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Le baromètre de popularité du Figaro Magazine fait montre d'une popularité grandissante de plusieurs figures du RN.
Le baromètre de popularité du Figaro Magazine fait montre d'une popularité grandissante de plusieurs figures du RN.
©Bertrand GUAY / AFP

Popularité grandissante

Pour la première fois depuis son entrée dans le baromètre du Figaro Magazine, Marine Le Pen arrive à la première place.

Luc Rouban

Luc Rouban

Luc Rouban est directeur de recherches au CNRS et travaille au Cevipof depuis 1996 et à Sciences Po depuis 1987.

Il est l'auteur de La fonction publique en débat (Documentation française, 2014), Quel avenir pour la fonction publique ? (Documentation française, 2017), La démocratie représentative est-elle en crise ? (Documentation française, 2018) et Le paradoxe du macronisme (Les Presses de Sciences po, 2018) et La matière noire de la démocratie (Les Presses de Sciences Po, 2019), "Quel avenir pour les maires ?" à la Documentation française (2020). Il a publié en 2022 Les raisons de la défiance aux Presses de Sciences Po. Il a également publié en 2022 La vraie victoire du RN aux Presses de Sciences Po. En 2024, il a publié Les racines sociales de la violence politique aux éditions de l'Aube.

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Atlantico : Le baromètre de popularité du Figaro Magazine fait montre d'une popularité grandissante de plusieurs figures du RN, parmi lesquelles Jordan Bardella, arrivé en troisième position. Marine Le Pen arrive pour sa part à la première place. Seule personnalité de l'exécutif à sortir la tête de l'eau : Gabriel Attal. Faut-il y voir une fracture entre une "France Bardella" et une "France Attal" ? 

Luc Rouban : En fait, il faut voir dans ces résultats la confirmation de la fracture entre la « France Macron » et la « France RN ». La montée en puissance des dirigeants de la galaxie de l’ancienne extrême-droite, devenue en quelques années le centre de gravité de toutes les droites, est impressionnante. L’enquête menée pour le Figaro Magazine confirme bien d’autres études mais elle montre que sur la « cote d’avenir des personnalités politiques », les représentants du RN et de Reconquête occupent trois des quatre premières places à côté d’Édouard Philippe. Gabriel Attal, malgré ses initiatives remarquées à l’Éducation nationale, n’a pas eu encore le temps d’imprimer sa marque personnelle comme Premier ministre, pour autant qu’il puisse le faire réellement et prendre ses distances avec l’Élysée, ce qui paraît fort douteux sauf à offrir une version plus jeune et plus carrée du macronisme. La confrontation très médiatisée de Gabriel Attal et de Jordan Bardella s’inscrit dans une bataille pour le réalisme, chacun invoquant le « bon sens » : celui de la gestion et de la mondialisation pour le premier, affichant une volonté de résultats économiques, celui du vécu quotidien des Français pour le second, affichant une volonté de résultats sociétaux en matière d’immigration et de sécurité. L’appartenance des deux protagonistes à une commune génération rend cette confrontation porteuse d’une rupture qui se veut définitive avec le monde de l’ancienne politique des appareils et des notables, pour autant que cela s’avère vraiment possible car le terrain est peuplé de notables comme le rappelle souvent le Sénat.

On se retrouve donc dans la confirmation de ce qu’avait toujours souhaité, semble-t-il, Emmanuel Macron, à savoir un espace politique bipolaire entre Renaissance (ex-LREM) et le RN ayant écrasé autant le PS que LR. Cette bipolarité s’appuie évidemment sur des caractéristiques économiques et socioprofessionnelles bien distinctes : d’un côté, plutôt des catégories aisées, diplômées, à l’aise avec l’Europe et la mondialisation ; de l’autre, la précarité économique, l’absence de patrimoine, des territoires en difficultés, des métiers qui ne sont pas reconnus même s’ils sont particulièrement utiles. Le RN a réussi à évincer la gauche et surtout LFI dans la convergence politique des révoltes qui se déploient régulièrement depuis 2018. En réalité, la personnalité des leaders politiques a relativement peu d’intérêt au regard de ce qu’ils et elles représentent aux yeux des électeurs.

