Divergences au sommet sur Gaza : où va le gouvernement de Benyamin Netanyahou ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Le Premier ministre Benyamin Netanyahou.
Le Premier ministre Benyamin Netanyahou.
©YIANNIS KOURTOGLOU / POOL / AFP

Israël

Benny Gantz, ministre du cabinet de guerre israélien, a donné trois semaines au Premier ministre Benyamin Netanyahou pour adopter un « plan d’action » stratégique sur l’après-guerre dans la bande de Gaza, faute de quoi Benny Gantz démissionnera.

Pierre Berthelot

Pierre Berthelot

Pierre Berthelot est chercheur associé à l' IPSE et directeur de la revue Orients Stratégiques. 

 

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Atlantico : Benny Gantz, ministre du cabinet de guerre israélien, a donné trois semaines au Premier ministre Benyamin Netanyahou pour adopter un « plan d’action » stratégique sur l’après-guerre dans la bande de Gaza, faute de quoi Benny Gantz démissionnera. Les tensions et les points de divergence ont été nombreux entre Netanyahou et Yoav Gallant, le ministre de la Défense, ces derniers jours sur le conflit à Gaza, sur l’offensive à Rafah et sur l’attitude des Etats-Unis. Qu'est-ce que révèlent ces tensions entre Netanyahou et Gallant ?

Pierre Berthelot : Politiquement, les deux hommes ne s'entendent pas très bien. Des divergences existent entre eux. Netanyahou s'était déjà séparé de Gallant par le passé. Il a dû le reprendre de manière contrainte et forcée après l'attaque du 7 octobre puisqu'il a fallu constituer un cabinet de sécurité. Des divergences existent. Gallant a une position qui semble plus modérée, moins jusqu'au-boutiste que Netanyahou. Il pourrait se positionner comme un possible successeur. Gallant avait fait partie d'un parti politique qui était une dissidence du Likoud.

Une épée de Damoclès pèse sur les dirigeants israéliens, tant militaires que politiques, par rapport à des inculpations possibles par la justice internationale. Yoav Gallant, en adoptant une position prétendument plus raisonnable que Netanyahou, veut se prémunir d'éventuelles poursuites qui pourraient viser Netanyahou ou d'autres dirigeants.

Cela traduit, au-delà de l'affrontement entre les deux hommes, le hiatus qu'il y a entre les militaires et les politiques actuellement en Israël. Les politiques sont souvent plus radicaux que les militaires.

Par rapport à la situation de l'avenir du conflit, Yoav Gallant a exprimé des critiques envers la politique de Netanyahou. Selon Gallant, une administration civile ou militaire de Gaza par Israël serait néfaste et dangereuse pour Israël. Est-ce qu’il n'y a pas des risques de tensions politiques sur l'avenir du conflit au regard de cette situation et du plan pour Rafah ? 

A moins que les Palestiniens de Gaza quittent le territoire, ce qui semble difficile, et si Netanyahou refuse l'option de la gestion politique par les Palestiniens, alors effectivement, Israël sera une puissance occupante. Certains, comme Gallant, souhaitent éviter cette situation pour Israël. Tout l'enjeu des accords d'Oslo, qui avaient été négociés il y a une trentaine d'années, était de sortir de cette situation de puissance occupante pour Israël, y compris d'ailleurs le retrait de Gaza qui avait été effectué sous Sharon en 2005. Pour la Cisjordanie, on parle encore de territoires occupés parce qu'il y a effectivement encore une présence militaire israélienne. 

Dans le même temps, il y a une Autorité palestinienne qui, bien qu'assez faible, gère en partie ces territoires. Certains veulent totalement éviter le retour à la situation qui prévalait avant. 

Gallant ne voit pas comment Israël pourrait faire face militairement à un front qui serait très élargi pour l’armée israélienne qui doit faire face désormais à de nouveaux acteurs comme les Houthis, le Hezbollah ou bien encore des milices irakiennes. L'intervention militaire israélienne à Gaza est aussi extrêmement complexe à gérer. L’alliance avec les Etats-Unis est de plus en plus fragile. 

