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Fraudes sociales

20 milliards d'euros de fraudes sociales : c'est le chiffre cité dans le rapport sur la fraude sociale qui a déjà fuité dans la presse mais sera publié in extenso ce mercredi. L'auteur du rapport, le député UMP Dominique Tian a répondu à Atlantico, sans langue de bois, en insistant sur la nécessité de faire plus pour débusquer les fraudeurs.

Dominique Tian

Dominique Tian

Dominique Tian est député (UMP) de la 2ème circonscription des Bouches-du-Rhône.

Il est l'auteur d'un rapport sur les fraudes sociales, rendu public en juin 2011.

 

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Atlantico : Comment en êtes-vous arrivé à chiffrer dans votre rapport la fraude sociale en France à "20 milliards d'euros, soit 44 fois plus que la fraude actuellement détectée" ? La Cour des comptes évoque elle plutôt 10 à 15 milliards...

Dominique Tian : Les chiffres de la Cour des comptes portent sur les prestations sociales. Cela correspond à environ 3 milliards d’euros, un chiffre que j’ai repris complètement. Après il existe la fraude aux prélèvements, c’est-à-dire tout l’argent qui ne rentre pas, notamment pour la Sécurité sociale. Cela correspond environ à 13 à 14 milliards d’euros (essentiellement le travail au noir). Il faut ajouter 2,5 milliards d’euros au titre des charges sociales non payées ou dissimulées, par exemple. Donc nos chiffres correspondent à la fois aux estimations du Conseil des prélèvements obligatoires (qui fait autorité en la matière) et aux chiffre de la Cour des comptes. On arrive bien à 20 milliards qui est, selon moi, un chiffre minimum.

Les fraudes correspondent à un ensemble assez hétérogène... Qu’est-ce qui est le plus fraudé ?

Pour ce qui concerne le volet prélèvement, le plus fraudé, c’est le travail au noir. C’est assez logique car il correspond à un nombre important de salariés et donc à des sommes conséquentes.

Nous nous sommes intéressés à la fraude, mais nous aurions pu nous nous concentrer sur les abus : par exemple, les arrêts de travail abusifs, les surfacturations expliquées par tel ou tel professionnels, les médecins hyper-prescripteurs, les malades hyper-consommateurs, etc. Dans ce cadre là on arrive à des sommes exorbitantes car elles correspondent au budget important de la Sécurité Sociale. En quantité, il s’agit donc de quelque chose de très fraudé.

Autre exemple extrêmement fraudé : l’ex-allocation de parent isolé (API), devenu aujourd’hui RSA majoré...

Peut-être parce que ce n’est pas si compliqué à frauder ?

Évidemment ! On vous informe 48h à l’avance par une lettre recommandée de la CAF que l’on va venir vous visiter pour vérifier si vous vivez vraiment seul… Il faut vraiment être stupide pour ne pas prendre ses dispositions ! Sortons de ces absurdités ! Ce que nous proposons : que les gens fassent la preuve qu’ils sont isolés économiquement. Pas géographiquement ou physiquement. Ce que l’on veut c’est qu’ils puissent prouver que ce sont eux et eux seul qui payent la cantine des enfants, supportent les charges et que ça vaille la peine qu’on les aide financièrement.

Autre fraude classique : les pensions versées à l’étranger. Un million de personnes reçoivent leur retraite à l’étranger. C’est beaucoup de monde à contrôler ! La règle qui prévaut c’est que ces personnes doivent fournir chaque année un certificat de vie. Mais, puisque l’on sait que dans certains pays il est difficile de vérifier cela, nous proposons dans notre rapport que la preuve soit apportée via une carte vitale biométrique.

Qui est responsable de toutes ces fraudes ?

Tout d’abord, ceux qui sont responsables de l’encaissement des sommes c’est l’Etat et les organismes sociaux. C’est donc leur problème. Si le système est fraudé c’est qu’il est facile à frauder ! Avec une simple photocopie d’un bulletin de salaire et une fausse carte d’identité, j’ai montré qu’on pouvait s’inscrire comme chômeur. Ce système a été dénoncé, un certain nombre de mesures ont été prises, mais sans doute pas suffisamment.

Je pense que des gens ont compris qu’il était facile de contourner le système et en profitent. Une fraude organisée existe donc dans certains métiers où la situation doit être assainie (bâtiment, restauration, etc).

Mais finalement ce système arrange tout le monde : à la fois les employeurs et les salariés…

C’est un système qui arrange tout le monde, évidemment… mais c’est aussi un système qui n’arrange personne ! Le salarié perd en retraites (cotisations, etc) et ce système crée une distorsion de concurrence entre les entreprises qui respectent les règles et les autres.

