Dérèglement climatique : cette rationalité scientifique qui manque aux débats publics<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Environnement
Dérèglement climatique : cette rationalité scientifique qui manque aux débats publics
©PATRICK HERTZOG / AFP

Nucléaire

Une étude réalisée par BVA montre que le fait que le nucléaire émette peu de CO2 est peu connu des Français. Ils sont 69% à penser que le nucléaire contribue au dérèglement climatique. Toute rationalité scientifique semble s’évanouir sur les questions environnementales.

Henri Prévot

Henri Prévot

Henri Prévot est ingénieur général des Mines. Spécialiste des questions de sécurité économique et de politique de l'énergie, il tient un site Internet consacré à la lutte contre les émissions de gaz à effet de serre.

Il est l'auteur du livre "Avec le nucléaire" paru chez Seuil.

Voir la bio »
Philippe Huneman

Philippe Huneman

Philippe Huneman est directeur de recherches à l'Institut d'histoire et de philosophie des sciences et des techniques, CNRS / Université Paris I Sorbonne.

Voir la bio »

Atlantico. Le débat public sur les mesures environnementales semble marqué par une méconnaissance des sujets en profondeur. Une étude menée par BVA montre par exemple que le fait que le nucléaire émette peu de CO2 est peu connu des Français, qui considèrent au contraire très largement (69%) que le nucléaire contribue au dérèglement climatique. Y a-t-il aujourd'hui un manque de rationalité scientifique dans le débat d'opinion en France sur ces questions ?

