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Déclaration de politique générale : impact proche de zéro sur la réalité ?
©GERARD JULIEN / AFP

Beaucoup de bruit pour rien

Mercredi, Edouard Philippe prononcera sa déclaration de politique générale. Ce genre de discours, quand on se penche sur ce qu'en ont fait les prédécesseurs d'Edouard Philippe, n’a quasiment aucun impact sur les fondamentaux de l’économie et du quotidien des Français : taux de pauvreté, taux de croissance, parité de l’euro, taux d’intérêt…

Mathieu  Mucherie

Mathieu Mucherie

Mathieu Mucherie est économiste de marché à Paris, et s'exprime ici à titre personnel.

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Depuis quand un politicien français a-t-il fait bouger la moindre ligne sur les marchés (actions, taux d’intérêt, taux de changes), alors qu’un inconnu de la BCE peut les affoler ? Depuis quand un discours de politique générale a-t-il modifié ne serait-ce que de façon epsilonesque une réalité quelconque ou une variable à peu près sensible ? Depuis quand un homme de droite (ou prétendu tel) a-t-il argumenté dans ce pays pour une idée à peu près nouvelle (par idée nouvelle, je ne compte pas les serpents de mer de la formation-tout-au-long-de-la-vie et de l’apprentissage-c’est-cool, et ce n’est ni nouveau ni de droite d’abaisser les charges en compensant par une hausse de CSG ou de TVA, la politique de TOUS les gouvernements depuis 1991) ?

L’ennui naquit un jour de discours de politique générale d’Edouard Philippe à l’Assemblée… Comme l’écouter pendant deux heures est aussi utile que de faire un don à la FIFA, je vous propose de tout refaire, sans rien garder de son speech hors sujet. Imaginons donc un vrai homme de droite (populaire, pas populiste) dans un vrai pays pas trop à la remorque de Francfort & Berlin, qui proposerait enfin une politique claire, en quelques points, 3 points : 

1/ Enfin des choses pas trop liberticides :

Ras le bol de cette droite complice de la gôche pour toutes les restrictions de liberté, des 80km/h en passant par les 12 vaccins obligatoires pour les nouveaux nés, les tarifs administrés, l’écologisme, le contrôle orwellien du langage. Ils parlent bien le Tocqueville dans l’opposition, puis pratiquent le Hollande au pouvoir, et sont donc co-responsables de cette société mesquine et punitive qui a été bâtit en peu de temps sur une France jadis plutôt insouciante. La médecine de ville crève ainsi de soviétisation rampante, encore accentuée par les technos en place depuis deux ans, et essayez de vous installer comme artisan sans diplôme, etc. On en arrive au point où même des gens a priori fort peu libertariens se mettent à avoir peur quand le gouvernement promet un Etat « plus proche du terrain »…   

Un programme de liberté comprendrait notamment la libéralisation du secteur des médias (à ce jour contrôlé à 50% par l’Etat et à 40% par des oligarques shootés à la commande publique, ce qui n’a pas l’air de trop scandaliser le pouvoir en place), la libéralisation foncière toujours remise à plus tard (comment voulez-vous calmer la dérive des prix de l’immobilier si vous n’êtes pas autorisé à construire ? Griveau comme Hidalgo ne se posent jamais ce genre de question), une vraie simplification administrative qui commencerait par la démolition d’au moins une strate, etc. Et, à défaut de pouvoir remettre un peu de liberté dans le système, ne plus trop embêter les gens avec des interdictions, des limitations ; laisser toutes les mesures mesquines à tous les petits planificateurs de LREM et à tous les excités du RN. 
Illustration sur les finances publiques. Quand notre droite franchouillarde aborde la fiscalité, c’est toujours pour agiter le totem de l’IR ou de l’ISF, jamais pour évoquer un impôt négatif à la française (l’EITC américain fonctionnerait très bien si on faisait un peu le ménage dans nos dispositifs). Quand notre droite franchouillarde aborde les questions budgétaires, c’est pour le respect des 3% de déficits, presque jamais pour faire le point sur ce qui relève du périmètre régalien et ce qui n’en relève pas dans une société libre, et strictement jamais pour évoquer la réalité des marchés où nous pouvons nous financer à 0% ou faire acheter des dettes par le banquier central en toute impunité (regardez le Japon, les USA, etc.), ce qui déplace un peu les données du problème par rapport aux années 90. En un mot, la droite a été assez bête pour menacer du bâton sans jamais montrer des carottes, elle a eu une approche comptable qui ne la distingue pas assez des Moscovici ou des Darmalin, et de nos jours elle ne se bat pas assez pour défendre les familles nombreuses contre le coup d’état fiscalo-social des célibataires. Nous ne voulons plus d’une droite qui promet toujours du sang fiscal et des larmes budgétaires, parce que nous savons qui va payer, au final : les classes moyennes. Nous ne voulons plus d’une droite qui crie avec la BCE à la « délinquance budgétaire italienne » alors que ce pays multiplie courageusement les excédents primaires depuis 1994 (chose que nous serions bien incapables de faire deux années de suite).   

