De quoi l’affaire Achilli est-elle vraiment le nom ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Le journaliste français Jean-François Achilli (à gauche) interrogeant Nicolas Sarkozy, le 13 mars 2013 à Paris.
Le journaliste français Jean-François Achilli (à gauche) interrogeant Nicolas Sarkozy, le 13 mars 2013 à Paris.
©ERIC FEFERBERG / AFP

Polémique

La direction de Radio France a suspendu le journaliste de France Info au nom de la lutte contre la connivence entre journalistes et politiques. Elle a surtout révélé bien autre chose.

Pierre Bentata

Pierre Bentata

Pierre Bentata est Maître de conférences à la Faculté de Droit et Science Politique d'Aix Marseille Université. 

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Suite aux « révélations » du Monde du 13 mars dernier, Jean-François Achilli a été suspendu de l’antenne de France Info « à titre conservatoire, le temps de clarifier la situation ». En cause, sa supposée participation, niée par le principal intéressé dans un communiqué sur X, à un projet d’ouvrage de Jordan Bardella, qui aurait consisté à l’accoucher de « ses souvenirs, permettant un début de texte de voir le jour ».

Un manquement grave à la déontologie de la profession à en croire un second article du Monde qui persiste et signe. Mais quel est le véritable problème ? Tous les journalistes politiques ont des contacts avec les personnalités politiques qu’ils interrogent et invitent sur leurs antennes. L’inverse serait absurde. Ils discutent ensemble dans les couloirs des chaines de télé et de radio, ils ont leurs numéros de téléphone et peuvent évidemment discuter de sujets qui dépassent le cadre des interviews. Il faudrait être idiot ou totalement ignorant du domaine médiatique pour penser que journalistes et politiques n’ont aucune relation. Pour que les médias remplissent leur fonction, il faut que ces relations existent.

Alors quoi ? Aurait-on suspendu Jean-François Achilli s’il avait échangé les mêmes messages avec Mathilde Panot ou Sandrine Rousseau ? Evidemment non. Dans ce cas, il n’y aurait pas eu de « révélations », pas d’affaire Achilli ; circulez, il n’y a rien à voir. Voilà la véritable et unique « affaire ». Dans le milieu du journalisme français, les règles de déontologie sont à géométrie variable et se relâche à mesure que le journaliste penche à gauche.

Ce qui choque ce petit Monde, ce n’est pas qu’un journaliste échange avec un politique mais qu’il le fasse avec quelqu’un d’extrême droite. Tant qu’il s’agit de la gauche, on peut mêler les genres ; aucun problème. Sur Radio France et Arte, on peut revendiquer clairement son idéologie, affirmant vouloir « réenchanter la gauche » ou déplorer que « Hamon n’imprime pas, c’est dommage » ; les chroniqueurs et humoristes des matinales peuvent clamer qu’ils voteraient « pour un équivalent de Podemos » et rire de l’absence de pluralité de leurs équipes ; un journaliste peut continuer à animer des émissions politiques alors que son conjoint est en campagne pour les européennes ; chacun peut même utiliser son statut de journaliste comme tremplin pour devenir député. Tant qu’on pense bien, bien à gauche, la déontologie n’a pas lieu d’être.

Et l’indignation est sans doute sincère. C’est là le pire. L’ancrage idéologique est si profond et si généralisé que les journalistes ne le voient même plus : dans le confort de l’entre-soi, ils se croient neutres et objectifs. D’où ces émissions aux titres évocateurs sur la chaine de « l’esprit d’ouverture » (sic !) : « L’idéologie cynique de la Silicon Valley », « Le capitalisme sur le banc des accusés », « Les maux du Grand Capital », « Des prisons aux salles de gym : le tapis roulant symbole de l’aliénation capitalistique », à écouter et réécouter pour constater l’absence flagrante de tout débat contradictoire.

Dans l’atmosphère feutrée des studios, le fond idéologique l’emporte sur la vérité des faits. L’information disparaît au profit d’une petite musique politique partout identique. Mais il y a un hic. Dans un pays où l’ensemble des partis de gauche n’a réuni que 32,2% des voix lors de la dernière présidentielle, n’a récupéré que 26,8% des sièges lors des dernières législatives et flirterait avec les 30% d’intentions de vote aux prochaines européennes, diffuser une information teintée à gauche, c’est mécontenter deux tiers des auditeurs. Or, pétris d’un sentiment de supériorité idéologique et morale, nos journalistes s’arcboutent et font dans la surenchère, avec pour conséquence l’émergence de chaines et de médias prêts à satisfaire une demande privée d’offre publique.

Qu’on ne se méprenne pas, l’essor des médias de droite, et de CNews en premier lieu, est la conséquence de ce trop-plein idéologique dans les chaines historiques. Les auditions de la commission d’enquête sur les fréquences TNT ont mis cette réalité en évidence : les nouveaux venus sont là pour répondre aux attentes d’auditeurs qui ne se reconnaissent plus dans les émissions du service public.

 A force d’évincer, de moquer et de marginaliser ceux qui, dans leur corporation, ne pensent pas comme eux, les journalistes ont fini par saper les fondements de leur propre légitimité. Résultats, ils ont fait de l’information un objet politique qui leur échappe. C’est cela l’affaire Achilli. Une histoire de censure et d’aveuglement idéologique qui fait le lit d’un journalisme d’opinion et sonne le glas d’un journalisme d’information.  

Les journalistes ayant encore à cœur d’informer plutôt que convaincre feraient bien de s’en souvenir en soutenant leur confrère. Car la suspension de Jean-François Achilli est aussi celle de la crédibilité des médias. Pour redevenir un pilier du système démocratique, il est plus que temps que les journalistes se réveillent de leur sommeil dogmatique.

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