Henri Prévot. La loi sur la transition écologique de 2015 a comme objectif principal de réduire les émissions françaises de CO2 et, en même temps, décide d’arrêter des réacteurs nucléaires pourtant en état de fonctionneraprès quelques travaux. Le projet de loi en cours de débat à l’Assemblée nationale confirme l’objectif en allant jusqu’à la « neutralité carbone » et confirme la diminution de la capacité nucléaire. Cela nous obligera à dépenser près de dix milliards par an de plus que si l’on continuait à faire fonctionner ces réacteurs alors que l’on s’inquiète du déficit du budget et des prélèvements obligatoires pesant sur le pouvoir d’achat.
De deux choses l’une : ou bien le projet de loi du gouvernement est incohérent, ou bien le nucléaire contribue au dérèglement climatique. Il est a priori rationnel de faire confiance à son gouvernement. L’opinion ne manque donc pas de rationalité lorsqu’elle se persuade que le nucléaire contribue au dérèglement climatique.
C’est aux élus, au gouvernement et à ceux qui les conseillent qu’il faut imputer ce manque de rationalité. Si l’opinion se trompe, il est de leur responsabilité de rectifier seserreurs comme devraient le leur rappeler Condorcet et ses « Cinq mémoires sur l’instruction publique » du temps des Lumières auquel le président de la République aime à se référer.
Philippe Huneman. L’exemple du nucléaire permet d’identifier en réalité plusieurs problèmes. D’abord, l’énergie nucléaire comme telle suscite depuis longtemps une méfiance. Elle est liée évidemment aux bombes atomiques de 1945, puis aux accidents successifs de Three Miles Island, Tchernobyl ou récemment Fukushima, accidents certes rares mais aux dommages humains souvent terribles. Elle est aussi liée à ce que la philosophe Hannah Arendt avait identifié il y a longtemps : alors que la technique humaine le plus souvent utilise et canalise des processus naturels déjà existants dans son environnement immédiat (le vent pour faire tourner les moulins, la lumière du soleil, etc.), la technologie nucléaire apparaît produire des processus nouveaux  relativement à cet environnement immédiat - tels que la fusion nucléaire, qui agit sur les noyaux des atomes et non plus sur les molécules ou les atomes comme dans la chimie ordinaire. D’où une méfiance systématique - mutatis mutandis, la même chose vaudrait pour la méfiance envers les OGM. 
A partir de là, on assimilera aisément le nucléaire à tout ce qui est supposé négatif: la pollution, donc le CO2 et le réchauffement climatique dont on entend continuellement qu’il lui est lié. On verra plus facilement des agents majeurs du dérèglement climatiquedans les centrales nucléaires que dans ces vaches paisibles qui broutent dans nos prés (alors qu’en réalité c’est l’inverse, du fait des dégagements gazeux des innombrables  vaches). 
Ceci dit, cette méconnaissance du fonctionnement des centrales est à remettre dans le contexte d’un manque très général de culture scientifique. Je me rappelle une enquête montrant que pour un grand nombre de nos concitoyens il n’y a pas de gènes dans les tomates, sinon dans les tomates OGM… En ce sens, il serait prématuré de lier cette affirmation sur le nucléaire dans le sondage BVA avec la question spécifique du changement climatique, et un supposé irrationalisme qui l’entourerait. 
Par ailleurs, la France n’est pas une exception. L’inculture scientifique a été mise en évidence dans de nombreux pays, à commencer par ce qui relève de la biologie évolutive et de la génétique élémentaire. Le paradoxe français, c’est que les mathématiques y jouent un rôle crucial pour le succès scolaire et la sélection au cours de la scolarité, alors que les « élites » politiques, pourtant généralement issues des élite scolaires, semblent parfois dépourvues de connaissances scientifiques de base (certains s’amusent publiquement de ne pas connaître la règle de trois) … Peut-être est-ce dû à la séparation entre la « culture » (usuellement conçue comme littéraire) et les sciences, très prégnante chez nous, mais je n’ai pas d’autres éléments d’analyse. 
La rationalité scientifique est le propre de la science et des chercheurs; le citoyen (ou le chercheur le week-end, en tant que simple citoyen) n’est pas supposé faire de la science, mais utiliser raisonnablement l’information scientifique dans sa délibération et ses décisions. Lorsqu’existe une approche scientifique de quelque chose, il est raisonnable de penser que cette approche a plus de chances que toutes les autres de dire ce qui est vrai, et donc raisonnable de s’appuyer dessus pour agir: c’est ici la norme rationnelle de base. 