Jusqu'à présent, Marine Le Pen n'arrivait pas à se hisser à la première marche de tels baromètres. Après avoir tutoyé un taux de confiance de 14% en 2010, elle arrive aujourd'hui à 40%. De quoi la montée en popularité du Rassemblement national est-il le nom, exactement ?

C’est tout d’abord le nom d’une dédiabolisation réussie. La « normalisation » du RN voire sa position centrale dans tous les débats est un des grands succès de Marine Le Pen qui a su apparemment définir une ligne interne consistant à jouer paisiblement le jeu des institutions notamment à l’Assemblée nationale et à éviter les scandales, les postures et les phrases désastreuses et choquantes dont était coutumier son père.

Mais c’est aussi le nom d’une transformation en profondeur de la vie politique française que beaucoup de commentateurs et d’analystes n’ont pas vu venir. On n’en est plus à la lutte des classes à la papa des années 1970, car les trajectoires professionnelles comme les votes se sont diversifiés et individualisés désactivant la traditionnelle culture ouvrière, par exemple. On n’en est plus non plus au rêve néolibéral consistant à réduire l’offre des services publics et célébrer la mondialisation en se revendiquant du gaullisme. Ce qui a changé et ce que le RN a su capter ce sont trois choses.

D’une part, une forte attente de mobilité sociale et non de révolution qui permette aux catégories moyennes au moins de ne pas retomber dans le prolétariat que génère la mondialisation. D’autre part, une lecture réaliste du vécu des Français, de leur confrontation aux violences quotidiennes, aux insécurités, au défaut de services publics. Enfin, le retour du volontarisme qui a toujours marqué le code génétique de la politique en France depuis la Révolution. Et c’est ici qu’il se heurte de plein fouet au macronisme qui n’a pas de programme précis car son code génétique est l’adaptation à l’environnement selon les circonstances, à l’image d’une entreprise qui évolue en permanence en fonction des marchés. En ce sens, le RN est en mesure de récupérer la confiance et les voix des nostalgiques du gaullisme, que LR a laissé partir en s’accrochant à un néolibéralisme dépassé, mais aussi des républicains qui s’inquiètent de l’avenir de la laïcité et craignent de voir la France devenir une collection de communautés, comme de tous ceux qui se préoccupent de l’identité culturelle française, qui commencent par voter pour Éric Zemmour et se rabattent ensuite sur Marine le Pen comme cela s’est produit en 2022.

Le Rassemblement national peut-il transformer l'essai ? Dans quelle mesure ces sondages et baromètres représentent-ils vraiment les intentions de vote des Françaises et des Français ?

La probabilité d’une victoire aux élections européennes est désormais très forte étant donné les tensions sociales et la crise des agriculteurs qui sont devenus les représentants d’une France des territoires oubliés et des métiers méprisés par le capitalisme. La question de l’élection présidentielle de 2027 est plus délicate car tout va dépendre et de l’émergence d’un candidat représentant le macronisme après Emmanuel Macron, ce qui semble bien difficile, et du choix d’un candidat de droite conservatrice capable de bloquer Marine Le Pen au second tour. Quant aux sondages et baromètres, ils sont d’une grande utilité lorsqu’ils sont administrés selon les règles de l’art avec de bons échantillons et des questions pas trop stupides. Du côté des grande enquêtes électorales menées par le Cevipof avec des équipes de chercheurs professionnels, l’expérience montre en 2017 ou 2022 que la mesure des intentions de vote était fiable et que les résultats permettaient d’analyser en profondeur les motivations du vote.

Peut-on encore se contenter d'arguments d'autorité pour entraver la progression du RN ? Condamner une forme de "fascisme", par exemple ou pointer du doigt l'extrême droite sans jamais la confronter sur ses positions constitue-t-il une solution viable ?

