignée avec celle de LFI.

Quant à l’ingérence étrangère, je n'ai pas d'élément qui me permet de l'affirmer mais il serait tout à fait plausible qu’elle soit liée à une puissance étrangère. Nombreux sont ceux qui se posent la question de son lien avec la Syrie, sachant qu’elle est intervenue pour des chaînes pro-Hezbollah et pro-Assad, et a voyagé sans entrave en Syrie, ce qui semble peu compréhensible quand on connaît le fonctionnement du régime d’Assad. Nous savons aussi que des régimes autocratiques exploitent les failles de notre système démocratique. Des pays comme la Russie, le Qatar, la République islamique d’Iran et la Chine ont tout intérêt à alimenter les tensions internes pour affaiblir l’Europe. Des preuves existent partout : sur les réseaux sociaux, les chaînes telles qu’Al Jazeera et son bébé AJ+ sont utilisées par le Qatar, la Russie a été derrière les tags d’étoiles de David et les mains rouges peintes sur le mémorial des Justes, et aux États-Unis, nous savons que les réseaux chinois financent en masse les manifestations les plus radicales propalestiniennes. L’objectif est d’exacerber les divisions et de déstabiliser nos sociétés. Et cela fonctionne.

Dans quelle mesure peut-on légitimement penser que la France Insoumise agit sur la base d'une stratégie politique réfléchie, visant notamment à provoquer les identitaires de droite en vue, peut-être, de récupérer les fruits d'une potentielle élection de Marine Le Pen en 2027 ?

Vincent Tournier :Encourager la polarisation et le désordre, voire la confrontation, est très probablement un objectif que poursuit LFI. Pour autant, la stratégie principale de ce parti semble plutôt viser à profiter du conflit israélo-palestinien pour créer un électro-choc auprès de ses principaux électorats. En l’occurrence, on peut présumer qu’il vise d’une part les jeunes gagnés par les théories wokistes et décoloniales, d’autre part les électeurs issus de l’immigration où l’antisémitisme est très présent. Ces deux électorats étant traditionnellement très abstentionnistes, LFI espère sans doute marquer les esprits à travers des positions outrancières de façon à inoculer un puissant désir d’aller voter en sa faveur. 

Cette stratégie n’est cependant pas sans risque. En misant toute sa campagne sur la question de Gaza, LFI néglige totalement les questions économiques et sociales, ce qui laisse le champ libre au RN. De plus, LFI fait le pari que l’interdit de l’antisémitisme a disparu ou du moins s’est fortement atténué en France. Certes, un tel pari n’est pas complètement absurde puisqu’on voit bien que la gauche se permet aujourd’hui de tenir des propos sur les Israéliens ou les juifs qui n’auraient jamais été tolérés s’ils avaient été proférés par Jean-Marie Le Pen ou des membres de son parti. 

Malgré tout, il y a un risque pour LFI. La mémoire du génocide des juifs reste très présente et l’islamisme est vu comme un ennemi absolu pour une grande majorité de Français. Les derniers résultats de l’Eurovision ont même montré que les Européens ont de la sympathie pour les Israéliens, même s’ils sont soucieux du sort des civils palestiniens. La stratégie qui consiste donc à « nazifier » Israël est tellement brutale et caricaturale qu’elle peut se retourner contre ses partisans et transformer LFI en nouveau paria.

Simone Rodan : Je pense qu'il est parfaitement légitime de penser que Jean-Luc Mélenchon et Marine Le Pen, bien que politiquement opposés en apparence, sont devenus des alliés objectifs. Leur stratégie commune semble viser à exploiter et exacerber les tensions internes pour provoquer un bouleversement républicain. Les Juifs, souvent perçus comme un rempart contre l'ascension du Rassemblement National, sont aujourd'hui ciblés par les deux camps.

L'antisémitisme reste pour le RN le dernier obstacle à sa dédiabolisation complète et à son accession au pouvoir. C'est pourquoi Marine Le Pen se positionne comme un bouclier contre l'antisémitisme,  en essayant de normaliser son image. De l'autre côté, Mélenchon adopte une posture de plus en plus provocatrice et extrême, visant ouvertement les Juifs et Israël.

En ciblant par exemple le CRIF et en l'accusant régulièrement d'être d'extrême droite, LFI met non seulement les Juifs en danger mais cherche également à briser la barrière qui empêche la normalisation du RN. En associant subtilement les Juifs à l'extrême droite dans l'esprit des Français, il tente de faire sauter cette barrière, facilitant ainsi la victoire du RN, ce qui le positionnerait alors comme l'unique figure de l'opposition et le « résistant » face à une présidence RN.

Que dire de la façon dont certains, au sein de la FI, n'hésitent pas à mentir ou à dissimuler certains éléments pour mieux présenter Israël comme un monstre ?

Simone Rodan : La diabolisation d'Israël par La France Insoumise est une constante depuis longtemps. Ce processus ne date pas du 7 octobre dernier mais s'enracine dans une vision qui cherche à nazifier Israël, à le présenter comme un État coupable des pires atrocités. 

Cette haine passionnelle envers Israël s'est manifestée de manière éclatante lors du pogrom  du 7 octobre où les députés LFI étaient incapables même d'appeler le Hamas une organisation terroriste. Depuis, ils ont continué à justifier et excuser cette violence. Ils utilisent le vocabulaire de la justice sociale, de l’antiracisme, des droits de l’homme et de l’anticolonialisme comme un cheval de Troie pour légitimer la haine d'Israël et l'antisémitisme, transformant ainsi cette vieille haine en quelque chose d'acceptable pour leur public.

Israël est régulièrement accusé de « nettoyage ethnique » et de « colonialisme », décrit comme un « État suprémaciste blanc » engagé dans des pratiques d’apartheid et de génocide, et cela pas uniquement depuis le 7 octobre. Israël, les sionistes et leurs soutiens représentent ainsi l’incarnation du mal. Il n’est donc pas étonnant qu’Aymeric Caron les considère comme n’appartenant « pas à la même espèce humaine ». Il s'engage dans une démarche de déshumanisation des “sionistes”, et essaie de la faire passer pour la forme la plus suprême et pure de l’humanisme.

Peut-on parler, comme le fait notamment l'historien Georges Bensoussan, de dérive fasciste de Doriot à la France Insoumise ? Jusqu'où la France Insoumise peut-elle réellement déstabiliser la démocratie et par quels moyens ?

Vincent Tournier :Il faut évidemment rester prudent sur les comparaisons historiques car les situations ne sont jamais comparables. George Bensoussan a néanmoins le mérite de rappeler que l’extrême-gauche a eu sa part de responsabilité dans la montée du fascisme, non seulement parce qu’elle a créé un contexte de peur et de trouble qui a provoqué une violente réaction anti-communiste, mais aussi parce qu’elle a fourni des hommes. Le cas de Jacques Doriot, ancien membre du Parti communiste, n’est pas rare. Mussolini lui-même venait de la gauche socialiste. 

Au-delà de ce rappel historique, l’analyse de George Bensoussan montre surtout que les clivages se déplacent. Qui est fasciste aujourd’hui ? Jusqu’à présent, la réponse ne faisait guère de doute. Le fascisme, pensait-on, était bien identifié : c’était le FN/RN. Or, le conflit israélo-palestinien vient rebattre les cartes. Si on considère que la haine des juifs est le marqueur de l’extrême-droite, peut-on encore considérer le RN comme un parti fasciste, lui qui se place justement du côté des juifs au point d’avoir reçu le soutien de Serge Klarsfeld ? Inversement, en se positionnant contre Israël, la gauche radicale n’est-elle pas en train de sortir du spectre des partis fréquentables ? La gauche risque ici de payer son usage immodéré de la référence au fascisme : après l’avoir utilisé à tout bout de champ pour fragiliser la droite, elle va devoir s’expliquer à son tour, ce qui ne va pas faciliter les alliances à gauche. La NUPES aura bien du mal à se reconstituer après les élections européennes. 

Simone Rodan : Il est indéniable que LFI va très loin dans sa volonté de déstabiliser la démocratie française. La stratégie de LFI repose sur une opération de délégitimation bien orchestrée visant à tromper, discréditer, obstruer et détruire. Nous voyons ceci sur absolument tous les sujets à l’Assemblée Nationale ; l’incident du drapeau palestinien est juste le dernier « happening » en date. LFI  déforme également les faits pour créer sa propre réalité politique. Par exemple, Melenchon avait clamé être en tête dans 500 circonscriptions après le premier tour des législatives, alors que le chiffre réel était de 380. Tout est outrance et mensonge.  Mathilde Panot avait qualifié  le gouvernement comme exerçant le « pouvoir par effraction ». Elle a même traité la Elisabeth Borne d'« anomalie démocratique ». Ces actions et déclarations participent à un climat de méfiance généralisée et de chaos. 

Dans quelle mesure LFI peut-elle s'appuyer sur la sociologie de son électorat pour nourrir de tels objectifs ?

Vincent Tournier :La ligne d’un parti dépend effectivement de ses sympathisants. Or, il est frappant de constater que l’activisme revient en force chez les militants de gauche. On le voit aujourd’hui avec la mouvance pro-palestinienne mais on a pu l’observer auparavant avec l’écologie, la cause animale, le déboulonnage des statues, etc. Une certaine radicalisation est donc perceptible, qui se nourrit sans doute des rancœurs plus anciennes contre la police et les institutions démocratiques. L’extrême-gauche peut aussi avoir le sentiment que la situation lui échappe. Sa frustration est d’autant plus grande qu’elle est convaincue de détenir la vérité et qu’elle considère que tous ceux qui ne sont pas d’accord avec elle représentent un danger qu’il faut éradiquer. Sur le terrain, la situation est donc souvent très tendue. Les manifestations étudiantes s’accompagnent désormais régulièrement de dégradations et de blocages, on refuse de débattre, on veut chasser les contradicteurs. On sent que les passions sont à vifs, notamment sur la question palestinienne, qui prend désormais une place démesurée au point de faire oublier tout ce qui se passe dans le reste du monde. Or, dès lors que les manifestants adoptent une grille manichéenne qui oppose des bourreaux et des victimes, dès lors également que la dramatisation est extrême puisqu’ils parlent d’un génocide, il est logique d’en conclure que tous les moyens d’action sont légitimes. Pour l’heure, la violence contre les personnes reste heureusement contenue, mais le climat est malsain et pourrait évoluer rapidement en fonction de la situation internationale.

Simone Rodan : Il semble assez évident que La France Insoumise a délibérément choisi de cibler les Français musulmans, notamment les banlieues, en instrumentalisant à outrance la question de Gaza et en attisant la haine d'Israël. Cette stratégie repose pourtant sur une vision simpliste et, d'une certaine manière, raciste, qui suppose que cette partie  de la population serait facilement mobilisable autour de ces thématiques. Cependant, cette approche n'a pas porté les fruits escomptés, comme en témoignent les résultats mitigés dans les sondages.

Face à ce constat, LFI a ajusté sa stratégie. Observant une mobilisation croissante autour de la Palestine, largement influencée par le mouvement woke, LFI a recentré ses efforts pour attirer les jeunes et les étudiants. Cette adaptation stratégique est évidente dans la multiplication des interventions de LFI dans les universités. En se tournant vers ce public, LFI espère capitaliser sur l'énergie et l'engagement des jeunes étudiants, sensibles aux discours anti-impérialistes et anticolonialistes (tronqués).

En ciblant les universités, LFI cherche à mobiliser une jeunesse politisée, souvent active sur les réseaux sociaux, et capable de relayer leurs messages et de galvaniser l'opinion publique. C’est aussi une jeunesse beaucoup plus perméable aux préjugés antisémites et à la justification de la violence. Nous l’avons vu dans notre radiographie de l’antisémitisme, publié il y a quelques semaines : 35 % des moins de 25 ans estiment justifié de s’en prendre aux juifs en raison de leur soutien supposé à Israël. Cette stratégie a pour LFI le triple avantage de maintenir leur présence médiatique, d'exercer une influence sur les futurs leaders d'opinion et surtout de permettre à maintenir ce sentiment de chaos et tension constante.

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