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Derniers de la classe européenne : mais qui a vraiment plombé l’éducation nationale en France (en maths comme dans les autres matières) ? Les coupables ont un nom
©LIONEL BONAVENTURE / AFP

Bonnet d'âne

On trouve chez les coupables tous les théoriciens de la pédagogie qui ont plombé l’enseignement en commençant par celui du primaire et l’Etat ainsi que les syndicats d’enseignants.

Jean-Paul Brighelli

Jean-Paul Brighelli

Jean-Paul Brighelli est professeur agrégé de lettres, enseignant et essayiste français.

 Il est l'auteur ou le co-auteur d'un grand nombre d'ouvrages parus chez différents éditeurs, notamment  La Fabrique du crétin (Jean-Claude Gawsewitch, 2005) et La société pornographique (Bourin, 2012)

Il possède également un blog : bonnet d'âne

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Pierre Duriot

Pierre Duriot

Pierre Duriot est enseignant du primaire. Il s’est intéressé à la posture des enfants face au métier d’élève, a travaillé à la fois sur la prévention de la difficulté scolaire à l’école maternelle et sur les questions d’éducation, directement avec les familles. Pierre Duriot est Porte parole national du parti gaulliste : Rassemblement du Peuple Français.

Il est l'auteur de Ne portez pas son cartable (L'Harmattan, 2012) et de Comment l’éducation change la société (L’harmattan, 2013). Il a publié en septembre Haro sur un prof, du côté obscur de l'éducation (Godefroy de Bouillon, 2015).

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Atlantico.fr : Selon la dernière étude Timms dévoilée ce mardi, les élèves français de CM1 et de 4e ont des niveaux en mathématiques qui ne cessent de baisser par rapport aux précédentes évaluations. La France se classe parmi les derniers pays européens. Que ce soit dans les maths ou pour d’autres matières, quelle est la part de responsabilités des méthodes pédagogiques - on parle souvent de “pédagogisme” - dans ces échecs à répétition ? Les experts successifs qui l’ont mis en place sont-ils à blâmer ? 

Jean-Paul Brighelli : Bien sûr que oui. La loi Jospin (1989), qui suivait leurs consignes, a décidé de laisser les élèves "construire leurs savoirs tout seuls". En maths, c'était supposer que nous aurions à faire à des générations entières de petits Blaise Pascal, capables à dix ans de retrouver, de tête, les douze premiers principes d'Euclide. Ajoutez à cela le "travail en autonomie", ou en "îlots", où les élèves "construisent des compétences" sans se voir infliger l'apprentissage d'un savoir imposé (l'horreur), et le tableau sera complet. Si, quand même, j'oubliais : les quatre opérations de base, qui s'apprenaient autrefois entre la Grande Section et le CP, sont désormais réparties sur quatre ans — et je ne vous dis pas le processus tordu, par soustractions successives, par lequel on apprend la division.

Pierre Duriot : Cette aptitude aux mathématiques, est une construction complexe et qui démarre très tôt chez l’enfant. On ne devient pas bon en maths au collège ou au lycée, mais à la maternelle et avant. Grâce aux jeux, à la sollicitation, à l’observation, à la comparaison, à la confrontation à des problématiques logico-mathématiques, l’enfant se forge une perception des nombres, des quantités, des géométries de l’espace, ceci, dès avant son entrée à la maternelle, où il continue à construire ses capacités. Alors, nous sommes un peu tous responsables. Les parents de ne pas suffisamment jouer et solliciter leurs enfants très jeunes, de ne pas passer suffisamment de temps avec eux. Parce qu’ils sont devant leurs écrans de parents, ce qui est un phénomène en cours d’amplification. Et parce qu’ils laissent leurs enfants devant leurs écrans d’enfants, ou livrés à eux-mêmes, avec des choses futiles. Ces aptitudes aux maths ne sont pas perdues pour tout le monde et des familles arrivent encore à donner ces prédispositions à leurs enfants, à fournir de potentiels très bons élèves, que l’on retrouve dans les cursus d’excellence. C’est la moyenne qui baisse, mais en pratique, ce sont les écarts qui se creusent.  

L’école n’arrange rien, avec des enseignements plaqués, sans méthode. Il y a eu la mode des fichiers de maths, remplis de manière intuitive, sans les exercices préalables, pourtant explicités dans les « livres du maître ». Ca l’est un peu moins, mais ça l’est toujours. De manière générale, on manipule peu, on compte des trucs, on colorie des quantités, mais tout cela se fait souvent sur des feuilles, avec des petits dessins. On apprend aussi des mécaniques opératoires, les comprend-t-on ? Rien n’est moins sûr. Cela s’apparente à du copié/collé non informatique, un genre de conformisme d’exécution et du résultat. Ne comprennent que les bons élèves. Mais surtout, il n’y a souvent pas de vraie pédagogie, que du placage de concepts. Là encore, pas chez tout le monde, nous sommes dans le même système de moyenne.

