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Dix recommandations à suivre pour lutter efficacement contre la pauvreté
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Bonnes feuilles

Objet d’une intervention publique toujours plus dense, la lutte contre la pauvreté gagnerait à se doter d’instruments d’action publique plus génériques, agissant sur les déterminants du phénomène : le travail, la famille et l’immigration. Parallèlement, la rationalisation des outils spécifiques alloués à cette fin en améliorera sans aucun doute l’efficacité, à l’heure où l’idée d’un « revenu universel » n’a jamais connu autant d’échos dans le débat public. L’auteur avance des propositions de réformes afin d’améliorer ce système à bout de souffle. Extrait de "Mesures de la pauvreté, mesure contre la pauvreté", de Julien Damon, pour Fondapol 2/2

Julien Damon

Julien Damon

Julien Damon est professeur associé à Sciences Po, enseignant à HEC et chroniqueur au Échos

Fondateur de la société de conseil Eclairs, il a publié, récemment, Les familles recomposées (PUF, 2012), Intérêt Général : que peut l’entreprise ? (Les Belles Lettres),  Les classes moyennes (PUF, 2013)

Il a aussi publié en 2010 Eliminer la pauvreté (PUF).

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Au regard des évolutions signalées, il apparaît clairement que ce sont des révisions du modèle social, en général, qui s’imposent, plutôt que de nouveaux instruments en matière de lutte contre la pauvreté. Ces services et prestations appellent cependant des réformes, allant dans le sens de la simplification et de la rationalisation. On peut les signaler en 10 rubriques.

1. Simplification des prestations sociales. Le mot d’ordre de la simplification est porteur, mais sa mise en œuvre reste compliquée. En tout état de cause, la logique de l’allocation sociale unique, mise en avant dans plusieurs projets politiques, a pour visée première de simplifier la gestion des prestations destinées à lutter contre la pauvreté. La proposition consiste non pas à fusionner toutes les prestations de protection sociale, mais au moins les prestations contribuant significativement à la lutte contre la pauvreté. Il en va des minima sociaux, des prestations logement, voire de certaines prestations familiales. Si l’idée est bonne sur le papier, sa concrétisation s’avère ardue. Les Britanniques ont eu la même idée, en voulant créer un "crédit universel" qui fusionne six prestations et crédits d’impôt. Cette simplification a été décidée, mais son élaboration apparaît bien plus subtile et dispendieuse que prévue. Si difficultés il y a à simplifier, ceci ne condamne cependant pas l’idée. Progressivement, il est possible de rapprocher les prestations, d’unifier les barèmes et les gestionnaires. Tout est affaire de volonté. Or il est toujours plus facile de déclarer un nouveau grand plan, de créer une nouvelle petite prestation, que de se lancer dans un mouvement conséquent de rationalisation.

2. Rationalisation territoriale. Puisque, aujourd’hui, tout le monde ou presque (État, villes, départements, caisses de Sécurité sociale, associations, etc.) lutte contre la pauvreté, personne n’est véritablement responsable. À une prestation sociale unifiée, si l’on avance vraiment sur ce dossier, doit correspondre un guichet unifié. Ce pourrait être les Caisses d’allocation familiale (CAF), renommées et réorganisées. Le guichet unique social est souvent dénoncé comme un mythe. Ce n’est un mythe que pour ceux qui savent qu’ils vont perdre du pouvoir. Les gestionnaires gagneraient en productivité et les bénéficiaires en réactivité. 

3. Rationalisation du travail social. Le travail social se perd en conjectures rhétoriques, en revendications catégorielles et en acharnement bureaucratique. Il faut profiter de la révolution numérique pour que chacun (pauvre ou non) puisse avoir recours à un travail social référent. Il s’agit, concrètement, de s’inspirer du médecin traitant. Chacun devrait pouvoir savoir, voire choisir, qui peut être son travailleur social. Le travail social se déroulerait dans une relation contractuelle de client à prestataire (ce qui, on le sait, fait toujours sursauter les travailleurs sociaux). Ce serait le travailleur social traitant (TST) ou travailleur social référent (TSR). Le milieu professionnel est féru de sigles. Quel que soit l’employeur, le travailleur social aurait un portefeuille de cas, de clients, dont il aurait la responsabilité. Une telle réforme aurait un impact puissant sur la situation des plus pauvres, ceux-ci ayant le plus de contacts avec la diversité des travailleurs sociaux et de leurs guichets.

4. Numérisation des dossiers sociaux. Un problème très concret des personnes en difficulté tient de leur obligation à répéter, parfois plusieurs fois par semaine, leurs difficultés. Il faut profiter des opportunités et expérimentations en termes de "coffre-fort numérique", de manière à ce que les dossiers soient simples à administrer et à partager. Il s’agit, en l’espèce, de s’inspirer du dossier médical personnalisé (le DMP). Celui-ci a bien du mal à naître, mais on doit pouvoir plus aisément créer un dossier social personnalisé (DSP) ou un dossier social unique (DSU). Il contiendrait l’ensemble des informations qu’il ne serait pas nécessaire de devoir débiter à nouveau à chaque contact avec un interlocuteur social (CAF, caisse de retraite, caisse complémentaire, Pôle Emploi…). Ce dossier social unique est aussi nécessaire que possible, avec la puissance des systèmes d’information. Son principe s’inspire du programme "Dites-le-nous une fois" valable pour les entreprises. L’idée générale ? Que l’administration se partage une bonne fois pour toutes les justificatifs et données déjà fournis une première fois, afin d’alléger au maximum les procédures futures.

5. Évaluation à partir d’objectifs chiffrés. La lutte contre la pauvreté étant un assemblage de politiques publiques différentes, génériques ou spécifiques, son évaluation est malaisée. Ses objectifs ne sont pas vraiment clarifiés. Tout, alors, peut être dit sur les résultats de la lutte contre la pauvreté, quand des objectifs chiffrés n’ont pas été fixés. La fixation d’objectifs chiffrés est une orientation qui a déjà fait l’objet de nombreuses disputes. Il s’agit certainement d’une voie judicieuse, à condition de construire et de suivre des objectifs aisément compréhensibles. On doit ainsi pouvoir progresser avec des visées comme "aucune personne en situation de pauvreté absolue", "aucun SDF sans prise en charge", "zéro bidonville", etc. Il en va, en fait, de la crédibilité et de la visibilité politique des mesures de lutte contre la pauvreté.

6. Intensifier la lutte contre l’extrême pauvreté. Ce sont les situations de pauvreté les plus visibles, qui mobilisent la compassion, l’intérêt ou l’énervement. Tous les dispositifs dits d’"urgence sociale" (en théorie en direction des "SDF", mais en réalité de plus en plus en direction des sanspapiers, "migrants" et réfugiés) doivent être refondus, avec pilotage unique (à la main des métropoles et des intercommunalités) et instruments adaptés aux réalités locales. Les Samu sociaux, 115 et autres services intégrés d’accueil et d’orientation (SIAO) doivent être laissés à la main locale. Ils sont aujourd’hui coûteux et dispersés, avec une centralisation du financement et de l’élaboration des doctrines d’action.

7. Décision à prendre sur le logement social. Parmi les problèmes très visibles et très préoccupants de pauvreté et de budgets contraints se pose la question lancinante du logement social. Celui-ci, en un mot, est formaté, historiquement, pour des classes moyennes salariées. Il se paupérise problématiquement aujourd’hui, d’une part, parce que des locataires en place rencontrent des problèmes et voient leurs ressources diminuer ; d’autre part, 

parce que les nouveaux locataires entrants sont plus pauvres qu’auparavant. Stratégiquement, il faut choisir. Plutôt que de rester dans une certaine forme de statu quo, d’efficacité discutable et de constantes polémiques, il conviendrait d’aller vers une simplification, avec, d’un côté, du logement très social ressemblant plus à de l’hébergement, et, de l’autre côté, du logement social pour salariés davantage à la main des entreprises. La question est classique. Il s’agit de trancher. 8. Refonder le partenariat et le contrat associatif. Nombre d’associations engagées dans la lutte contre la pauvreté sont devenues des supplétifs des politiques publiques, qu’elles critiquent par ailleurs. Elles n’ont parfois plus d’association que le nom et un conseil d’administration sans réel pouvoir. Ce secteur associatif, intégré dans ce que l’on baptise, un rien pompeusement, "économie sociale et solidaire", est une sorte de quatrième ou cinquième fonction publique. Une orientation est de nationaliser, de départementaliser ou municipaliser les services proposés. Une autre est de mettre encore davantage en concurrence en mobilisant, sur un parfait pied d’égalité, secteur privé non lucratif et secteur privé lucratif. 

9. Avoir davantage recours au dynamisme privé. Nombre d’entreprises pourraient davantage s’impliquer, non par mécénat mais par intérêt et professionnalisme, dans les services de lutte contre la pauvreté. Il en va ainsi de services hôteliers comme de coopératives de travailleurs sociaux. Il en va également de financements innovants de l’action sociale, payant les opérateurs à la performance. Plus que des expérimentations, il faut ouvrir les marchés. 

10. Reprendre une première place européenne. La France a été le membre moteur de l’Union européenne en matière de lutte contre la pauvreté, et ce dès les années 1970. Elle est aujourd’hui empêtrée dans des considérations bureaucratico-techniques liées à la stratégie UE 2020 (avec des objectifs précis de lutte contre la pauvreté). Le sujet de la lutte contre la pauvreté est, au moins dans l’espace Schengen ouvert, un plein sujet européen. Sur le plan de la lutte contre la grande pauvreté (SDF, réfugiés, bidonvilles…), la France doit demander aux autres États membres de faire sinon autant qu’elle, du moins des efforts substantiels, ne serait-ce qu’au titre des ressortissants européens comptés comme pauvres en France.

Que retenir ? Le sujet de la lutte contre la pauvreté appelle des choix cruciaux en matière de logement social, d’organisation territoriale de l’aide sociale et de rationalisation des programmes et instruments de lutte contre la grande pauvreté. Il est facile de les énoncer ainsi dans une note mais très malaisé de les faire passer, notamment auprès des opérateurs spécialisés. Si l’on veut être courageux et innovant en matière de lutte contre la pauvreté, il faut prendre garde à une forme d’hypocrisie du secteur : une main avec une sébile pour des financements publics, une autre avec un cocktail Molotov pour critiquer ces mêmes politiques publiques…

Extrait de "Mesures de la pauvreté, mesure contre la pauvreté", de Julien Damon, pour Fondapol, décembre 2016. Pour acheter ce livre, cliquez ici

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