Digital Service Act : l’UE, nouveau shérif du web, épouvantail en toc ou dangereux censeur ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Le Digital Services Act (Règlement sur les services numériques) a l'intérêt d'établir des règles claires vis-à-vis des très grandes plateformes en ligne
Le Digital Services Act (Règlement sur les services numériques) a l'intérêt d'établir des règles claires vis-à-vis des très grandes plateformes en ligne
©NurPhoto via AFP/JAAP ARRIENS

Tendance inquiétante

Si le danger que les géants du web représentent pour la démocratie comme pour la dignité des personnes est devenu évident, les choix de Bruxelles pour réguler réseaux sociaux ou sites pornos sont-ils adaptés ?

Pierre Beyssac

Pierre Beyssac

Pierre Beyssac est Porte-parole du Parti Pirate

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Atlantico : L’Union européenne souhaite réguler trois géants de la pornographie. Bruxelles a ajouté trois sites pornographiques (Pornhub, Stripchat et XVideos) à la liste des très grandes plateformes en ligne soumises à des contrôles renforcés dans le cadre de la nouvelle législation sur les services numériques (DSA). L’initiative européenne a-t-elle des chances d’aboutir face aux géants du porno ? Quels sont les atouts de ce projet de régulation via le Digital Service Act ? Cela va-t-il permettre de protéger les citoyens face à des dérives sur ces sites ou au cas de revenge porn ?

Pierre Beyssac : Le Digital Services Act (Règlement sur les services numériques) a l'intérêt d'établir des règles claires vis-à-vis des très grandes plateformes en ligne (VLOPs, Very Large Online Platforms). Mettant à jour une législation remontant à 2000, il a notamment introduit de nouvelles dispositions concernant la luttre contre la haine en ligne sur les réseaux sociaux, qui concernent surtout les réseaux ayant plus de 45 millions d'utilisateurs mensuels actifs.

Cela va-t-il réellement permettre de créer un environnement numérique sécurisé pour protéger les mineurs, comme le souhaitait Thierry Breton ?

Le DSA est un règlement « générique », pas spécifiquement ciblé sur la pornographie en ligne. Il ne contient qu'une demande de vigilance accrue à l'égard des plateformes essentiellement pornographiques (cyberviolence et contenus pornographiques illicites).

Les plateformes pornographiques seront donc soumises aux mêmes exigences que les réseaux sociaux.

En fait, l'annonce de Thierry Breton pourrait retirer une belle épine du pied du gouvernement et législateur français.

Suite à une loi de 2020 cherchant à obliger les sites pornographiques à vérifier de manière approfondie l'âge des utilisateurs, et l'absence totale -- et prévue -- de résultat depuis cette loi faute de procédés technologiques adaptés et respectueux des droits fondamentaux, le gouvernement s'est crispé sur un fantasme de blocage rapide des sites contrevenants, sans juge, sur décision de l'ARCOM (ex CSA). L'idée était que si les plateformes n'arrivent pas à respecter une loi inapplicable, c'est forcément qu'elles y mettent de la mauvaise volonté, et il convient donc de les bloquer manu militari en France pour les y motiver.

Or, le DSA par son article 51, dispose que les très grandes plateformes ne peuvent être bloquées sans décision judiciaire. La loi SREN (sécuriser et réguler l'espace numérique), espérée par le gouvernement pour sortir de l'impasse dans laquelle il s'est mis dès 2020, voit son passage en commission mixe paritaire (stade parlementaire final) et donc sa promulgation retardés en attente de la vérification par l'UE de sa compatiblité avec le DSA. Or cette compatibilité semble douteuse sur de nombreux points, et notamment celui du blocage administratif.

Le HCE (Haut conseil à l'égalité femmes-hommes) s'est même fendu cet automne d'un rapport incendiaire contre la pornographie (renommée pour l'occasion "pornocriminalité"), montrant par là que l'environnement politique et législatif français actuel est peu propice à la nuance et à la pondération sur ces sujets.

Donc, en annonçant officiellement le classement des grandes plateformes pornographiques en tant que VLOPs au titre du DSA, ce qui n'est pas une surprise, Thierry Breton rend probablement un service au gouvernement français, en entérinant par contrecoup l'inutilité des dispositions correspondantes de la loi SREN. Le gouvernement pourra toujours dire qu'il a essayé, que l'échec n'est pas de son fait et que le cadre européen qu'il n'avait pas vu arriver est plus adapté.

Le DSA, issu d'un long processus de négociation européen, est en effet mieux pensé et plus respectueux des libertés élémentaires sur ces sujets que la loi SREN, plus brutale et plus régionale, car passée en un éclair sur l'année 2023 sur des considérations franco-françaises liées à quelques groupes de pression anti-porno.

La volonté de régulation de l’UE ne risque-t-elle pas d’être efficace uniquement avec les faibles, les sites de moindre importance et pas avec les grandes entités comme les GAFAM ou les géants du porno ?

Le seuil "VLOPs" avec sa barrière à 45 millions d'utilisateurs et une désignation explicite des plateformes concernées est justement conçu pour cibler les mesures les plus contraignantes sur les très grandes plateformes uniquement.

Il existe effectivement un risque, modéré, que le DSA plombe également les petits acteurs par les exigences qui s'imposent à tous, et que la barrière à 45 millions d'utilisateurs gêne d'ex petits acteurs en croissance lorsqu'ils auront ces dispositions supplémentaires à appliquer.

Cependant, le DSA inclut également des exigences d'interopérabilité qui devraient être bénéfiques à terme en permettant de rééquilibrer les acteurs en présence. L'avenir nous le dira.

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