Gallant veut conserver la Cisjordanie mais, par pragmatisme, il considère que à Gaza, il n'y a que des coups à prendre d'une certaine manière. Il n'est pas contre le principe d'« éradiquer » le Hamas bien évidemment. Il a compris qu’il serait très compliqué d’administrer directement Gaza, d'où cette idée plus habile d'en confier la gestion à des civils, à des Palestiniens plus modérés que le Hamas ou alors via une coalition palestinienne qui intégrerait le Hamas. 

Les idéologues sont très influents autour de Netanyahou puisqu'ils font et défont les majorités. Mais il y a aussi les pragmatiques dont fait partie Gallant. Ils ne sont pas naïfs mais ils pensent qu’Israël ne peut pas gérer plusieurs fronts en même temps dans la durée.

Suite à ses propos et ses critiques sur la politique menée, Gallant a été critiqué par une partie des ministres du cabinet de guerre. Il y a eu des appels à la démission et au limogeage de Gallant. N'y a-t-il pas des risques d'explosion du gouvernement sur ces questions-là et sur la position de monsieur Gallant ?

Gallant a été vigoureusement critiqué par une partie du cabinet, par les faucons. Netanyahou a lui-même été très critiqué et on attend la commission d'enquête interne. Il devra rendre des comptes. Israël a une tradition de juger les dirigeants qui ont failli par des commissions d'enquête. Il a été affaibli par le 7 octobre. Conscient de cet affaiblissement, il a élargi sa coalition, à des profils plus modérés, qui lui étaient d'ailleurs hostiles, dont Gallant. 

Si ce bloc modéré et plus pragmatique disparaît du gouvernement, est-ce qu'il y aura des remplaçants et est ce-que d'ailleurs cette démission ne sera pas suivie du départ de Benny Gantz également ? Si les pragmatiques quittent le gouvernement, il ne restera que Netanyahou avec les faucons. Il n'y aura plus vraiment de cabinet de guerre, d'unité nationale. 

L'enjeu est donc de remplacer Gallant mais pour mettre qui ? Est-ce pour le remplacer par un autre membre du centre droit ? Ou est-ce pour le remplacer par un dur ? Dans ce cas là, il y aurait une rupture dans ce cabinet de guerre. Les faucons l'emporteraient. Est-ce que les plus modérés comme Gantz partiraient ? La situation est intenable pour Israël sur le long terme, tant politiquement que militairement ou stratégiquement, voire économiquement.

Des choix vont devoir être faits. Il faudra peut-être mener et organiser des élections, mais à ce moment-là, cela va peut-être affaiblir Netanyahou. Derrière ces tensions, il y a des enjeux personnels et des enjeux politiques.

Est-ce que la pression politique n'est pas d'autant plus grande et est-ce qu'elle ne s’intensifie pas sur le Premier ministre israélien Netanyahou pour qu'il formule un plan d'après guerre pour Gaza ? Les rivaux politiques l'accusent d'indécision et les États-Unis mettent en garde notamment contre un vide du pouvoir dans le territoire palestinien.

Le problème pour Netanyahou pour proposer un plan est qu'il faut qu’il soit soutenu par une coalition majoritaire. Actuellement, sa coalition est l'otage des radicaux qui veulent sa démission. S’ils proposent un plan cohérent pour l'après Gaza, il ne peut pas s’agir de la gestion directe par Israël du territoire palestinien. Il ne peut pas y avoir également de départ forcé  des Palestiniens, l'Egypte s'y oppose. Si la solution de Netanyahou s’éloigne des radicaux, où sera sa majorité? Il faut qu'il aille la chercher vers ce centre droit. Donc auprès de Gallant, de Benny Gantz. Mais vont-ils accepter ce plan ? Il est possible d’imaginer qu'ils ne souhaitent pas que Netanyahou en soit l'acteur. Il y a donc un jeu complexe pour trouver une majorité pour ce plan. Si Netanyahou se sépare des radicaux, il n'est pas certain pour autant qu'il soit soutenu par les pragmatiques et les modérés parce qu'ils ne veulent pas être embarqués dans le toboggan de la défaite électorale qui peut concerner le Likoud.

La situation est très complexe car ils veulent aussi être solidaires des actions d'Israël contre le Hamas. Ils ne veulent pas être accusés, comme tentent de le faire Netanyahou et ses alliés radicaux, de défaitisme. Il y a un jeu complexe de part et d'autre, dans chaque camp du gouvernement.

Pour le moment, le pôle d'équilibre entre ces deux ailes est Netanyahou qui se situe à mi-chemin de manière très habile entre les faucons et entre les pragmatiques. Mais pour combien de temps en réalité ? Combien de temps peut-il tenir dans ce jeu qui, sur le court terme, lui permet de rester au pouvoir, ce qui a toujours été son objectif ? Netanyahou n'apparaît pas comme un stratège ou comme un visionnaire sur le long terme. Il veut être au pouvoir pour être au pouvoir, mais on voit à quel prix pour Israël. II n'a pas, à mon sens, de véritable stratégie. Sa stratégie est toujours une stratégie négative. Il a tout fait pour démanteler les accords d'Oslo. Là, il tente d'éradiquer le Hamas mais cela est tout de même compliqué, tant d'un point de vue politique que militaire. Quelle est la stratégie pour l'après? Or, le véritable enjeu se situe sur l’après. C'est justement ce que tente de mettre en place Gallant. Il estime qu'il n’est pas possible de mener l'opération sur le court terme contre Gaza sans envisager une solution pour l'après. Mais il faut qu’elle soit un tant soit peu réaliste.

Netanyahou est dans une stratégie de gestion de court terme des crises, dans lesquelles il excelle, mais cela ne permet pas d'assurer sur le moyen ou le long terme la sécurité d'Israël.

Le gouvernement va-t-il pouvoir résister à toutes ces tensions et à cette pression sur justement ce plan d'après et sur la gestion de la guerre ? Est-ce que le gouvernement ne risque pas de voler en éclats au regard des tensions nombreuses ?

Le gouvernement ne tient qu'à un fil. La logique voudrait que Netanyahou, fort du constat qu'il n'a pas pu jusque-là éradiquer le Hamas tant militairement que politiquement, pas plus qu'il n'a pu éradiquer l'idéologie du Hamas, pas plus qu'il n'a réussi à aller vers l'expulsion des Palestiniens de Gaza proposée par les faucons, d'une certaine manière, soit coincé.

S’il se tourne vers la solution des pragmatiques, il va se couper des faucons. Et inversement, s'il s'appuie sur sa majorité étroite grâce à ses faucons, il se coupe de plus en plus du projet plus pragmatique que mettrait en place Gallant ou Benny Gantz. Netanyahou est enfermé dans une situation inextricable dont il faudrait sortir par des élections. Mais faire des élections de guerre, même si ce n’est pas une guerre de haute intensité comme l’Ukraine, la situation est tout de même extrêmement tendue. Presque tous les jours, des soldats sont blessés ou tués. 

Il n’y a pas d'autres solutions que de rendre le verdict aux électeurs. Mais même des élections ne garantissent pas forcément d’obtenir une majorité stable. Il s’agit d’un des problèmes endémiques d'Israël. L'absence de majorité stable et solide est une constante dans l'histoire d'Israël. Il faudrait changer les règles électorales et augmenter le seuil d'éligibilité pour avoir une moindre fragmentation de la Knesset. 

L'instabilité politique d'Israël est un élément qui est en sa défaveur car cela empêche d'avoir des stratégies de long terme et Israël en subit les conséquences.

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