La droite classique, maintenant qu’elle va traverser une longue vallée de larmes pendant des années, devrait en profiter pour lire des livres, vous savez ces petits objets rectangulaires qui décorent j’imagine les étagères du siège de LR sans être jamais ouverts par les barons de la droite immobilière ; je leur conseille de commencer par Philippe Muray, qui se moquait de l’envie de pénal, de l’épuration éthique, de la colonie distractionnaire ; ils pourraient continuer ensuite avec Rueff ou Bastiat, tant il est vrai qu’il est inutile de recréer une droite parlementaire si elle n’est pas d’abord le foyer de la défense des libertés économiques et civiques, le bastion des idées qui n’infantilisent pas trop les gens, le porte-parole des initiatives et des experimentations locales. 

2/ Enfin des choses nobles, équitables, et pas trop dispendieuses : 

La participation remplie toutes ces cases à mon avis : c’est chrétien, c’est gaulliste, c’est « social », c’est très adapté à un monde où les boites peinent à remotiver leurs troupes et à refaire des gains de productivité (trop de « mentalité du salarié », trop de routines bureaucratiques, et en échange un encéphalogramme plat des salaires), au passage cela obligerait les « partenaires sociaux » à se remettre enfin utilement autour d’une table et l’Etat à ré-inventer ses outils réglementaires et fiscaux. La captation des profits par quelques uns ruine d’avance tout le « ruissellement » macroniste, et non ce n’est pas suffisant de distribuer des actions gratuites aux cadres dirigeants et un peu de miettes d’intéressement aux autres. Le capitalisme n’est pas « fou » comme l’a dit Macron hier en Suisse : parfois, il arrive en effet qu’il devienne fou quand il est trop énarchique (quand un jeune diplômé peu habitué des fusions-acquisitions peut empocher trois millions d’euros en moins de trois ans, par exemple), mais le plus souvent il est juste trop concentré. Le capitalisme est en danger non pas parce qu’il ne fonctionne pas mais parce qu’il n’y a pas assez d’invités autour de la table, pas assez de capitalistes : des proprios trop vieux, trop frileux (rachats d’actions, dividendes, empilement de cash sur le cash), des conseils d’administration trop consanguins, des profs diplômés d’un PhD en finance qui n’ont jamais acheté une action de leur vie, un Président qui parle sans rire d’une « start-up nation » mais sans étendre les droits de propriété à tous, comme si on pouvait obtenir des braves gens qu’ils travaillent comme dans une start-up tout en étant payés comme à la sécurité sociale : de l’air dans tout ça ! Chesterton, Belloc ! Du distributisme !

Autre exemple : la crise des gilets jaunes. Souvent, des gens endettés, piégés par des taux revolving, à la limite de l’usure à une époque où l’Etat se finance à moins de 0%, des gens qui ne peuvent plus déployer un seul acte économique dans le temps. Combien coûterait une restructuration d’une partie de leurs dettes, et/ou le logement de ces dettes dans un compartiment du bilan de la banque centrale à des fins d’extinction progressive et discrète (comme les allemands ont fait pour leurs banques, soit dit en passant) ? Certainement bien moins que les 20 milliards qui au final ont été lâchés dans la panique et un peu au hasard vers les retraités et les classes moyennes par un gouvernement  sans imagination, dénué de culture judéo-chrétienne et sans trop de contact avec le monde réel. Ce qui nous amène au dernier point :