Votre rapport n’a-t-il pas trop tendance à mettre finalement plus en avant les fraudes des salariés plutôt que celles des employeurs ?

C’est faux. Nous évoquons ce problème et indiquons que le gouvernement n’en fait pas assez. On pourrait théoriquement récupérer 44 fois plus !

Par ailleurs, nous proposons la possibilité d’intervenir en « flagrance sociale », c’est-à-dire en contrôlant le travail au noir sur le terrain. On peut ainsi, par exemple, interrompre pendant des semaines un chantier si l’on constate que l’entreprise emploie des travailleurs au noir.

J’ai lu que Didier Migaud, le Premier Président de la Cour des comptes, un socialiste, souhaitait que la Sécurité sociale soit en équilibre : pour cela, il faut économiser 20 milliards d’euros. Il faut s’y mettre ou alors on continue dans le gaspillage et l’égoïsme. Je pense qu’il faut être offensif en la matière, dénoncer les abus, dénoncer les magouilles, dénoncer les 10 milliards d’euros dépensés dans les hôpitaux en frais médicaux inutiles (ce n’est pas moi qui le dis, c’est la Fédération hospitalière de France). Un jour viendra l’heure de vérité, dans un an ou dans dix ans, et on se rendra compte qu’il faut bien-sûr soigner, mais que les comportements déraisonnables c’est fini ! Je pense, par exemple, aux arrêts de travail dans les collectivités locales.

Mais parmi les fraudes que vous décrivez dans le rapport, certaines ne sont-elles pas involontaires ?

Une fraude involontaire, ce n’est pas une fraude !  On a été très précis : la fraude est intentionnelle. Si l’on prend tous les abus, la somme dépasse les 20 milliards ! Il y a fraude quand il y a intention de frauder.

N’est-ce pas difficile de mesurer l’intention ?

Quand vous grillez un stop, le policier ne se préoccupe pas de savoir si vous en aviez l’intention ou pas…

Certaines fraudes ne peuvent-elles pas, par exemple, être le fait de dossier remplis maladroitement ?

C’est pour cela que nous préconisons le face-à-face : si quelqu’un est en face de vous et vous demande si vous habitez seul, pour quelles raisons, montrez-moi,... cela change la nature des choses.

On ne peut pas se retrouver dans une situation ou quelqu’un déclare 135 enfants ! C’est vraiment arrivé. Bien-sûr, c’est un cas extrême, mais si cette absurdité est possible, vous savez… Selon moi, je pense notamment que sur les usurpations d’identité, il y a beaucoup de soucis à se faire et que des dizaines de milliers de personnes sont hors la loi. C’est un problème que la carte nationale d’identité biométrique qui s’apprête à voir le jour devrait résoudre.

Dans notre rapport, nous sommes allés jusqu’au bout du système par l’absurde en proposant une « prime de présentéisme ». On pourrait dire aux gens : "si vous venez travaillez et n’êtes pas en arrêt maladie, on vous offre une prime". Certains hôpitaux l’ont déjà expérimentée : ils ont diminué le coût de l’intérim et ont économisé beaucoup d’argent.

Vous pensez que la fraude est un problème culturel en France ?

Oui, mais pas seulement. Cela vient également du mode d’organisation français : environ 4000 systèmes de services sociaux versent des prestations. C’est donc extrêmement éparpillé et ne favorise pas le contrôle et la vigilance.

La lutte contre la fraude n’était pas au rendez-vous, même au sein de l’UNEDIC. On part du principe que le système est riche et qu’après tout si la paix sociale ne coûte que cela ce n’est pas trop grave… La vérité c’est que le système est vite détourné. Si le prix du travail est aussi élevé en France, c’est en partie à cause de tout cela. Nous avons un million de personnes qui sont au RSA, dans l’assistanat, auquel il ajoute le travail au noir. Par conséquent, les gens qui travaillent et se lèvent tôt subissent ceux qui abusent du système.

Cela ne concerne-t-il pas malgré tout une minorité de personnes ?

Écoutez, j’ai été Conseiller général. Je sais comment était attribué le RMI : sans contrôle, sans visite de domiciliation et puis – disons-le franchement – si vous connaissiez un Conseiller général, vous pouviez avoir le RMI… Heureusement, avec le RSA, les choses se sont largement améliorées. Le gouvernement a mis fin à des absurdités totales.

Notre rapport propose finalement des mesures de bon sens : l’égalité doit être la même sur tout le territoire.

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