Pour de nombreuses raisons, il existe une méfiance envers la science, due en partie à une défiance envers toute forme d’autorité (politique, journalistique, scientifique), comme on peut le voir avec l’intensité des mouvements anti-vaccination en France. Cette méfiance perturbe le bon usage de l’information scientifique et donc la possibilité de décider rationnellement. Mais la rationalité exigée pour les décisions environnementales est une rationalité d’ordre pratique ou politique. La science dit ce qui est, avec une certain degré de fiabilité; elle dit aussi la probabilité de ce qui peut arriver, en fonction des changements que l’on apportera à ce qui est. C’est là le principe des fameux « scénarios » du GIEC concernant le changement climatique. Ensuite, la question se pose de décider sur cette base ce que les agents et la société veulent faire. 
Par exemple, le nucléaire est relativement propre, mais à long terme il pose des problèmes (stockage des déchets, etc.); certains avancent aussi des arguments pour soutenir qu’on ne doit pas négliger dans nos prises de décisionles événements extrêmes à faible probabilité (par exemple, les accidents nucléaires). Les énergies renouvelables, éolienne ou solaire, sont sûres à long terme mais ne pourraient fournir facilement la même quantité d’électricité. Confier au tout nucléaire l’énergie française, avec à long terme un problème insoluble de déchets ou la foi dans l’idée qu’on trouvera un jour une solution technique, ou bien s’engager dans un tournant vers le renouvelable, cher mais sûr à long terme, ou bien encore, bien sûr, définir un compromis, comme on a tendance à le faire aujourd’hui: posé en ces termes, le débat n’est pas tranché par la science. 
Là où il y a un manque de rationalité, c’est lorsqu’on cherche des raisons de contourner ce qu’a établi la science, par exemple le fait du changement climatique, et la responsabilité des activités humaines dans ce changement. Dès qu’on allume un ordinateur ou qu’on démarre une voiture, on fait confiance en la science - puisque celle-ci a permis la technique qui sous-tend ces machines et les rend fiables. Alors, si l’on veut être rationnel, donc cohérent, il faut aussi faire confiance à ce que cette science nous dit de notre environnement, et de la manière dont notre espèce l’a altéré.
On doit distinguer ce manque de rationalité - qui consiste à ne pas vouloir voir ce que la science a établi, dès lors qu’il s’agit de vérités qui affectent notre mode de vie - et le simple  manque de connaissance scientifiques, dont je parlais à propos du nucléaire. Mais il existe quelque chose d’intermédiaire, à savoir la mécompréhension du statut des énoncés scientifiques.
Ainsi, à chaque fois qu’une nouvelle étude expose l’intensité de la dégradation de la biodiversité, certains évoquent l’existence de scientifiques qui ne croiraient pas à cette dégradation, au prétexte qu’il y a toujours eu des extinctions d’espèces (ce qui est évidement le cas, puisque cela fait partie de l'évolution biologique). Mais il s’agit ici d’une polémique académique précise : aucune des deux parties ne nie la situation catastrophique, pour la biodiversité, que nous vivons. Ceux qui , comme le biologiste Doug Erwin, contestent qu’il s’agit d’une extinction de masse définissent l’extinction de masse comme un processus qui, une fois qu’il est lancé, ne peut plus s’arrêter, du fait d’une cascade de rétroactions positives. Alors, très rapidement 60 ou 80% de la biodiversité disparaitrait sans aucun remède possible. Sous cette perspective, Erwin et ses pareils pensent que l’on n’est pas encore irréversiblement dans l’extinction de masse, mais savent très bien que telle est la direction prise aujourd’hui, à cause du développement industriel, de l’élevage etc. Ils sont au moins autant atterrés par la situation que leurs contradicteurs.
Autrement dit, ce genre de dissensus suppose un accord sur les faits établis par la science, au lieu d’en être une remise en question. Certains mécomprennent une telle distinction par manque de familiarité avec le fonctionnement de la science, d’autres le font par pur intérêt ou mauvaise foi. 

