Dictature de l’émotion + extrémisme du déni sont au pouvoir depuis des années : qui (ou qu’est-ce qui) pourrait nous en tirer sans tout faire flamber ?<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
France
Des policiers arrêtent un homme lors de débordements à Lille, le 29 juin 2023, deux jours après la mort de Nahel à Nanterre.
Des policiers arrêtent un homme lors de débordements à Lille, le 29 juin 2023, deux jours après la mort de Nahel à Nanterre.
©KENZO TRIBOUILLARD / AFP

Forces de l'ordre

La mort du jeune Nahel soulève de nombreuses questions sur la formation des policiers et sur la dégradation du contexte sécuritaire dans certains territoires. Quelles sont les mesures indispensables à mettre en oeuvre afin d’éviter l’embrasement ?

Bertrand Cavallier

Bertrand Cavallier

Bertrand Cavallier est général de division (2S) de gendarmerie. Spécialiste du maintien de l’ordre et expert international en sécurité des Etats, il est notamment régulièrement engagé en Afrique. Le général Bertrand Cavallier est l'ancien commandant du Centre national d’entraînement des Forces de gendarmerie de Saint-Astier. 

Voir la bio »

Atlantico : La mort du jeune Nahel, tué mardi par un policier lors d’un contrôle routier en banlieue parisienne, a suscité de vives réactions. Alors que les images de l’intervention de la police nationale ont été largement diffusées, de nombreuses questions ont été soulevées s’agissant de la formation et de l’entraînement des forces de police. Quel diagnostic portez-vous sur la situation?

Bertrand Cavallier : La crise des gilets jaunes s’est traduite par des manifestations d’ampleur, principalement à Paris, dont certaines ont occasionné des troubles très sérieux, notamment le 1er décembre 2018 (saccage de l’Arc de Triomphe). Outre les insuffisances opérationnelles, des dérives avaient déjà été constatées en matière d’usage de la force (usage du LBD), notamment dues à l’engagement d’unités non spécialisées dans le domaine du maintien de l’ordre, qui ont marqué l’opinion. Face à cela, le gouvernement a lancé les fameux « travaux de Beauvau » dans le but de remédier, selon la formule du ministre, à une dizaine de « péchés capitaux », dont le sous-encadrement sur le terrain et le manque de formation. La situation actuelle autorise à s’interroger sur l’application effective des mesures alors préconisées.  

Plusieurs personnalités ont souligné dans les médias les différences existant entre police et gendarmerie en matière d’« usage abusif des armes ».

Des personnalités politiques mais aussi des chercheurs comme le politologue Sébastian Roché ont en effet pointé la moindre mise en cause de gendarmes s’agissant de l’usage abusif des armes. Plusieurs observateurs l’expliquent par les singularités positives de la gendarmerie tenant à sa culture et son organisation militaires, mais également, en découlant, de l’engagement de la hiérarchie et de la qualité de l’entraînement. Soulignons toutefois que ces spécificités étaient encore dénoncées il y a peu, jusqu’à justifier - dans certains milieux intellectuels - la disparition de la gendarmerie au profit du seul modèle de force de police de statut civil ! Ajoutons cependant que la gendarmerie serait bien inspirée de poursuivre l’effort récemment entrepris visant à revigorer ses valeurs et son identité militaires.

À Lire Aussi

Refus d'obtempérer : Nanterre ou le prix de 40 ans de renoncements politiques

Sans pour autant excuser leur collègue, plusieurs policiers ont rappelé la dégradation du contexte sécuritaire dans de nombreux territoires, qui complexifie considérablement leur action. Dans quelle proportion estimez vous que ce contexte de tension pèse réellement sur l’engagement de nos forces de l’ordre?

La remise en cause de l’autorité et la radicalisation des comportements - structurelles dans certains territoires - sont une réalité objective qui pèse de plus en plus sur le quotidien des policiers et gendarmes, lesquels sont de toute évidence en première ligne. Il en ressort une forme de découragement, voire de sentiment d’abandon. Cette tendance ne saurait être inversée du fait de simples mesurettes, ni même de l’injection - désormais rituelle - d’argent public, mais appelle une réponse aussi bien globale que radicale. 

