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Démocratie libérale en danger ? De quoi le progressisme macronien est-il vraiment le nom ?
©LUDOVIC MARIN / AFP

Progrès à marche forcée

Dans leur essai "Le progrès ne tombe pas du ciel", Ismaël Emelien et David Amiel proposent une définition du progressisme afin d'en faire le pilier du corpus idéologique de La République en Marche. Le "point essentiel" de ce progressisme est selon les deux auteurs "la méthode d'action publique".

Jean-Philippe Vincent

Jean-Philippe Vincent

Jean-Philippe Vincent, ancien élève de l’ENA, est professeur d’économie à Sciences-Po Paris. Il est l’auteur de Qu’est-ce que le conservatisme (Les Belles Lettres, 2016).

 

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Edouard Husson

Edouard Husson

Universitaire, Edouard Husson a dirigé ESCP Europe Business School de 2012 à 2014 puis a été vice-président de l’Université Paris Sciences & Lettres (PSL). Il est actuellement professeur à l’Institut Franco-Allemand d’Etudes Européennes (à l’Université de Cergy-Pontoise). Spécialiste de l’histoire de l’Allemagne et de l’Europe, il travaille en particulier sur la modernisation politique des sociétés depuis la Révolution française. Il est l’auteur d’ouvrages et de nombreux articles sur l’histoire de l’Allemagne depuis la Révolution française, l’histoire des mondialisations, l’histoire de la monnaie, l’histoire du nazisme et des autres violences de masse au XXème siècle  ou l’histoire des relations internationales et des conflits contemporains. Il écrit en ce moment une biographie de Benjamin Disraëli. 

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Atlantico : Dans leur essai Le progrès ne tombe pas du ciel, Ismaël Emelien et David Amiel, anciens conseillers d'Emmanuel Macron, proposent une définition du progressisme afin d'en faire le pilier du corpus idéologique de La République en Marche. Le "point essentiel" de ce progressisme – qu'ils distinguent du libéralisme - est selon les deux auteurs "la méthode d'action publique", reconnaissant qu'"il est plus difficile encore pour les progressistes d’exercer le pouvoir que de le conquérir". Ces difficultés ne sont-elles pas précisément importantes parce que le progressisme macronien a du mal à accepter la composante libérale de l'exercice démocratique ? Parler de "méthode d'action publique" – comme les progressistes de Terra Nova parlaient de "pédagogie" – ne montre-t-il pas une forme de frilosité démocratique ?

Edouard Husson : Vous touchez au cœur du sujet. Il ne faut pas oublier que ce qu''on appelle néo-libéralisme est en fait le dévoiement d'une révolution conservatrice. Reagan est à la fois antisocialiste et porté par le renouveau chrétien américain des années 1970. Margaret Thatcher veut réhabiliter l'éthique des entrepreneurs qui était celle de 1900. Les années 1980 sont aussi des années de réaction à 1968. 

Tout cela change dans les années 1990. Margaret Thatcher est renversée par les européistes de son parti, qui dévoient sa révolution: le renouveau libéral n'est plus pensé dans le cadre national. Au même moment les yuppies s'emparent de la libération de la finance et de la réforme des mœurs. Vous avez des modes comme le DINK ("Double Income. No Kids"). Toute l'éthique thatchérienne est balayée, en même temps que le souverainisme dans lequel se déployaient ces réformes. Cela donne quelques années plus tard  Tony Blair; le Labour s'empare du thatchérisme mais pour le transformer en néo-libéralisme. Au même moment que la chute de Margaret Thatcher arrive Bill Clinton, moralement aussi vertébré qu'un mollusque, et qui trimballe, sous l'influence de sa femme, tout l'héritage progressiste. 

Le trait caractéristique du néolibéralisme c'est qu'il s'éloigne de plus en plus du libéralisme politique au fur et à mesure qu'il devient progressiste. Clinton et Blair font la guerre en violant leurs parlements respectifs. Toute une flopée d'anciens trotskistes américains viennent parasiter le parti républicain américain en inventant le néo-conservatisme. 