La société telle qu’elle est également, n’incite pas. Les caisses disent aux caissières quelle monnaie elles doivent rendre, quand il reste des caissières. Et partout la machine dit et personne n’a à faire. Et quand on ne fait pas, on oublie comment faire. Du début à la fin, l’esprit des maths ne se construit pas et quand par hasard, il se construit, la réalité fait qu’on a de moins en moins besoin de l’utiliser dans la vie courante.

Atlantico.fr : Y-a-t-il un défaut dans la formation des professeurs, qui pourrait expliquer des lacunes en mathématiques chez ces derniers, qui pourraient se répercuter chez leurs élèves ?

Jean-Paul Brighelli : Il y a très peu de "professeurs des écoles" qui sortent d'un cursus scientifique. Il fallait autrefois, pour passer le concours d'instituteur, avoir travaillé dans l'une des disciplines enseignées à l'Ecole Primaire. Avant même, les Ecoles Normales suppléaient, après la Troisième, à tous les enseignements fondamentaux. Désormais, il suffit d'avoir un  Master dans un e quelconque discipline — d'où l'affluence des "littéraires", et surtout des "sociologues" / "psychologues" — pour ne pas parler de ceux qui ont en main un Master de pédagogie pure, le MEEF, où l'on s'est bien gardé de vous apprendre que 2 + 2 = 4 ou que le verbe s'accorde avec le sujet. 

Le résultat, c'est que vous apprenez à l'école toutes sortes de belles choses sur l'environnement, le devoir d'assistance aux migrants, la joie de la diversité ethnique, mais très peu de mathématiques — comme très peu d'orthographe / grammaire, toutes disciplines où il faut apprendre par cœur, une méthode absolument proscrite aujourd'hui.

Pierre Duriot : Clairement oui. Ces aptitudes se forgent dans le premier degré. Un défaut de formation des professeurs des écoles, qui se concentre sur la forme et non sur le fond. Les élèves professeurs apprennent les partitions, apprennent à transmettre les partitions, mais n’apprennent pas à composer les partitions. Et personne ne sait écrire la partition, ni les profs, ni leurs élèves. Ils n’apprennent la pédagogie, les mots, les postures, les processus, l’interaction entre la personnalité du prof et celle de l’élève, la dynamique des groupes et les effets d’entraînement. Ils n’apprennent pas non plus suffisamment les étapes et les alchimies du développement psychique et intellectuel de l’enfant jeune, qui permet de jouer sur les ressorts de l’apprentissage. Les vieux profs expérimentés partent à la retraite, sans avoir transmis ces techniques dont la maîtrise est intimement lié aux années d’expérience. Les formations continues ne tiennent pas compte des spécificités des terrains, elles sont normalisées, pour toute la nation. L’accent a été mis sur le diplôme. Collège puis Ecole Normale et bac professionnel dans les années 50, puis recrutement bac et formation professionnelle, puis Deug, puis licence, puis maîtrise, avec cette fausse idée de croire qu’à bac plus 5,on serait meilleur pédagogue qu’un bachelier d’Ecole Normale. Le système a laissé tomber la formation professionnelle de qualité pour ses profs. Et pour les élèves, on évalue, encore et encore. Et on coche des cases : acquis, non acquis, en cours d’acquisition. Et tout cela remonte et des gens, dans des bureaux, en dégagent on se sait quoi et des instructions redescendent et final, la dégringolade s’accentue.  

Mais encore, les heures de matières fondamentales diminuent, en Français, en maths. L’exigence s’amenuise. L’accent a été définitivement mis sur le langage, qui devient en réalité, du bavardage. L’important est le « bien-être » à l’école. Au point que le maintien de la discipline est devenu le problème majeur du système et la lutte contre le harcèlement scolaire, une priorité. Se sont substituées, la politique, l’idéologie… la nutrition, le tri des déchets, le genre, les cultures allogènes. L’école lutte contre l’homophobie, traduit les mots aux parents dans la langue d’origine et pratique le vivre ensemble, autour d’un petit déjeuner, lors de sorties vélo, ou ramassage des ordures, avec des accompagnatrices voilées… elle se perd, dans des missions sociales et d’animation, qui ne sont pas de son ressort.