Rappelons néanmoins que ces difficultés que rencontrent les forces de sécurité intérieure affectent également de plus en plus l’ensemble des employés de la fonction publique en contact avec le public. 

Selon vous, le sentiment d’impunité et « l’enlisement de la justice » contribuent-ils à ce découragement ?

Sans nul doute, le décalage croissant entre les peines prévues par le code pénal et la réalité effective des peines prononcées, puis appliquées, déroute les gendarmes et policiers de terrain. Ce constat tient évidemment aux manques de moyens de la Justice française et de l’administration pénitentiaire, en comparaison de celles d’autres grands pays de l’Union européenne. Des efforts conséquents sont toutefois entrepris depuis quelques années pour y remédier.

À Lire Aussi

Radioscopie de cette France qui ne pense plus qu’en « eux contre nous »

Cependant, l’insuffisance des moyens n’explique pas tout. L’idéologisation de l’appareil judiciaire, initiée dans les années 70 sous l’influence du syndicat de la magistrature - souvenons-nous de la fameuse « harangue de Baudot » en 1974 - a profondément fragilisé ce qui constitue pourtant un des piliers centraux d’une démocratie. Si ce syndicat n’est aujourd’hui plus majoritaire, les séquelles de ses prises de position sont encore palpables aujourd’hui.

Les prises de positions publiques de personnalités politiques, chroniqueurs et autres observateurs plus ou moins avisés sont désormais régulières s’agissant de l’exemplarité et l’efficacité des forces de l’ordre - et souvent contrastées selon les bords politiques. Quel est l’impact de cette exposition médiatique?

Il s’agit d’un sujet complexe, qui appelle plusieurs pistes de réflexion.

Au delà du nécessaire soutien de principe que se doivent d’apporter les autorités gouvernementales aux forces de l’ordre, eu égard à la difficulté et l’importance de leur mission, il est évident que celui-ci ne doit pas être inconditionnel. Les dérives individuelles nécessitent en effet d’être dénoncées, tout comme les insuffisances opérationnelles méritent d’être corrigées. Nos concitoyens sont en effet en droit d’attendre exemplarité, disponibilité et efficacité de la part des personnes chargées de les protéger. 

Pour autant, force est de constater chez certaines mouvances lexistence dune mise en accusation systématique de lappareil sécuritaire, en dehors de toute considération juridique et sans aucune forme de précaution ou de réserve. Dénuées de tout fondement objectif, ces prises de positions arbitraires s’inscrivent manifestement dans un objectif politique de déstabilisation de lordre établi. Régulièrement, certaines individualités en viennent à usurper le débat public, jusqu’à instrumentaliser la réalité - que ce soit sur le terrain médiatique ou dans certaines universités et IEP (Instituts d’études politiques), interdisant parfois toute autre forme d’expression - voire de pensée. Lorsqu’elles s’attaquent indûment aux forces de l’ordre ou qu’elles légitimisent les violences à leur encontre, il me semble que ces personnes diffusent à dessein au sein d’une partie de la jeunesse une haine et une défiance durable des forces de sécurité.

À Lire Aussi

Et voilà l'élément qui change tout par rapport aux émeutes de 2005

Ces phénomènes ne peuvent que favoriser l’effondrement de notre concorde nationale, déjà bien entamée, et au-delà déboucher sur le chaos. 

Enfin, l’opinion publique. Au regard des sondages, il apparaît qu’elle est encore majoritairement favorable aux forces de l’ordre. Cependant, de plus en plus confrontée à l’insécurité, la population attend davantage des policiers et gendarmes.

Dès lors, quelles seraient les mesures indispensables à mettre en oeuvre afin d’éviter l’embrasement ?

Je différencierai les mesures immédiates de celles à moyen et long terme. 

Sous l’urgence, il n’y a pas d’alternative. La priorité est donc, par un déploiement massif de forces, au rétablissement de l’ordre républicain, à la protection des personnes et des biens. Cet engagement d’envergure des gendarmes et policiers doit être adossé à un discours du gouvernement, clair, cohérent et ferme. Ce discours doit rassurer les populations, notamment des zones les plus déstabilisées, mais également pouvoir raisonner des influenceurs et autres faiseurs d’opinion aux analyses contre-productives. La manoeuvre opérationnelle doit être intimement liée à la réponse pénale qui est fondamentale pour rendre perceptible et recevable la logique de l’Etat de droit. Les procureurs doivent à cet effet communiquer pour éclairer l’opinion publique sur l’action de la justice, en s’adressant tout particulièrement à celle des quartiers dits sensibles. 

Ces premières mesures ne sauraient être suffisantes. Aujourd’hui, chacun en convient. En effet, ce qui se développe depuis deux jours en France est une crise plus grave que celle de la crise dite des banlieues survenue en 2005. Elle l'égale, voire la dépasserait à la fois en intensité et en termes de territoires touchés. Elle se caractérise par une mobilisation d’individus plus jeunes, et par des attaques systématiques de tout ce qui peut représenter la République, la France. Non seulement des commissariats sont visés, mais des mairies, des locaux administratifs, des bibliothèques, des écoles… sont saccagés, brûlés. Des élus de tout bord sont interdits de paraître, des journalistes sont molestés… Et surtout, ces émeutiers appartiennent à un éco-système de plus en plus concurrent de la société environnante, ce à plusieurs titres :

-il est régi par des « valeurs » et paradigmes très structurés en termes de vision du monde et de la personne, qui lui sont de plus en plus contraires ;

-il concentre, de par les trafics, principalement celui des stupéfiants, des ressources financières de plus en plus importantes ;

-il dispose, de par la généralisation des armes de guerre, d’une capacité qui pourrait remettre en question de facto le monopole de la violence dite légitime. 

Le déni est-il encore possible ? Car ce qui se déroule aujourd’hui est un syndrome insurrectionnel. Par son ampleur, il est objectivement le révélateur du délitement de notre Nation. Remémorons nous les confidences du président de la République, François Hollande[1], concernant « la partition » et le discours[2] du ministère de l’intérieur, Gérard Collomb, lors de son départ de Beauvau. D’aucuns évoquent une guerre civile. Qui peut aujourd’hui, sauf à ne pas voir, ou à ne pas vouloir voir, écarter à court ou moyen terme cette dramatique éventualité ? 

La France est aujourd’hui à la croisée des chemins. Il ne s’agit pas que de territoires perdus de la République, selon la formule de Georges Bensoussan qui avait osé décrire la réalité des choses, il y a plus de vingt ans, et subi alors les foudres de l’intelligentsia. Il s’agit aujourd’hui du risque de destruction de notre République.

Je me suis maintes fois exprimé à ce sujet dans les colonnes d’Atlantico : 

-le 17 juin 2020, « La grande résignation : ces verrous idéologiques qui empêchent les élites de se saisir des problèmes (gérables) du pays »;

-le 17 novembre 2020, avec Arnaud Benedetti «  Autorité floue et floutée : ces tragiques renoncements qui se cachent derrière la fermeté affichée par le gouvernement sur la sécurité » ;

-le 02 août 2020 , avec Driss Ait Youssef « Quelles mesures rapides pour stopper la multiplications des violences au quotidien ? » ;

-10 février 2021 « Islamisme : de Trappes à Lunel, ces territoires que la République a abandonnés sans combattre » ;

-11 mai 2021 « Volonté politique Insécurité : mais pourquoi une telle impuissance politique quand une bonne part des solutions sont connues ? » ;

-06 mai 202, « Insécurité : enrayer la sud-américanisation de la France, défi majeur du quinquennat » ;

-21 novembre 2022 « Infiltration de la France par des réseaux criminels : les 3 raisons de notre perte de contrôle grandissant ». 

Si le constat posé est enfin analysé et assumé, le préalable est qu’une volonté politique suffisamment large puisse se dégager. Celle-ci doit être déterminée et solide, et participer d’un élan « clémenciste » ou gaulliste. Dépassant les clivages stériles, les incantations absurdes et méprisantes sur le prétendu extrémisme de la France populaire, elle doit être résolue à agir, agir, et encore agir. « Il faut agir. Il n’y a que cela qui donne du résultat » disait Foch.

Cette volonté politique doit aujourd’hui pouvoir s’appuyer sur un socle social-démocrate à même de préserver et de pérenniser notre modèle de société dans son essence historique. 

S’agissant des axes majeurs autour desquels devra se conduire l’action, je m’appuierai, en étant plus synthétique, sur ce que j’avais formulé dans l’article paru le 17 juin 2020. 

Tout d’abord, une refondation de la fonction publique s’impose, car elle est aujourd’hui pléthorique et onéreuse, mais surtout elle ne répond plus aux attentes des Français. A ce titre, la réforme des forces de sécurité intérieure me semble prioritaire dans la mesure où elles sont chargées de la production sociale de sécurité. En effet, il faut désormais avoir le courage de traiter des sujets prioritaires, au titre desquels figurent la disponibilité des forces de l’ordre (posée de façon récurrente par la Cour des Comptes), la discipline, et bien poser le défi central de la sécurité de proximité, en tout lieu. 

Ensuite, il est fondamental de reprendre le contrôle effectif des flux migratoires après tant d’années de totale illusion en la matière. On a trompé les Français. Comme le rappelait Gilles Kepel sur Cnews, le 15 novembre 2020, « Aucune société ne peut se permettre davoir des flux migratoires non régulés ». Outre une réorganisation opérationnelle recentrant la DCPAF (Direction centrale de la police de l’air et des frontières) sur une fonction judiciaire, ceci impose des réajustements juridiques. Ceci nécessite aussi d’attendre de certains gouvernants étrangers le même respect que celui qu’on leur porte. En clair, la souveraineté de la France ne saurait être inférieure à celle de l’Algérie s’agissant de l’accès d’un étranger à son territoire. Par ailleurs, concernant les ressortissants étrangers, le moins que l’on puisse attendre d’eux est le respect premier de nos lois et coutumes, et de s’assurer de leur adhésion à celles-ci. Quant à ceux qui versent dans la délinquance, sachant que 20% des personnes détenues sont de nationalité étrangère, ils doivent être expulsés ou éloignés. 

Enfin, l’éducation, soit « la mère des batailles ». Elle doit être, conformément à sa vocation première, le creuset rassembleur de la citoyenneté. A cet effet, outre l’apprentissage des savoirs fondamentaux, constituent des objectifs essentiels et non négociables, la laïcité, l’égalité entre les hommes et les femmes (sans s’égarer sur des considérations qui mènent à une totale confusion), et l’amour de la France selon l’adhésion spirituelle et charnelle d’un Marc Bloch. Nombre de professeurs devraient puiser une nouvelle inspiration dans ses écrits, poignants et si structurants.

De façon complémentaire, le SNU (Service National Universel) doit être renforcé. 

Comme je le préconisais, participant du principe premier de la concentration des efforts, la République doit démontrer sa puissance, en agissant prioritairement dans une dizaine de quartiers, selon une approche globale combinant tous les leviers, sécuritaires, éducatifs, sociaux, économiques.

"Rétablir lordre républicain". Comme le rappelait Malek Boutih dans un article intitulé "Rapport Borloo "une erreur de diagnostic""[3], est la première action à réaliser "avant l’adoption de toute mesure". C’est sans aucun doute celle qui demande le plus de courage. 

« Il n’y a qu’une fatalité, celle des peuples qui n’ont plus assez de forces pour se tenir debout et qui se couchent pour mourir.

Le destin d’une nation se gagne chaque jour contre les causes internes et externes de sa destruction. » Charles de Gaulle

Ceci oblige chacun de nous. 


[1]« Comment peut-on éviter la partition ? Car cest quand même ça qui est en train de se produire: la partition. »

[2] « dans ces quartiers c'est la loi du plus fort qui s'impose, celle des narcotrafiquants et des islamistes radicaux (…) je crains que demain on ne vive face à face, nous sommes en face de problèmes immenses »

[3] Rapport Borloo, une erreur de diagnostic Par Camille Laffont L’Express 26/04/2016

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !