Débats pré-européennes : l’économie par les nuls, épisode 2<!-- --> | Atlantico.fr
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Débat entre les têtes de liste pour les élections européennes, le 27 mai 2024.
Débat entre les têtes de liste pour les élections européennes, le 27 mai 2024.
©JULIEN DE ROSA / AFP

Lacunes

On pouvait penser qu’on avait touché le fond sur les questions économiques avec le débat des huit têtes de liste sur LCI le 21 mai. Le débat du 27 mai sur BFMTV démontre que malheureusement il n’en est rien.

Jean-Luc Demarty

Jean-Luc Demarty est ancien Directeur Général du Commerce Extérieur de la Commission Européenne (2011-2019), ancien Directeur Général Adjoint et Directeur Général de l'Agriculture de la Commission Européenne (2000-2010) et ancien Conseiller au cabinet de Jacques Delors (1981-1984; 1988-1995).

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Le premier épisode de la série "Débats pré-européennes : l'économie par les nuls" est à retrouver ICI

On a assisté à une foire d’empoigne dans un débat dont les deux journalistes ont perdu tout contrôle. La répétition des contre-vérités sur les accords de libre-échange n’a pas fait l’objet un seul instant d’un examen de leurs effets depuis quinze ans. Ils ont fait progresser l’excédent agro-alimentaire de l’UE de 60 milliards d’Euros et celui de la France de 6 milliards d’Euros avec les pays non membres de l’UE. Où est la pénalisation des agriculteurs français. Les débatteurs vivent visiblement dans un monde parallèle.

La sortie de la France du marché européen de l’électricité défendue par Manon Aubry et Léon Deffontaines n’est jamais envisagée sous l’angle de son incompatibilité évidente avec l’appartenance à l’UE. En outre comment les excédents structurels de la production française d’électricité pourront-ils alors être exportés avec une valorisation correcte.

La question pertinente du maintien de l’arrêt de la production des voitures thermiques en 2035, cadeau aux Chinois, aurait pu être l’occasion d’un débat sérieux. On a eu droit à des insultes de Manon Aubry à l’encontre de Carlos Tavares, patron de Stellantis. Marion Maréchal a évoqué le travail des enfants en Afrique pour la production de cobalt, problème sérieux, mais périphérique. Si les entreprises européennes sont disciplinées par le règlement européen de 2017 sur les minerais du sang et le règlement européen général sur la responsabilité sociale des entreprises dans leurs chaines de valeur adopté il y a quelques semaines dont les débatteurs ignoraient visiblement l’existence, les entreprises chinoises n’en ont rien à faire, ce qui leur donne effectivement un avantage indu de compétitivité. D’une manière générale la nécessité d’attraper les pratiques prédatrices chinoises en est restée aux vagues déclarations d’intention.

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Débats pré-européennes : l’économie par les nuls, épisode 1

Raphaël Glucksmann s’est prononcé en faveur d’une réforme de la PAC fondamentalement contraire aux intérêts français. Il propose de passer d’un soutien à l’ha à un soutien par actif agricole au nom de la justice. C’est tout d’abord ingérable parce que de nombreux emplois familiaux sont à temps partiel et impossible à quantifier sérieusement. Ce sont des fraudes généralisées assurées. Ensuite les aides à l’ha sont très favorables à la France qui a la plus grande surface agricole de l’UE. Le passage à l’aide par actif serait un énorme cadeau à la Pologne et à la Roumanie qui représentent la moitié des agriculteurs européens. La France, qui n’en représente que 4 %, serait gravement pénalisée.

Le summum de l’économie vaudou a été atteint par Marie Toussaint, soutenue par Manon Aubry, favorable à l’arrêt immédiat de la prospection gazière et pétrolière, ciblant particulièrement Total, pourtant une des compagnies pétrolières les plus vertueuses. Une telle politique ferait flamber le prix du gaz et du pétrole pendant la transition énergétique, un des meilleurs moyens de freiner les énormes investissements nécessaires et d’affecter négativement le pouvoir d’achat des ménages. Bien entendu elles ont prôné, soutenues par Raphaël Glucksmann, un renforcement du pacte vert, malgré son dosage et son caractère unilatéral discutables, et un protectionnisme vert qui générerait miraculeusement l’augmentation des investissements et de la production. Il est incroyable que jamais les 30 % d’émissions de gaz à effet de serre chinoises, pas encore à leur pic, ne soient mentionnées.

Comme lors du précédent débat, François-Xavier Bellamy a été le moins mauvais, avec des arguments économiques souvent pertinents, à l’exception des accords de libre-échange. Jordan Bardella, jamais vraiment en difficulté, malgré ses insuffisances économiques peu mises à l’épreuve, a continué de plastronner. Valérie Hayer a survécu sans éclat.

L’interview de Raphaël Glucksmann par Caroline Roux le 28 mai sur France 2 lui a permis de développer plus en détail ses thématiques en faveur d’une Europe forte, avec un charisme et une force de conviction incontestables.

Malheureusement les moyens proposés sont inefficaces et contreproductifs. Tout d’abord Raphaël Glucksmann fait preuve, comme tous les candidats de gauche, d’une partialité scandaleuse à l’encontre d’Israël. Il propose d’utiliser la clause essentielle droits humains de l’accord d’association UE-Israël pour suspendre cet accord. Israël n’a certainement pas violé les droits humains sur son territoire. Il n’est pas prouvé qu’il l’ait fait à Gaza. En revanche, il ne propose pas de suspendre les accords d’association de l’UE avec l’Egypte, l’Algérie et la Tunisie qui contiennent une clause similaire alors que ces pays violent à l’évidence les droits humains sur leur territoire et même peut-être à Gaza pour l’Egypte qui empêche les civils de fuir la guerre. Au nom de la real politique, ce ne serait ni dans l’intérêt de la France, ni dans celui de l’UE, ni dans celui de la paix au Proche-Orient de suspendre ces accords maintenant. Par contre ne pas le faire implique automatiquement de ne pas le faire pour Israël, sauf à être injuste, partial et incohérent.

Raphaël Glucksmann plaide pour une politique très vigoureuse face à la Chine en ressortant en permanence l’exemple d’une entreprise nantaise de panneaux solaires qui a récemment fait faillite. Malheureusement la bataille des panneaux solaires a été perdue il y a dix ans lorsque la Commission européenne a lancé une procédure anti dumping contre les panneaux solaires chinois déjà prédominants sur le marché européen à cette époque, avec plus de 20 milliards d’exportations dans l’UE. Le prix minimum à l’importation qui en a résulté a dû être abandonné rapidement sous la pression des pays mercantilistes comme l’Allemagne et surtout des différents lobbies verts. Raphaël Glucksmann marque un point en invoquant le nouvel instrument européen travail forcé qui pourrait bloquer les importations de panneaux solaires chinois produits à partir de polysilicone issu de travail forcé ouighour.

Raphaël Glucksmann ridiculise les règles de l’OMC dont il présente le respect comme idéologique. Or l’UE a réussi à maintenir tous les principaux pays, y compris la Chine, à l’exception des Etats-Unis et de l’Inde, dans le respect de la condamnation de la violation de ces règles par l’organe de règlement des différends. Les ignorer serait préparer la loi de la jungle et les prémisses d’une nouvelle guerre mondiale. L’UE dispose d’une dizaine d’instruments unilatéraux compatibles avec l’OMC pour se défendre de manière efficace contre les pratiques chinoises déloyales et prédatrices. Le fumeux protectionnisme vert de Raphaël Glucksmann, sa proposition d’endettement européen massif et sa taxation des riches au niveau européen ne conduiront nulle part et certainement à la relance de la production qu’il appelle de ses vœux si la France ne se réforme pas et si les Français ne travaillent pas davantage, questions soigneusement évitées par tous les candidats à l’exception de François-Xavier Bellamy.

Rafael Glucksmann remet le couvert avec sa proposition de réforme de la PAC de passage au soutien par actif au lieu du soutien par ha dont j’ai démontré plus haut qu’elle pénaliserait gravement la France. Cette fois il la présente habilement comme le moyen de ne pas favoriser les grandes exploitations ukrainiennes. Cela ne change pas grand-chose à la pénalisation de la France. La solution réside dans la dégressivité ou le plafonnement des aides à l’ha, systématiquement proposés par la Commission européenne et toujours refusés par les Etats membres au Conseil, au premier rang par le gouvernement socialiste français lors de la première grande réforme de 1992.

Le courage de Raphaël Glucksmann face aux agressions russes et aux pratiques prédatrices chinoises et son éloquence ne doivent pas masquer son absence de maîtrise des questions économiques qu’il couvre par des incantations moralisatrices et des postures martiales.

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