3/ enfin des choses tangibles, aux antipodes des agences de com’ de la Macronie : (attention, âmes sensibles et admirateurs de Gérard Larcher, vous allez entrer dans un univers intellectuel qui n’est pas fait pour vous) :

Le retour du réel : voilà quel devrait être le slogan de la droite après 5 ans de Hollande-contre-la finance (lol), 5 ans de Macron qui casse les grands partis interclassistes un à un, et 40 ans de PME lepéniste qui refuse de se salir les mains. Ce pays crève de postures faux-cul et d’une hyperinflation de mots. Les critiques acides de Joseph De Maistre sur les milliers de lois des révolutionnaires n’ont pas pris une ride. La droite a un vrai avantage comparatif ici, du moins si elle revient à la modestie textuelle et au souci du réel, car elle a dans son ADN de quoi . 

Regardez nos amateurs (en même temps recyclés) du gouvernement actuel. Une Europe de la défense, mais pas trop. Une Europe sociale, mais dirigée par la BCE. Une réforme de l’Etat, mais sans rien changer. Une justice indépendante, mais avec un ami comme procureur de Paris. Macron veut beaucoup de choses. Comme les enfants. Quand le monde réel lui dit non, ce qui arrive assez souvent, il n’est pas content du tout et s’enferme dans sa chambre, même si on lui avait dit dès le départ que les allemands refuseraient ses projets typiques d’une vilaine copie de sciences-po (budget de la zone euro, taxation des GAFA, etc.). Il veut être jugé sur ses intentions plus que sur ses résultats : si tout rate, ce ne sera pas de sa faute. Une droite rénovée mettrait la responsabilité et l’évaluation au cœur de son discours et de ses propositions : elle n’autoriserait pas que des gens mandatés pour délivrer une légère inflation nous embarque depuis une décennie dans une japonisation marquée (sans les avantages du Japon), elle n’autoriserait pas le maintien de gens qui mentent comme des arracheurs de dents (Castaner) ; enfin, laissez moi rêver un peu.

Trop de gens nous parlent de réformes structurelles alors qu’ils ne payent pas le prix : ils n’ont pas envoyé un CV depuis bien longtemps, leurs réformes du marché du travail sont toujours pour les autres. Il en va donc de la survie de la droite classique de ne plus jamais prendre Alain Attali ou Jacques Minc comme experts/conseillers pour des rapports de 150 propositions, de ne plus jamais organiser des pseudo-Grenelle de l’environnement à 30 milliards d’euros en pleine crise pour la rénovation des ascenseurs pendant que la croissance chute verticalement, etc. 

Exemple de non-retour au réel : les débats sans fin sur l’identité (Zemour et compagnie). C’est peut-être intéressant, sauf qu’à court terme ça ne mène à rien ; alors que la droite et surtout la France auraient bien besoin d’une victoire, ici et maintenant. Un réarmement idéologique est une chose, un programme avec des axes concrets en est une autre. Une voie stimulante consisterait ici à rendre l’immigration payante (au sens de Jean-Philippe Vincent) ; un marché des droits à s’installer en France, avec au passage plus de transparence, des débats parlementaires tous les ans et des rentrées pour les caisses publiques (vitales parait-il pour un pays « au bord de la faillite » qui se finance à 0%). Ah, certes, ce n’est pas politiquement correct. Ah, certes, il faudrait revoir tout le dispositif français, rigoureusement organisé pour importer les plus basses qualifications (dont nous aurons de moins en moins besoin) et pour exporter nos plus diplômés. Cela supposerait de laisser le marché fixer un prix, et ensuite le faire respecter, ce qui n’est pas dans la tradition hexagonale où l’on préfère nier le rôle du marché pour ensuite ne surtout pas appliquer les règles folles édictées par l’administration. Mais la droite se grandirait par ce genre d’approche, en comparaison du laxisme de la gauche, de la schizophrénie macroniste, et du protectionnisme lepéniste. 