Le macronisme est le dernier avatar du progressisme néolibéral et il en partage une caractéristique majeure: l'abandon du libéralisme politique. On ne doit pas être étonné de la répression du mouvement des Gilets Jaunes: parlementarisme et démocratie sont des freins à la finance sans limites, au capitalisme de connivence, à l'individualisme absolu des mœurs, à la mise en place d'un gouvernement supranational voire mondial. 

Jean-Philippe Vincent : Je n’ai pas lu le livre d’Emelien et Amiel. Pour être très franc, d’ailleurs, je ne compte pas le lire ! Ce sera ma façon d’exprimer mon malaise avec l’idée de « progressisme ». Ce dernier, en définitive, c’est tout ce qui reste à un homme de gauche quand il a renoncé au progrès. Raymond Aron avait écrit un livre intitulé les « Désillusions du Progrès ». Mais que devrait-on dire des désillusions des progressistes ! Les progressistes sont des idéalistes qui constatent leur faillite. Ça doit être très, très amer. Et la constatation d’une faillite de la pensée ne fait pas une idéologie. Il est tout à fait vrai, cependant, qu’il est plus difficile d’exercer le pouvoir que de le conquérir. Mais dans le cas des progressistes, c’est encore plus vrai. En effet, un progressiste prétend agir dans le présent en fonction d’un futur rêvé, idéalisé, fantasmé. Dès qu’il est confronter au réel et non au fantasme, un progressiste est dans la désillusion. La méthode d’action publique me fait l’effet d’un « cache-sexe » assez misérable. En gros, cela veut dire : naviguer sans cap, à la godille, à l’estime, sans l’estime. On connaît ça très bien et on en fait l’expérience tous les jours. Mais de là à en faire la théorie et l’apologie, non merci.

Quelle relation entretiennent la tradition politique libérale et le mouvement philosophique du progressisme ? Jusqu'à quel point un libéral peut-il être "progressiste" ? 

Edouard Husson : En fait il faudrait se débarrasser du mot libéralisme. Au commencement est la liberté, qu'il s'agisse de la République romaine ou de l'élection du roi dans la tradition celte ou germanique. Le progressisme est une façon polie de dire que l'on restreint les libertés. Au nom de l'efficacité, de l'accroissement de la taille des entités politiques, de l'organisation d'un Etat moderne, d'un effort de guerre à mener, de la raison, de l'égalité des conditions sociales etc. Regardez par exemple comme Voltaire se prosterne devant Frédéric II ou Diderot est amoureux de la Grande Catherine. Emmanuel Macron a commencé son quinquennat devant une pyramide, symbole du plus grand despotisme que l'humanité ait connu avant les régimes totalitaires du XXè siècle.  

Tous ceux qui aiment la liberté politique ne peuvent qu'admirer la manière dont les Britanniques reviennent régulièrement à la liberté politique des origines. Grande Charte, Glorieuse Révolution, Brexit! 

Jean-Philippe Vincent : Il existe et a toujours existé un « libéralisme progressiste » de même qu’il existe et a toujours existé un « libéralisme conservateur ». Certains libéraux anglais du XIXe siècle, John Stuart Mill, par exemple, peuvent être regardés comme des libéraux progressistes. Mais fondamentalement, le libéralisme repose sur une idée essentielle : si l’on fait confiance à la liberté des individus et si l’on respecte les règles de la liberté et de la démocratie, alors, on a fait l’essentiel. L’important n’est pas le résultat : le progrès, même s’il n’est évidemment pas négligeable, l’important c’est de se donner les moyens – la liberté – d’y arriver. C’est au fond ce que Robert Nozick appelait la « justice procédurale pure » : si l’on respecte les bonnes règles, alors on est dans la bonne voie, celle de la liberté, et c’est l’essentiel. Le résultat ne peut pas être garanti, mais la procédure, elle, doit être respectée. Le progressisme est le contraire de cela puisqu’il s’agit de garantir un résultat, en ne s’interrogeant guère sur les moyens démocratiques qui permettraient d’y parvenir.

Emelien reconnait que dans le passé, le PS, en théâtralisant son opposition au FN, a pu engranger des soutiens mais a renforcé à terme le Front National. En opposant progressistes et populistes, notamment dans le cadre des prochaines élections européennes, Emmanuel Macron ne commet-il pas dès lors une bonne stratégie électorale mais une piètre stratégie politique d'un point de vue idéologique ? Le progressisme d'En marche est-il une émule de celui de Terra Nova ?  N'est-il pas d'une certaine façon acteur – comme Orban ou Salvini – de la pente illibérale sur laquelle semble s'aventurer l'Europe ?

Edouard Husson : Quand sortirons-nous de l'emprise de cet ambitieux éminemment pervers qu'était Mitterrand? Il a d'abord instrumentalisé le progressisme pour assouvir sa soif de pouvoir. 1981 est le résultat le plus grotesque de notre histoire politique. Un renégat de la droite a fait l'union des forces de progrès. Le même renégat, ensuite, crée la zizanie dans cette droite qu'il connaissait si bien et où de Gaulle lui avait barré la route. Il s'appuie sur l'absence de colonne vertébrale d'un ancien militant progressiste venu au gaullisme par ambition, Jacques Chirac, pour sceller l'unité de tous les progressistes contre le Front National, dernier refuge du sentiment national et donc de l'attachement aux libertés. Mitterrand réécrit Astérix en version grinçante et vu du point de vue des Romains, lui-même se réservant le rôle de César. Jean-Marie Le Pen crée un village gaulois qui ne cesse de résister à l'envahisseur tout en se complaisant dans son enfermement dans un Finistère politique.  

La grande astuce de Mitterrand c'est de transformer le patriote français en "Gaulois réfractaire". Macron n'a rien inventé. C'est le patronat français et la gauche caviar qui ont fait, par leurs décisions à courte vue, de l'immigration une question centrale de la politique française! Ce n'est pas le Front National! Que Jean-Marie Le Pen ait alimenté le jeu mitterrandien en acceptant cette réécriture d'Astérix où les Gaulois deviennent les méchants et Abraracourcix fait des calembours scandaleux, c'est une chose. Que, sur le fond, le patronat français ait préféré la main d'œuvre étrangère bon marché à la robotisation et la gauche cassé cette magnifique machine à assimiler qu'était l'école du Malet-Isaac et du Lagarde & Michard, c'est la vraie racine de nos problèmes. 

Nous ne sommes pas les seuls à subir les conséquences du progressisme. Angela Merkel fille d'un pasteur compagnon de route du parti communiste allemand, éduquée elle même en RDA, a voulu faire du progressisme l'idéologie de toute l'Europe. Contre tout respect des institutions démocratiques, elle a imposé à l'Allemagne le retour aux centrales à charbon et à l'Union Européenne une immigration massive- avec la bénédiction dans les deux cas d'un pape péroniste! Les illibéraux, ce sont ces gens, non Orban ou Salvini, qui essaient de substituer au despotisme éclairé qu'est le merkelisme une démocratie conservatrice. 

Jean-Philippe Vincent : Le populisme est un des fruits du progressisme : il est un retour à l’ultra-réalité, de façon très crue et très excessive. Cette réalité, les progressistes la détestent et la réalité déteste les progressistes. De Gaulle, s’exprimant un jour à la télévision en 1965, disait : « Il n’y a pas de politique en dehors des  réalités». Il avait évidemment raison. La « méthode d’action publique » n’est pas une façon de faire dans la réalité, c’est une façon d’y échapper, une fuite en avant quand on a perdu le cap. Les conservateurs, eux, pensent qu’il faut faire avec la réalité et même que la réalité peut être belle. C’est une pensée qui a été naguère très bien exprimée par le philosophe hongrois, Aurel Kolnai quand il parlait des ravages causés par l’esprit utopiste. Il faudrait le relire, car il exprime très clairement et finement le bonheur des réalités. Et nous avons besoin de réapprendre à être dans la réalité avec bonheur et avec joie. Elle n’est pas triste. Il n’y a que les progressistes pour penser cela.

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