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Des scientifiques travaillent à la création d’embryons mi-homme mi-singe
©DOUGLAS MAGNO / AFP

Chimères

Pour le groupe de chercheurs américains, chinois et espagnols qui a fait état de progrès significatifs dans la création de chimères à partir de cellules humaines, les bénéfices du projet surpassent le vertige éthique qu’il suscite.

Laurent Alexandre

Laurent Alexandre

Chirurgien de formation, également diplômé de Science Po, d'Hec et de l'Ena, Laurent Alexandre a fondé dans les années 1990 le site d’information Doctissimo. Il le revend en 2008 et développe DNA Vision, entreprise spécialisée dans le séquençage ADN. Auteur de La mort de la mort paru en 2011, Laurent Alexandre est un expert des bouleversements que va connaître l'humanité grâce aux progrès de la biotechnologie. 

Vous pouvez suivre Laurent Alexandre sur son compe Twitter : @dr_l_alexandre

 
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Atlantico : Un groupe de chercheurs américains, chinois et espagnols a fait état de progrès significatifs dans la création de chimères homme-singe à partir de cellules humaines. Le terme chimère, d'origine mythologique, n'est pas forcément clair pour le grand public. De quoi s'agit-il exactement ?

Dr Laurent Alexandre : Pour l'instant, nous restons à un stade pré-embryonnaire puisque les embryons ont été tués à 20 jours. Il a été injecté dans des embryons de singes des cellules souches humaines. Ces cellules se sont développées, se sont intégrées dans l'embryon de singe et ont donc modifié sa structure en le rendant chimérique. C'est-à-dire que cet embryon comportait à la fois des cellules de singe et des cellules humaines. On a observé que les cellules se multipliaient et que les cellules humaines communiquaient avec les cellules de singe dans cet embryon chimérique. L'expérimentation n'est pas allée jusqu'à fabriquer un animal chimérique qui aurait comporté à la fois des caractéristiques humaines et des caractéristiques simiesque pour plusieurs raisons psychologiques, éthiques, politiques. Si on obtenait un animal intermédiaire entre les capacités intellectuelles de l'homme et celles du singe, qu'en ferait-on ? Quelle serait sa place future ? Dans une prison ? Dans une maison ? Dans un laboratoire ? Dans un zoo ? Que ferait-on d'hommes ayant une intelligence intermédiaire entre le singe et l'homme ? Que ferait-on de cet animal qui serait l'équivalent d'un handicapé grave sur le plan intellectuel, qui, probablement, n'aurait pas le langage, ou aurait du mal à l'acquérir, à la fois pour des raisons intellectuelles mais aussi à cause de la forme de son larynx ? Toutes ces raisons  font qu'on a limité à vingt jours la durée de vie de ces embryons chimériques. Juridiquement, à supposer que les embryons aient été réimplantés chez une femelle singe et auraient pu donner des bébés, s'ils avaient été viables, les problèmes éthiques n'auraient pas été réglés. La place d'une telle chimère dans la société n'est pas du tout claire à ce stade.

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Il est hautement probable que de telles chimères permettraient d'être des réservoirs d'organes qui ne seraient pas rejetés par les êtres humains, c'est à dire qui ne nécessiteraient pas de traitements immunosuppresseurs. Est-il licite de faire des fermes industrielles de singes humanisés avec des caractéristiques humaines pour leur prendre leurs organes à l'âge adulte ? Prendre des organes chez les animaux, ce n'est déjà pas très simple sur le plan politique et idéologique, alors le faire sur des singes qui auraient peut être des caractéristiques intellectuelles se rapprochant des êtres humains, ça pose des questions encore plus difficiles. En effet, ce processus chimérique ne peut pas ne pas avoir de conséquences sur le cerveau de l'animal s'il arrive à terme. Il y aurait probablement une augmentation des capacités intellectuelles par rapport aux singes ou une diminution des capacités intellectuelles par rapport à l'humain qui a donné ses cellules souches. Quelle est donc la place de ces individus-là ? Peut-on créer des fermes où aller chercher des organes de rechange quand on est malade ? L'avantage pour l'humanité serait très important puisque aujourd'hui, les transplantations se font en donnant au patient des immunosuppresseurs qui sont beaucoup moins toxiques qu'il y a 30 ou 40 ans, mais qui restent néanmoins toxiques. 

On voit qu'il y a dans cette expérience un énorme intérêt biologique pour comprendre l'organisation des embryons, pour comprendre la communication cellulaire. C'est une technologie qui permettrait de faire des progrès rapides en biologie. C'est aussi potentiellement une révolution en matière de transplantation pour avoir des réservoirs d'organes. Mais le statut partiellement humain de ces animaux font qu'il est difficile de les abattre pour leur prendre leurs organes.

Après, il y a bien sûr les fantasmes de type "Planète des singes". Serait-il licite d'utiliser des animaux chimériques pour en faire des esclaves?  On est là dans une problématique digne de la science-fiction.

Cette expérience est-elle une première ?

 Il y a eu une expérimentation singe-porc, mais c'est la première fois qu'il y en a une singe-humain. La caractéristique particulière de cette expérience est qu'il y a une humanisation de la chimère. Les gens seraient moins choqués qu'on aille prendre un organe à une chimère singe-cochon que de se servir d'une chimère homme-singe avec des capacités intellectuelles augmentées par rapport aux singes normaux. C'est logique.

Quel est, en France, le cadre légal autour de ces expérimentations ?

Autoriser les embryons chimériques à des fins de recherche est en cours de discussion dans le cadre de la loi bioéthique, qui n'est pas encore votée. D'ailleurs, suite à cette annonce, Frigide Barjot a tweeté en disant que c'est horrible, que ce type de chimères sera autorisé par la loi bioéthique et que  tous les conservateurs de sa mouvance doivent se mobiliser pour empêcher les embryons chimériques. Ça a été récupéré tout de suite par cette mouvance réactionnaire.

Pensez-vous que le progrès scientifique que cela représente dépasse les questions éthiques que ça pose ?

Je ne dirais pas cela. L'avantage médical comme réservoir de transplants est évident, mais les questions éthiques doivent être débattues et ne sont pas de mon ressort. Mon opinion n'a pas grand intérêt. Il faut qu'il y ait un consensus social et une majorité politique pour décider ce qu'on fait de ces innovations-là. Ce qu'on voit, c'est que nous sommes dans une phase d'accélération du progrès biotechnologique et que les enjeux éthiques de cette nature vont se multiplier. Citons par exemple toutes les nouvelles utilisations de l'ARN messager, au-delà des vaccins, en cancérologie, dans les maladies génétiques... Les vaccins de Pfizer et moderna ne sont que la partie immergée de l'iceberg de la révolution médicale de l'ARN messager. On voit aussi ce problème des chimères. On a le problème de la sélection embryonnaire qui arrive maintenant avec la modification embryonnaire des bébés. On l'a vu avec les enfants modifiés génétiquement en Chine. On l'a aussi avec les implants cérébraux Neuralink de la société d'Elon Musk, qui a dit cette semaine que les premières implantations intra cérébrales de ces implants électroniques auront lieu avant fin 2021.

On est, à l'évidence, dans une phase d'accélération des enjeux éthiques et biopolitiques, c'est-à-dire mélangeant la biologie et la politique. C'est une phase qui va durer assez longtemps, qui va être de plus en plus incroyable. Il y a des innovations qui seront plus vertigineuses et plus problématiques sur le plan éthique encore que les chimères hommes-singes. Il n'y aura pas de consensus sur l'utilisation de ces technologies-là, comme on le voit déjà avec les vaccins à ARN messager.

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