L’erreur d’une grande partie de la gauche mais aussi d’Emmanuel Macron dans sa dernière conférence de presse est d’assimiler le RN avec l’ancien FN. Les électeurs du RN ne sont pas dans leur grande majorité, même s’il en existe, des racistes et des xénophobes acharnés à discriminer les étrangers. Ils dénoncent toujours fortement l’immigration, certes, mais plutôt comme signe d’une perte de maîtrise de la situation nationale. De la même façon, la tarte à la crème sur le « populisme » devient un peu rance quand on voit que 33% des catégories professionnelles supérieures ont voté pour Marine Le Pen au second tour de l’élection présidentielle de 2022. Le populisme implique une confrontation entre un peuple, souvent dans la misère, et une élite qu’il entend éliminer par la violence, comme ce fut le cas dans l’histoire. Aujourd’hui, la question n’est pas la grande redistribution des terres ou des revenus sous la houlette d’un leader autoritaire qui va interdire les partis politiques, les syndicats, enfermer ou tuer les opposants ou les journalistes.

La question est désormais double : celle de l’équité, tout d’abord ; celle de l’avenir de la nation française ensuite. La question de l’équité est clairement posée par l’Union européenne qui laisse trop souvent se développer une concurrence déloyale permettant des importations à bas coût et une concentration économique qui ruinent les agriculteurs, les PME, les commerces de proximité. La question de la nation, quant à elle, ne renvoie pas seulement à une forme de souverainisme étroit. Elle renvoie à la cohésion du tissu social qui a beaucoup souffert de la faiblesse de l’État, d’une justice défaillante, d’une politique d’immigration que personne n’est plus capable de contrôler et du défaut conséquent, à savoir l’absence d’intégration de certains immigrés si ce n’est leur « désintégration » lorsqu’ils constatent que le taulier local ou les Frères musulmans jouent un rôle plus important dans la vie du quartier qu’une République fantomatique et verbeuse.

Le RN peut-il séduire la frange des Français qui sont aujourd'hui réfractaires à son vote ? Quels sont les obstacles auxquels le parti est confronté ?

C’est tout le travail politique pour un parti que d’élargir sa base électorale. L’enjeu à moyen terme pour le RN est d’assécher le vivier électoral de LR, étant donné la convergence politique qui s’est assez clairement affirmée lors du vote de la loi immigration, mais aussi peut-être d’attirer les électeurs d’Emmanuel Macron venus de la droite et critiquant son manque de cap ou de réponse concrète face aux problèmes sociaux. Du reste, on peut remarquer dans le Baromètre du Figaro Magazine que la chute de confiance envers le président de la République s’est singulièrement accélérée après les émeutes de juillet 2023 qui ont semé l’effroi sur tout le territoire non par leur violence en tant que telle que par ce qu’elles signifiaient de l’état réel de la société et notamment de ses générations les plus jeunes.

Mais le RN n’a pas que des ressources. Parmi les obstacles qu’il va rencontrer, on peut en citer deux. D’une part, le risque permanent d’être pris dans une polémique à la suite de propos déplacés ou inacceptables d’un de ses leaders qui le renverraient très vite à ses origines extrémistes. On a vu que Jordan Bardella avait été déstabilisé par ses propos hésitants sur l’antisémitisme de Jean-Marie Le Pen. D’autre part et surtout, il lui manque l’appui d’un véritable réseau d’élites économiques, universitaires, administratives qui puisse lui assurer une véritable expertise. Ce point est essentiel pour la future élection présidentielle. L’absence de maîtrise des dossiers européens ou économiques a coûté très cher à Marine Le Pen face à Emmanuel Macron en 2017 comme en 2022. De la même façon, il n’a pas encore beaucoup développé ses propositions dans le domaine international alors même que la guerre s’est installée en Europe et qu’approchent les élections américaines.

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