Comment expliquez-vous la présence excessive d'éléments émotionnels ou irrationnels dans les mesures parfois gadgets qui sont proposées ? 

Henri Prévot. Ces sujets - le nucléaire, le dérèglement climatique - sont tellement graves qu’il est tout à fait normal qu’ils suscitent une grande émotion. L’émotion pousse à l’action plus que la rationalité. Il faut donner un exutoire à ce désir d’action. Alors les idées fusent, des « petits gestes quotidiens », dérisoires face à la masse des émissions de l’Inde, de la Chine et d’autres, et face aux immenses besoins d’énergie de l’Afrique. Ces « petits gestes » ne résoudront rien mais ils répondent au besoin ressenti par chacun de prendre sa part.
Philippe Huneman. Je ne connais pas assez les mesures en question et le détail de la question énergétique et des problèmes environnementaux pour juger. Mais ici encore, il faut contextualiser : quel que soit le domaine, les dirigeants entendent souvent parler à l’émotion des gouvernés pour faire passer des politiques. Sur le terrain judiciaire, les gouvernements successifs invoquent souvent des événements à charge émotionnelle forte pour persuader que telle ou telle mesure est nécessaire, alors que les spécialistes savent bien qu’elle ne sert à rien. En ce sens, concernant l’écologie, il n’y a rien de nouveau ici.
Un autre aspect doit pourtant être relevé dans ce cas: les mesures émotionnelles permettent parfois de pallier l’absence de mesures réellement efficaces que le gouvernement ne veut pas prendre parce que cela constituerait un gros risque politique. De fait, on connaît quelques facteurs majeurs du changement climatique : l’élevage intensif, la mauvaise isolation thermique de la plupart des bâtiments, les dégagements de CO2 par le transport terrestre et aérien, la multiplication des climatiseurs, la déforestation, la consommation de plastique… Certains ne sont pas modifiables sans concertation européenne ou même mondiale. Sur d’autres, un gouvernement peut agir, mais le souvenir de l’écotaxe de Ségolène Royal, abandonnée après avoir coûté des sommes folles suite à une grogne des routiers, dissuade les gouvernements de tenter des mesures qui s’avéreraient impopulaires pour une partie des concitoyens. Mais au-delà de l’opinion publique, les gouvernants doivent aussi affronter des intérêts économiques. Ainsi, la taxation du kérosène, l’interdiction du plastique et l’obligation de bouteilles en verre consignées, se heurteraient non pas à l’opinion mais aux grandes compagnies et industries. L’histoire de la taxe diesel montre que le gouvernement avait choisi de faire porter l’effort sur les individus, généralement, plutôt que sur les industriels ou les entreprises. La contestation des « gilets jaunes » l’a fait reculer sur ce point. Mais si d’un autre côté on ne veut pas mécontenter les industries et certaines grosses entreprises, il ne reste qu’une très faible marge de manoeuvre, celle des mesures qu’on dénoncera souvent à bon droit comme mesures gadget. 
Concernant cette question des émotions, il existe toutefois plusieurs  caractéristiques propre à ce qu’on pourra appeler la question environnementale (le changement climatique et la perte de biodiversité essentiellement).
D’abord, les jeunes d’aujourd’hui sont la première génération existante à expérimenter dans sa vie vie les effets du changement climatique et de la perte de biodiversité. Il n’y a pas à s’étonner qu’ils soient plus investis que leurs parents dans la cause écologique, simplement parce qu’elle les concerne directement, eux et leurs futurs enfants. 
On sait depuis longtemps que, façonné par l’évolution darwinienne, l’intellect humain est relativement court-termiste. Après tout, si l’on imagine des hominidés il y a 50 000 ans, vivant cette vie « dure, brutale et courte » dont parlait Hobbes, celui qui réfléchissait en pensant au long terme (par exemple en mettant à égalité sa vie présente et sa vie ou celle de ses enfants 70 ans plus tard) avait évidemment en termes de survie et de reproduction un désavantage net sur celui qui agissait essentiellement en fonction du futur proche, puisqu’aucun des deux ne vivrait jusqu’à 70 ans. Nous avons hérité de l’esprit de celui a davantage survécu et proliféré, donc de cet esprit court-termiste façonné par la sélection naturelle. Ainsi, nous disposons aujourd’hui d’innombrables études sur ce que les économistes appellent parfois la « préférence pour le présent ». Cela constitue l’un des nombreux « biais cognitifs », ces tendances systématiques à se tromper dans un même sens, que les psychologues inventorient depuis deux décennies.
