Des états généraux de l’information : pour quoi faire ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Les États généraux de l’information débutent ce 3 octobre
Les États généraux de l’information débutent ce 3 octobre
©Nicolas Farmine/Hans Lucas. AFP

Une très fausse bonne idée

Les États généraux de l’information débutent ce 3 octobre. Leur ambition: réfléchir aux moyens d’assurer « la qualité de l’information ». De garantir « des informations fiables et pluralistes ». De lutter contre « la défiance persistante » vis-à-vis de la presse.

Fabrice Epelboin

Fabrice Epelboin

Fabrice Epelboin est enseignant à Sciences Po et cofondateur de Yogosha, une startup à la croisée de la sécurité informatique et de l'économie collaborative.

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Atlantico : Il y a plusieurs mois déjà, on apprenait que des états généraux de l’information allaient avoir lieu. Ceux-ci débutent ce mardi. Que pouvons-nous dire à ce sujet ?

Fabrice Epelboin : Ces états généraux sont censés aborder des problèmes tels que les fake news ou la liberté de la presse, ce qui relève de l’humour noir par les temps qui courrent.

Depuis deux-trois mois, on a vu apparaître  un système collaboratif de correction des fake news sur Twitter qui s’appelle les Community Notes, et qui montre à quel point la presse et la quasi-totalité des politiques se répandent en fake news. Oui il y a pléthore de fake news sur les réseaux sociaux, mais les politiques et la presse en sont en grande partie responsables. Les fake news sur les vaccins ont surtout servi d'arbre pour cacher la forêt, et ont permis de glisser sous le tapis  les fausses informations venant de la presse ou du gouvernement, comme on a pu le voir récemment. 

Le problème n’est par ailleurs pas nouveau, le XXe siècle a été marqué par de multiples fake news directement responsables de millions de morts, de l’attaque du Golfe du Tonkin mis en scène pour justifier de la guerre du Vietnam en passant par les élucubrations de Nicolas Sarkozy sur la Libye ou la fiole d'anthrax de Colin Powell à l’ONU, les fake news aux conséquences dramatiques ne manquent pas. Mais aujourd’hui le problème est davantage lié à leur démocratisation et à l’abaissement de la barrière à l’entrée pour les producteurs de fake news. Il y a toujours eu des fake news, mais leur démocratisation est un problème, surtout aux yeux de ceux qui hier en avaient le monopole. Aujourd’hui n’importe qui peut en créer et en diffuser.

Par ailleurs, que dire de l’arrestation récente de la journaliste d’investigation Ariane Lavrilleux ? On met des journalistes en garde à vue afin d’obtenir leurs sources, ce qui peut être caractéristique d’une dictature, du moins un régime autoritaire. Il n’y a plus de liberté de la presse. Et c’est bien ça le problème, mais comme je vous le dis, les journalistes sont les premiers responsables.

Que cherche à obtenir le gouvernement avec les états généraux ?

Il ne faut pas le cacher : il y a peu de journalistes qui font de l’investigation, et il faut les protéger. Si ce quarteron de résistants n’existait pas on ne pourrait pas parler de presse libre en France. Tout le reste peut s’apparenter à de la communication. La défiance envers les journalistes dont la France est l’un des champions aux côtés des USA est alors logique. Les sondages d’opinion montrent que les journalistes ne sont pas plus crédibles que le service communication d’un CAC40, à ceci près que personne n’attend de ces derniers qu’ils constituent un contre pouvoir destiné à préserver les libertés fondamentales. 

Les journalistes se retrouvent dans une injonction paradoxale, coincés entre un pouvoir politique dont ils sont censés être un contre pouvoir et une population de plus en plus hostile. C’est une opportunité pour le gouvernement, car l’hostilité du public ne peut aller qu’en augmentant.

Que faut-il faire ?

Il faudrait mettre en place une régulation sévère envers les journalistes qui diffusent des fake news, avec d'importantes sanctions destinées à écarter du métier de journaliste les contrevenants, et cela dès la première infraction. Ensuite il faudrait retrouver un modèle économique pour la presse, qui vit sous respirateur artificiel depuis 20 ans, grâce d’un côté aux subventions publiques qui ne sont pas distribuées au hasard et de l’autre à la générosité des milliardaires, qui achètent ainsi de l’influence, faisant au passage fondre comme neige au soleil la crédibilité des journalistes ainsi inféodés. Il faut aussi regarder en face que depuis une génération au moins, il y a eu une précarisation extrême du métier de journaliste, et c’est sans doute le problème le plus critique désormais, car cette précarité va être considérablement aggravée par l’intelligence artificielle, qui peut remplacer la plupart des journalistes au vu de la faible qualité de leur productions. 

Ce sont les médias eux-mêmes qui se sont mis dans cette situation. A la fin des années 90, la presse s’est mise à publier des contenus gratuits financés par la pub. Un reportage réalisé par un envoyé spécial sur un front de guerre rapportait autant qu’un simple article bâtonné, et bien moins qu’une compilation de petits chats. 

La publicité a par ailleurs radicalement changé, outre le fait que l’essentiel de ce business est passé dans les mains des GAFAM, plus grand monde ne valorise l’espace publicitaire en fonction du support, on achète le contact avec le prospect. Peu importe qu’on le trouve via le site du Monde ou lors de son passage sur un blog de cuisine, il a la même valeur publicitaire, ce qui est une disruption majeure par rapport à ce qui s’était établit durant le XXe siècle. Mediapart a eu d’ailleurs le nez creux à ce sujet en refusant le modèle gratuit dès le début. L’intelligence artificielle ne les affectera du reste en rien.

D’après vous, ces états généraux ne serviront pas à grand-chose...

Après l’arrestation de la journaliste Ariane Lavrilleux, on peut dire que ces états généraux tombent à pic. Ils peut en sortir un constat qui sera un cri d’alarme et de désespoir ou ces états généraux peuvent accoucher d’une souris, ce qui sera le signe indéniable d’une mort clinique de la profession, et bien plus grave encore, de ce qui fût depuis à minima l’affaire Dreyfus et Zola un pilier de la démocratie.

Selon moi, l’urgence c’est de former les journalistes aux méthodologies de travail de leurs confrères travaillant dans des régimes autoritaires. Chiffrement, technologies destinées à protéger les sources, méthodes destinées à contourner la surveillance, le genre de chose qui est la base du métier pour bon nombre de journalistes dans une multitude de pays depuis des années déjà, et qui distingue dans ces pays les journalistes des propagandistes.

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