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Djihad : la Chine confrontée à une menace grandissante à son tour
©Reuters

Montée en puissance

Trois cent Chinois, en quasi intégralité des Ouïghours du Xinjiang, sont partis combattre aux côtés des islamistes au Moyen-Orient. L'islam, très présent dans cette région occidentale de la Chine, a tendance à se radicaliser.

Emmanuel Lincot

Emmanuel Lincot

Professeur à l'Institut Catholique de Paris, sinologue, Emmanuel Lincot est Chercheur-associé à l'Iris. Son dernier ouvrage « Le Très Grand Jeu : l’Asie centrale face à Pékin » est publié aux éditions du Cerf.

 

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Atlantico : Pourquoi cette dérive vers le radicalisme islamiste dans une région certes troublée, mais qui ne semblait pas connectée au reste de l'islamisme international il y a dix ans ? 

Emmanuel Lincot : En août 2008, une vidéo initiée par le Parti Islamique du Turkestan a fait beaucoup de bruit en montrant Abdullah Mensur, Président du Comité ouïghour en Arabie Saoudite, une branche du Club des Jeunes Musulmans. Sa posture était martiale, son discours en revanche ne l’était pas. Il en appelait simplement au boycott des JO de Pékin. Mais symboliquement parlant, des signes de radicalisation étaient déjà là. Depuis, l’onde de choc créé par les Printemps arabes, dans l’ensemble de l’Asie centrale, se développe. Au-delà de ces aspects conjoncturels, il existe des facteurs structurels permettant d’expliquer qu’une partie de la population, encore très marginale mais agissante, opte pour une radicalisation de ses choix politiques vis-à-vis de Pékin.

Le premier de ces facteurs est de nature économique. Même des observateurs Han, comme Wang Lixiong, l’ont remarqué : malgré l’extraordinaire développement des infrastructures au Xinjiang, les Ouïghours sont les laissés pour compte de la croissance. Frustrations donc. D’autant plus vivement et injustement ressenties que les peuples voisins turcophones - qui ont une très grande proximité culturelle et linguistique avec les Ouïghours - connaissent, quant à eux, et depuis l’indépendance de leur pays (1991), de très réels et positifs changements économiques. Enfin, l’influence de talips et de militants visant une alliance avec les mouvements jihadistes internationaux et pakistano-afghans est indéniable. Ces mouvements ont été fédérés au sein d’un courant, le Mouvement islamique du Turkestan oriental (MITO), structuré en 1997 par Hassan Makhsum, mort depuis. L’affaiblissement de ce courant, dû au harcèlement des services du contre-espionnage chinois, semble avoir connu toutefois une vigueur nouvelle au contact de djihadistes ouzbeks venus se former dans le nord de l’Irak. Statistiquement parlant, il faut être très prudent sur les chiffres concernant le nombre de combattants ouïghours. Pékin a sans doute intérêt de surenchérir le phénomène pour accélérer la répression dans une région où, rappelons-le, les tensions entre factions rivales au sein du Parti Communiste sont par ailleurs particulièrement importantes.

Le pouvoir central chinois use de la "manière forte" pour essayer d'écraser le phénomène. Pourquoi la répression semble-t-elle n'avoir que peu de résultats, alors que Pékin est plutôt "reconnu" comme efficace pour mater les mouvements de dissidence en général ?

Premièrement, le gouvernement central est hanté par le spectre d’un éclatement du cadre national, sur le modèle de l’Union Soviétique. Xi Jinping n’est pas Gorbatchev et entend le faire savoir. Deuxièmement, si une partie de la communauté ouïghoure - celle de la diaspora notamment - a pu se réjouir de la chute des dictatures arabes, Pékin continue de soutenir sans réserve les régimes qui ont pu se maintenir dans la tourmente, je pense en particulier à celui d’Assad en Syrie. Divergence de vues donc. Troisièmement, l’islam soufi - traditionnellement ancré dans les pratiques ouïghoures - est, de l’avis même des meilleurs spécialistes tels que Rémy Castets, violemment persécuté. Fermeture des tombeaux des Saints, mise sous surveillance étroite des loges soufies, vexations de toutes sortes allant jusqu’à interdire le port de la barbe…Tout cela concourt à une montée en puissance de la subversion. Pékin a condamné à la prison à vie, et en septembre dernier, l’une des figures les plus modérées de l’intelligentsia ouïghoure, Ilham Tohti, qui en avait appelé, dans un article publié sur un site hébergé aux Etats-Unis, à un plus grand respect du multiculturalisme au Xinjiang. Cette condamnation, qui paraît disproportionnée, montre que la radicalisation se retrouve de part et d’autre et laisse peu d’espoir à une réconciliation ou à une solution pacifique entre Pékin et la communauté ouïghoure.

Sur encouragement du pouvoir central, les Han – l'ethnie majoritaire en Chine – peuplent le Xinjiang faisant reculer en proportion les Ouïghours (ils représentaient 82% de la population du Xinjiang en 1949, ils ne sont plus que 46% en 2010). A long terme, cette stratégie "démographique" peut-elle être efficace ou au contraire catastrophique en "minorisant" les Ouïghours ? 

Sur la longue durée, cette stratégie démographique entre dans une logique qui, contrairement à la croyance, largement répandue en Occident, ferait de la Chine et des Han, une puissance qui se serait caractérisée par une histoire non hégémonique. La toponymie même des villes en Chine nous prouve le contraire ! Expansionniste, la Chine n’a jamais cessé de l’être en s’imposant par les armes et la culture, chinoise s’entend. Cette stratégie est la même que celle employée en Mongolie intérieure ou au Tibet. Des identités complexes sont en train de naître, des stratégies de résistance aussi, par le biais de la diaspora, qui comprend, pour les Ouïghours, autant de membres qu’il en existe au Xinjiang.

Pour l'instant, seul le Xinjiang est fortement secoué par des actes terroristes perpétrés par des Ouïghours potentiellement islamistes. Mais le reste de la Chine est-il préservé à terme ? La Chine peut-elle aussi faire face à des problématiques de "combattants de retour de Syrie" ? Comment gère-t-elle le problème ?

Canton, Kunming mais aussi Pékin ont déjà été frappés par des attentats ouïghours. Donc le Xinjiang n’est pas la seule région à risque. Zhang Chunxian, Secrétaire du Parti Communiste de la province du Xinjiang, déclarait, le 2 juillet 2013 que de "violentes activités terroristes étaient devenues une réelle menace pour la stabilité". Xi Jinping a récemment réitéré le fait que la sécurité était un enjeu prioritaire et national. Il y a près de deux ans déjà, le 1° juillet 2013, le Global Times, journal anglophone publié en Chine, citait l’ambassadeur de Syrie à Pékin, selon lequel plus de 30 militants indépendantistes ouïghours avaient été formés aux techniques de la guerilla par des rebelles de son pays. La menace est donc réelle et sérieuse. Elle s’amplifie. Le risque serait que l’islamisme touche d’autres populations de confession musulmane présentes en Chine. Et je pense bien sûr aux Huis. Toutefois, les Huis ont su construire une synergie avec l’Etat-parti, comme l’a montré Jérôme Doyon, qui n’a pas son équivalent avec les milieux ouïghours. Il convient donc de nuancer toute forme d’amalgame. En revanche, je pense que l’Europe et la France devraient davantage coopérer avec la Chine dans la lutte contre le danger islamiste international. Elles ne le font pas assez. Non plus avec les Japonais qui, on l’ignore trop souvent, ont l’avantage d’avoir sans doute les meilleurs spécialistes de l’Asie centrale au monde, pour des raisons historiques déjà anciennes, dans le domaine académique tout au moins.

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