Un cocktail particulièrement explosif de naïveté, d’indifférence de fer au réel et de tartufferie se trouve chez les fédéralistes, qui ont pris en otage une partie de la droite modérée et qui cherchent à faire passer les autres pour des ringards, des ronchons. Ils n’ont pas l’air de se rendre compte de ce qu’impliqueraient, concrètement, les « Etats-Unis d’Europe ». Par exemple, une solidarité budgétaire sans faille, dont on a vu qu’elle était refusée dans les grandes largeurs de 2009 à 2015 par nos pseudo-fédéralistes pro-allemands. Le vrai fédéralisme, c’est justement donner de l’argent qu’on ne vous remboursera pas ; pas de prêter à la Grèce en dressant des listes de conditions : la Louisiane ne remboursera jamais la Californie ou New York pour les aides liées au cyclone Katrina. L’Europe est donc un sujet trop sérieux pour être laissé aux pseudo-fédéralistes. Un programme de droite plus conséquent et plus réaliste serait ici : défendre à peu près tous les acquis de la construction européenne jusqu’aux années 80, faire le tri avec ce qui a été fait depuis, et proposer des choses plus sérieuses pour l’avenir qu’un « Google européen ». Je pense en particulier à la relance de l’Europe spatiale, sauvageusement disruptée par SpaceX et minée en amont par nos divisions, nos hésitations, notre manque de vision. Voilà un secteur clé où la France dispose de compétences et d’atouts, où l’argent public n’est pas illégitime pour amorcer la recherche et susciter des vocations, et dans lequel nous nous faisons distancer dans un silence effrayant. La NASA peut être critiquée mais pour 0,6% du budget fédéral chaque année elle délivre convenablement ; nous mettons (à 25) environ trois fois moins… à quoi sert le plan Juncker ?

Mais revenons à Edouard.

Avec le quinquennat, couplé à l’esprit de cour qui règne à l’Elysée depuis des lustres, et couplé à un ToutanMacron expert en tout depuis son hypokhâgne, il ne reste plus d’espace constructif au Premier Ministre, naguère pseudo-« clé de voute de nos institutions » : il lui reste un espace résiduel de bla-bla, et une vague utilité de rabatteur (en l’occurrence, auprès de la bourgeoisie de province qui ne sait plus où elle habite). 

L’abolition du Premier Ministre ou du moins son effacement est un nouvel emprunt hasardeux à la culture politique américaine. Nous récupérons toujours de l’Amérique les pires choses, ce dont l’Amérique crève à petit feu, ou ce dont elle cherche à se débarasser depuis des décennies, par exemple des pouvoirs sans contre-pouvoirs, ou des choses de mauvais goût : le rap, les primaires, le présidentialisme absolutiste depuis Roosevelt, le féminisme grinçant, le sondagisme, le psychologisme, le juridisme borné (mention spéciale pour le partage du temps de travail : chez eux, les écrits de Robert Reich ont été d’éphémères succès de librairie, chez nous cela a donné les 35 heures…). En attendant bientôt la foire des quotas pour les minorités, et le grand retour des contrôles des loyers (qui ont failli tuer New York et plein de villes américaines jadis), pour que la guerre juridique de tous contre tous se diffuse encore. Nous pourrions leur emprunter des éléments qui fonctionnent très bien, qui ont fait leur preuve, mais non, ce serait trop beau : des universités sélectives, des bibliothèques ouvertes, une certaine concurrence institutionnelle (autorités monétaires auditées par les Parlementaires,…), de vrais entrepreneurs (je ne parle pas des clowns de VivaTech), l’élection des juges, des délinquants étrangers virés du territoire et persona non grata pour longtemps, les referendums locaux innombrables, une plus grande pluralité des médias, les médicaments de base du quotidien disponibles en supermarché... 

Donc, Edouard ne sert à rien. CQFD. Mais il parle. On dirait une synthèse vivante du grand débat national : débattez, débattez chers amis, pendant que les choses sérieuses se décident (sans vous). Dans la théatrocratie dans laquelle nous nous enfonçons toujours un peu plus depuis que les choses économiques sérieuses ont été « sanctuarisées » de l’autre côté du Rhin, depuis que disserter sur les réformes s’avère beaucoup plus payant que réformer vraiment, depuis que le réel est passé de mode, tout le monde vous écoute parler ; mais plus grand monde ne vous entend, et les marchés s’en moquent. 

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