Atlantico.fr : Une partie du problème est-elle due au fait qu’une grande partie des agents de l’Education nationale se consacrent à des missions administratives qui ne concernent pas directement l’enseignement et son amélioration ? L’administration pèse-t-elle trop lourd dans l’Education nationale et dans la vie des professeurs ? 

Jean-Paul Brighelli : Non, c'est un faux problème. La réalité, c'est que les notions de base de travail, d'effort et de discipline se sont évaporées. Le fond du problème tient au recrutement des enseignants, et au salaire que l'Etat leur verse — le plus bas d'Europe : nos voisins luxembourgeois touchent deux fois et demie le salaire d'un enseignant français pour le même volume horaire.

Pierre Duriot : Oui et non. Il existe certes des missions de bureaux, des enseignants de bureaux, un tas de gens qui ne voient jamais les élèves. Mais pas tant que cela, même si ce ratio reste largement perfectible, des coupes ont été effectuées. Ce qui pèse lourd, ce sont les normes, les procédures, les paperasses. Pour le moindre projet pédagogique, la sortie, la classe de découverte, il faut remplir des liasses, transmettre, attendre, les autorisations, les agréments, les tampons, les signatures. Tout est normé, formaté, « exelisé » et dissuade quantité d’initiatives de tous ordres. Quand à « l’amélioration », c’est le mot qui fâche : il désigne quoi ? Le niveau a beau descendre inexorablement, chacun des ministres, de chacun des gouvernements, si vous lui posez la question, va inévitablement vous répondre que sous son mandat, il a oeuvré à l’amélioration et que ça a porté ses fruits. Sauf que les résultats sont là... 

Atlantico.fr : Les syndicats d'enseignants n’ont-ils pas joué leur rôle dans le redressement du niveau scolaire ?

Jean-Paul Brighelli : En demandant sans cesse des postes — du quantitatif — au détriment du qualitatif, sans doute. En demandant un "rattrapage" du "point 'indice" (qui n'a pas varié depuis des années, ce qui a amené une baisse de 20% en valeur réelle des salaires) au lieu d'exiger, comme je le demande moi-même depuis dix ans, 50% d'augmentation des salaires de départ, certainement. Ils en sont à réclamer la titularisation des recalés du CAPES 2020 — qui comme les années précédentes n'a pas rempli tous les postes offerts par le Ministère, faute de candidats de niveau acceptable. Intégrer les recalés, c'est descendre encore le niveau.

Il faut impérativement (Blanquer a commencé à le faire) opérer une remise à niveau des professeurs — dans les écoles comme dans les collèges. Impérativement remettre à l'honneur le travail, en classe ET à la maison (actuellement proscrit), cesser de mettre des bonnes notes en proposant des exercices primitifs, et se remettre en question.

Nous en sommes loin. L'opinion se réveille brutalement de temps à autre, au gré des enquêtes TIMMS, PISA, CEDRE, etc. Il faut réaliser une chose : c'est une civilisation qui s'effondre, avec la complicité active de ceux qui devaient transmettre les Lumières, et qui aujourd'hui, comme dit fort bien Jean-Claude Michéa, enseignent l'ignorance.

Inutile de hurler au "prof bashing", comme ils disent en français Akamura — la nouvelle norme. Tant que l'on tolère des brêles, on aura des résultats catastrophiques. Tant qu'on n'incitera pas les élèves à l'excellence (le plus inquiétant dans les résultats de l'enquête TIMMS, c'est la quasi-disparion des "bons" élèves, stigmatisés depuis des années par les pédagos, qui font de leur médiocrité le nouveau critère de qualité), on aura les mêmes résultats en baisse, parce que seuls les bons élèves "tirent" leurs camarades vers les sommets — alors qu'aujourd'hui, dans le grand chambardement pédadémagogique, c'est exactement le contraire qui se passe.

Pierre Duriot : Très honnêtement, le rôle des syndicats dans le niveau scolaire, actuellement, ne me semble pas significatif. Il y a eut un temps, sous Mitterrand, où j’ai connu quelques syndicalistes exhibant conjointement, leur carte du PS et celle de leur syndicat. Ils furent gênés aux entournures pour mener des combats contre leurs amis, bien sûr. Aujourd’hui, les syndicats se concentrent plus sur le nombre de profs, le nombre d’élèves par classe, les suppressions de postes, la rémunération, la reconnaissance du travail invisible. Si officiellement, les syndicats ne font pas de politique politicienne, leur position semble plus clairement dans l’opposition.  

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