Dans ces conditions, toutes les plaidoiries qui en appellent aux générations futures, à nos arrière-petits-enfants etc., pour nous faire changer de comportement, ne trouvent aucun écho réel dans le fonctionnement profond de notre esprit. Cela explique en partie pourquoi les constats dramatiques que l'écologie scientifique développe depuis les années 1960 ne reçoivent l’attention qu’ils méritent que maintenant, alors que les records de chaleur succèdent les uns aux autres tous les mois ou tous les ans, en alternance avec tempêtes, inondations et autres événements extrêmes. (Plus précisément, dans les années 1970 les gens se sont émus de la surpopulation possible de la Terre, la « bombe P » comme l’appelait l’écologue Paul Ehrlich, et puis les réformes agronomiques ont permis de juguler la menace et on a regardé ailleurs.)
Ensuite, il semble que le discours sur l’environnement se polarise depuis quelques années sur l’opposition entre deux pôles, celui des scientistes technophiles, qui ont foi dans les solutions que trouvera un jour la science, et celui que j’appellerais les « collapsophiles » (du mot « collapse », effondrement en anglais), qui à coup de projections terrifiantes nous annoncent à l’échelle d’une vie ou deux la fin de la civilisation occidentale, de la civilisation tout court ou de l’humanité, du moins si nous ne renonçons pas immédiatement au culte de la croissance économique qui guide l’Occident depuis deux siècles. 
Les premiers se présentent souvent eux-mêmes comme les rationalistes : les OGM vont nourrir l’humanité, les technologies vertes vont permettre de diminuer le dégagement de gaz à effet de serre, au besoin en intervenant à grande échelle sur l’atmosphère ou les océans (ce qu’on appelle la géoingénierie)… Evidemment, il est très raisonnable de leur opposer le fait très simple que toute solution technologique crée toujours de nouveaux problèmes - appelant de nouvelles technologies pour les résoudre, et ainsi de suite dans une infinie régression. 
Les seconds ont tendance à dramatiser là où la situation est déjà si grave qu’il n’est pas besoin d’en rajouter. Pourquoi dire que tous les mammifères vont disparaître si l’on sait que 60 ou 70% des espèces de mammifères vont s’éteindre rapidement? Certains voient cette dramatisation comme une stratégie pour surmonter précisément le court-termisme de notre esprit, puisque si la catastrophe est demain, nous agirons infailliblement, alors que si l’on concède qu’elle est pour après-après-demain la pente naturelle du cerveau sera de se dire « j’ai le temps… » Mais cette stratégie me semble au contraire se discréditer elle-même, en jetant le doute sur ce qui est vraiment établi par l’écologie ou la climatologie, et qui est réellement dramatique même si la fin du monde n’est pas pour demain.
Il est probable, quoiqu’assez tiède, de penser que l’approche rationnelle se situe entre les deux. Les collapsophiles jouent évidement sur l’émotion; les technophiles semblent s’abstenir de recourir à l’émotion, mais en appellent surtout, au fond, à notre inertie, nos intérêts à ne pas changer habitudes de consommateurs, donc à des facteurs tout aussi irrationnels. Et même si l’effondrement, le « collapse », n’est pas pour 2020, la littérature scientifique sur le sujet appuie maintenant chaque semaine un constat qui parait simple à comprendre, à savoir qu’un mode de vie dans lequel les portables sont fait pour être changés tous les deux ans et leurs usagers impatients d’en changer tous les six mois - et où les carottes, même bio, sont vendues enveloppées dans deux ou trois couches de plastiques, n’est pas un mode de vie compatible avec une planète en bon état. 
La question est alors de choisir d’agir sur l’offre ou bien sur la demande : exiger des gens qu’ils ne consomment plus ainsi (et donc inciter à des comportements individuels vertueux), ou bien contraindre - par incitations -  les entreprises à proposer autre chose… Enoncer cette simple alternative permet de rappeler que l’affaire n’est pas uniquement éthique, mais relève directement de la rationalité politique. 

Il est pourtant plus que nécessaire, aujourd'hui, de faire la part des choses entre ces mesures gadgets et les vraies mesures qui nous permettraient de combattre le réchauffement climatique. Comment ramener la science et la rationalité dans le débat public ?

Philippe Huneman. La science est souvent contre-intutitive. Le soleil que l’on voit se coucher et se lever ne tourne pas autour de la Terre, les humains n’ont pas toujours existé et sont des primates, les étoiles que je regarde sont parfois éteintes depuis des millions d’années, l’usage intensif des antibiotiques renforce les bactéries infectieuses.. Et de même, les centrales nucléaires sont propres à court terme, et le réchauffement climatique comporte des épisodes de froid extrême inhabituel et local. Dès lors, l’appel à l’intuition, à l’expérience, vécue, devrait être restreint dans le débat public sur la question environnementale. Lorsque Trump dit qu’il n’y a pas de réchauffement climatique parce qu’il fait terriblement froid cet hiver à New York, il dit une ânerie, pareille à celui qui aurait dit « ce Monsieur Copernic se trompe je vois bien que le soleil bouge. » Seulement les conséquences ici sont terribles, puisque la politique de Trump en matière environnementale va probablement faire empirer les choses quant au climat. (Mais en attendant, avec le relâchement des contraintes sur l’automobile et les énergies fossiles, l’emploi et la croissance vont bien - et puis, quand l’effet catastrophique sera devenu sensible, Trump et ses amis seront morts depuis longtemps.) 
Sur ce problème du débat public, je n’ai pas de solution au-delà de constats triviaux. Il est d’abordde la responsabilité des politiques de ne pas remettre en cause les faits établis par la science au nom de l’intuition ou du sentiment, ou inversement d’évoquer des faits soi-disant scientifiques alors qu’aucun consensus n’est solide. Pour prendre un exemple ailleurs, les mesures sécuritaires comme les caméras de videosurveillance n’ont aucun effet mesuré sur la délinquance, mais les pouvoirs publics les plébiscitent souvent, en jouant sur les peurs des citoyens (et parfois en invoquant des études dont les conditions ne satisfont pas les protocoles de neutralité scientifique).  En ce sens, l’abolition de la peine de mort par Badinter et Mitterand était une décision exemplaire : enfin, on ne croyait plus au soi-disant pouvoir dissuasif de la peine capitale, qui justifiait une partie de son soutien massif dans l’opinion, et que personne n’avait pourtant pu prouver scientifiquement! Et de fait, les taux d’homicide ne se sont pas envolés après cette abrogation.
Une autre piste concerne évidemment l’éducation. Au-delà même de la connaissance des faits scientifiques, on n’apprend peut-être pas assez aux gens la démarche scientifique elle-même (malgré les compétences, le sérieux et l’efficacité des professeurs, lesquels ne sont malheureusement pas les seuls maîtres de l’éducation). Ce qui permettrait de comprendre à la fois que la science est une connaissance plus fiable que les autres, et qu’en même temps, le désaccord entre chercheurs, entre hypothèses, loin d’invalider la science, constitue le signe d’une science en train de se faire : dans cette mesure, la controverse suppose toujours un cadre dans lequel on s’accorde. Comme je le disais plus haut, si on est en désaccord sur le fait qu’ait présentement lieu ou pas la sixième extinction de masse de l’histoire, on s’accorde sur le rythme établi, et alarmant car inhabituel, des extinctions d’espèces. 
Beaucoup plaident ici pour une familiarité avec l’histoire des sciences dès   l’école. Elle montrerait comment les vérité scientifiques ne tombent pas du ciel mais sont des résolutions successives de problèmes que se sont posés un jour les savants, et ainsi faciliterait une meilleure compréhension de la démarche scientifique. 
Enfin, au niveau du débat public, la responsabilité des médias consisterait à ne pas donner à tous les intervenants le même poids dans l’échange. Un scientifique parlant de son domaine a plus d’autorité pour en dire le vrai qu’un politique ou qu’un intellectuel généraliste dont ce n’est pas le champ d’expertise. Cela contrecarrerait un peu tous ces biais qui font que nous avons tendance à préférer autre chose que des faits scientifiques qui nous dérangent, et cela enseignerait aussi en quelque sorte par l’exemple que la science, quand elle a finalement établi quelque chose, fournit ce sur quoi baser raisonnablement nos actions. 
Henri Prévot. Il y a beaucoup à faire. Les objectifs sont multiples et incompatibles : réduire les émissions et réduire la part du nucléaire ; diviser par deux la consommation d’énergie sans tenir compte de la façon dont celle-ci est produite. Et le débat est strictement franco-français alors que le CO2 se rit des frontières.
Dans un débat de qualité, toute affirmation peut être contestée, toute proposition peut être comparée à une autre. Mais, pour établir leurs scénarios, les organismes publics tels que l’ADEME ou RTE (réseau de transport électrique) utilisent des moyens de calcul très lourds auxquels le public ne peut pas accéder alors que des moyens beaucoup plus simples seraient suffisants pour débattre. Et ils n’étudient que des scénarios où la capacité nucléaire diminue.
Les acteurs du débat - élus, médias, associations, grand public- se trouvent ainsi démunis des moyens de se faire une opinion rationnelle.
Pour ramener de la rationalité il faut donc affirmer l’objectif : réduire les émissions de CO2 ; c’est à dire diminuer non pas la consommation d’énergie mais la consommation d’énergie fossile, carburant fioul ou gaz ; et ne pas exclure a priori que la capacité nucléaire augmente. 
Il faut aussi réinsérer notre politique dans le contexte mondial ; faire de notre politique de lutte contre les émissions de CO2 une composante de nos relations avec l’Afrique. Concrètement, au lieu de dépenser 10 ou 20 milliards d’euros par an voire davantage pour remplacer notre nucléaire par des éoliennes et du photovoltaïque ou pour faire des dépenses d’économie d’énergie inutilement coûteuses, conserver notre potentiel de production nucléaire et participer au financement de photovoltaïque en Afrique. Ce sera beaucoup plus efficace pour diminuer les émissions de CO2 et cela aidera au développement de ces pays, contribuant ainsi à diminuer la pression migratoire.
C’est ainsi que la raison et l’émotion - la générosité, la crainte d’une immigration difficilement maîtrisable ou le sens de nos responsabilités - nous pousseront dans la même direction : comme nous maîtrisons la technique de production d’électricité nucléaire, pour nous-mêmes et pour le monde en général nous devons en tirer le meilleur parti.

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !