De l’immigrationnisme à la haine de l’identité : retour sur la querelle au sein de l’Eglise catholique<!-- --> | Atlantico.fr
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Le pape François lors d'une visite à Lesbos, le 16 avril 2016, dans le camp de réfugiés de Moria.
Le pape François lors d'une visite à Lesbos, le 16 avril 2016, dans le camp de réfugiés de Moria.
©ANDREA BONETTI / AFP

Bonnes feuilles

Laurent Dandrieu publie « Rome ou Babel: Pour un christianisme universaliste et enraciné » chez Artège éditions. L'idée s'impose qu'il faudrait choisir entre la patrie du ciel et la patrie terrestre, qu'il serait urgent de dépasser les frontières pour réaliser l'unité du genre humain. L'universalisme semble n'être plus qu'un autre nom du mondialisme. Pour Laurent Dandrieu, cette vision est en contradiction avec l'essence même du catholicisme, religion de l'incarnation. Extrait 1/2.

Laurent Dandrieu

Laurent Dandrieu

Laurent Dandrieu est rédacteur en chef des pages "Culture" de Valeurs actuelles, pour lequel il suit également l'actualité religieuse. Il est l'auteur de plusieurs livres dont Woody Allen, portrait d'un antimoderne (CNRS Éditions), Dictionnaire passionné du cinéma (Éditions de l'Homme nouveau) et La Compagnie des anges. Petite vie de Fra Angelico (Éditions du Cerf).

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Le pontificat du pape François, entre autres aspects, aura eu ce mérite de clarifier le débat quant aux positions de l’Église sur la question migratoire, et de cristalliser le malaise jusqu’alors diffus ressenti par beaucoup de catholiques en une argumentation raisonnée. Jusqu’alors, en effet, beaucoup de fidèles, perplexes depuis les années 1980 devant des positions cléricales souvent unilatéralement favorables aux migrations de masse et hostiles à ceux qui entendaient s’y opposer, jusqu’à sembler souvent vouloir leur dénier la qualité de catholiques, s’arrangeaient pour contourner ce malaise en ne voulant y voir que des positions maladroites ou isolées, mais en aucun cas la position officielle de l’Église. Ceux-là, souvent, se rassuraient à bon compte en citant en boucle cette phrase de Jean-Paul II, extraite de son message pour la Journée du migrant 2004 : « Édifier des conditions concrètes de paix, en ce qui concerne les migrants et les réfugiés, signifie s’engager sérieusement à préserver avant tout le droit à ne pas émigrer, c’est-à-dire à vivre dans la paix et la dignité dans sa propre Patrie. » Position réaffirmée par Benoît XVI dans son message pour la Journée du migrant 2013 :

« Avant même le droit d’émigrer, il faut réaffirmer le droit de ne pas émigrer, c’est-à-dire d’être en condition de demeurer sur sa propre terre, répétant avec le bienheureux Jean-Paul II que “le droit primordial de l’homme est de vivre dans sa patrie : droit qui ne devient toutefois effectif que si l’on tient constamment sous contrôle les facteurs qui poussent à l’émigration”. » (Discours au IVe Congrès mondial des migrations, 1998)

Depuis 2013, toutefois, les prises de position récurrentes du pape François sur le sujet, finissant par former par leur répétition une sorte de martèlement obsédant qui instille dans les esprits l’idée que l’accueil des migrants serait la préoccupation principale de l’Église universelle, et que cet accueil ne saurait être qu’inconditionnel, ne permettaient pas d’en rester à cette lecture rassurante qui s’apparentait de plus en plus à un déni de réalité. Certains, pourtant, voulaient croire qu’il ne s’agissait que d’une option personnelle du pontife argentin, qui passerait avec lui : à mesure que les positions immigrationnistes de François envahissaient, de plus en plus, des textes de portée magistérielle, cette ligne devenait cependant de moins en moins tenable. Dans notre livre sur le sujet, nous avons voulu apporter la démonstration que les positions du pape François, malgré leur style très personnel, ne constituaient pas une rupture par rapport à ses prédécesseurs, mais s’inscrivaient au contraire, en la poussant à ses plus extrêmes conséquences, dans la lignée d’un magistère qui, sur cette question, nous semble faire fausse route depuis quasiment le début. Quasiment dès l’origine, ce magistère, récent à l’échelle bimillénaire de l’Église – le premier grand texte sur la question date de Pie XII : c’est la constitution apostolique Exsul familia, en 1952 –, va être faussé par deux biais, qui perdurent jusqu’à aujourd’hui.

Les deux biais du discours ecclésial sur l’immigration

Le premier est de ne considérer la question migratoire, presque exclusivement, que du point de vue des immigrés : la position de l’Église sur l’immigration est, en réalité, très largement, une position sur les migrants, où les populations des pays d’accueil sont pour ainsi dire condamnées à faire de la figuration et assez systématiquement ignorées, si ce n’est pour les inciter à un accueil plus large ou les soupçonner d’un manque de générosité qui est imputé à des frilosités, des peurs, voire du racisme et de la xénophobie. Ne s’intéressant qu’au bien supposé des migrants, toujours considéré d’ailleurs dans le court terme, elle ignore les conséquences sur les pays d’accueil, leur cohésion culturelle et religieuse, leur sécurité, leur prospérité et leur stabilité (comme si cette prospérité et cette stabilité n’étaient pas les conditions sine qua non de l’aide que l’Occident peut apporter aux peuples moins favorisés), et leur survie même comme constructions politiques émanant d’un peuple donné. Plus largement, ce magistère sur les migrants semble mener sa vie propre, indépendamment du reste de la théologie catholique, sans presque aucun souci d’articulation, par exemple, avec la doctrine catholique du bien commun, avec la théologie des nations, ou même avec la conception classique de la charité, fournissant un cas d’école parfait d’une de ces vertus chrétiennes – en l’occurrence celle de l’accueil  – devenues folles, écrit Chesterton dans la seconde partie de sa phrase, jamais citée mais qui est pourtant essentielle, pour avoir été isolées les unes des autres.

Le second biais est qu’il s’agit d’un discours sur un migrant abstrait, un migrant avec un grand M  : l’Église nous explique qu’il faut l’intégrer, mais ne s’intéresse pas à la question de savoir qui est ce migrant, d’où il vient, ni avec quel bagage culturel ou religieux, comme si cela n’avait pas d’incidence sur la capacité de la société d’accueil à l’intégrer. Elle ne s’intéresse pas non plus à la question de savoir en quel nombre il arrive : on parle d’intégration de personnes, de familles, mais on oublie toujours de considérer que ce n’est pas la même chose d’intégrer quelques familles et des centaines de milliers de personnes, surtout si ces centaines de milliers de personnes sont issues d’une culture qui n’a rien à voir avec la nôtre, et sont fidèles d’une religion qui n’a rien à voir avec celle qui a façonné la société dans laquelle nous vivons, et porteuse de valeurs culturelles contradictoires avec les nôtres. Et ce discours ecclésial ne s’intéresse pas non plus à ce qui advient quand ces migrants arrivent de façon suffisamment groupée pour que l’intégration à la société du pays d’accueil ne soit plus pour eux une nécessité vitale, mais au contraire ressentie comme une gêne, parce qu’ils sont suffisamment nombreux à être de même origine pour qu’il leur soit plus naturel de vivre et rester entre eux et s’en trouver bien… C’est tout le problème du communautarisme, qui s’installe nécessairement quand un pays doit faire face à une immigration massive, qui plus est quand ledit pays a renoncé à imposer aux migrants en question une politique d’assimilation. La hiérarchie catholique, qui a condamné à de multiples reprises l’assimilation des immigrés, est quasi muette sur les conséquences catastrophiques des communautarismes qui sont pourtant la résultante de ce renoncement.

La seule variation d’importance dans ce discours s’y produit très tôt : quand Pie XII, en 1948, définit un “droit à migrer”, il le limite encore aux cas de nécessité vitale (fuir une révolution, la guerre ou la faim), mais c’est une réserve qui va vite disparaître. Ainsi, Jean XXIII, dans l’encyclique Pacem in terris, en 1963, parle-t-il d’« un droit inhérent à la personne humaine que la faculté de se rendre en tel pays où on espère trouver des conditions de vie plus convenables pour soi et sa famille ». Benoît XVI, dans son message pour la Journée du migrant 2013, cite « au nombre des droits humains fondamentaux » « la faculté pour chacun de s’établir là où il l’estime le plus opportun pour une meilleure réalisation de ses capacités, de ses aspirations et de ses projets ». En l’espace de cinquante ans, nous voilà passés d’un droit soumis à la condition qu’il soit l’expression d’une nécessité vitale à un droit ouvert à tous ceux qui le jugent opportun… La répétition par le pape François du fait que les migrants qui se pressent aux portes de l’Europe fuieraient « la guerre et la faim », si elle semble conditionner l’accueil à cette condition de « nécessité vitale », l’ignore en réalité, puisque toutes les études montrent que l’immense majorité des migrants en question ne sont pas des réfugiés, mais des migrants économiques.

De fait, si le Catéchisme de l’Église catholique rappelle que « les autorités politiques peuvent en vue du bien commun dont elles ont la charge subordonner l’exercice du droit d’immigration à diverses conditions juridiques » (no  2241), si en vertu de ce principe les papes font de temps à autre, comme le pape François lors d’une conférence de presse de retour de Stockholm, le 1er  2016, référence à une certaine « prudence » dans l’accueil; si même il leur arrive de rappeler, comme nous l’avons vu avec Jean-Paul II et Benoît XVI, qu’il convient de préserver avant tout le droit à ne pas émigrer, le pape François lui-même reconnaissant (Fratelli tutti, no  129) que « l’idéal serait d’éviter les migrations inutiles », le discours de l’Église n’en est pas moins indéniablement marqué par une forme d’absolutisation du droit à migrer, en vertu d’une sorte de canonisation des migrations face à laquelle les droits des nations sont appelés à peser de très peu de poids : « Les limites et les frontières des États ne peuvent pas s’opposer » à ce que chacun ait part aux biens des pays « où existent plus de possibilités », écrit François dans Fratelli tutti (no  121). 

« Le chrétien laisse venir tout le monde » (pape François)

De ce point de vue, la continuité du pape François avec ses prédécesseurs est certaine, et c’est à bon droit qu’il peut se référer à eux dans ses innombrables interventions sur le sujet. Pour autant, il est tout aussi indéniable qu’il y fait entendre une tonalité qui lui est propre. Elle tient en premier lieu à la récurrence de ses interventions sur le sujet, qui donnent le sentiment que l’accueil des migrants serait la manifestation par excellence de la charité évangélique, une sorte de critère ultime de la catholicité.

Elle tient ensuite au mode de communication très particulier de François, qui rompt avec les discours traditionnellement très cadrés et maîtrisés des papes. Profitons-en pour répondre à une critique qui nous avait été faite de manière récurrente après la publication d’Église et immigration, le grand malaise : celle de mêler, dans nos citations des papes, des textes ayant une valeur magistérielle forte, comme les encycliques, à d’autres n’en ayant pas du tout, comme des propos à bâtons rompus devant des journalistes. La critique aurait quelque pertinence si nous prétendions faire un travail de théologie fondamentale. Tel n’est évidemment pas notre propos : ce que nous visons, c’est l’impact des paroles du pape sur le débat public, sur l’état d’esprit des opinions publiques, du clergé et de la classe médiatico-politique, sa contribution à l’état de désarmement moral qui accable aujourd’hui l’Occident. De ce point de vue, telle petite phrase prononcée dans un avion a infiniment plus de poids que tel paragraphe charpenté d’une encyclique. Pour dénuées de valeur théologique qu’elles soient, les conférences de presse au retour des voyages pontificaux contribuent infiniment plus à la formation de l’esprit du temps que les textes doctrinaux les plus travaillés. Pape de l’âge médiatique par excellence, François impressionne bien davantage les esprits par ses déclarations publiques et ses interviews que par ses textes magistériels : prétendre ignorer les premières et ne retenir que les seconds serait ignorer superbement la réalité de ce qu’est devenue la papauté aujourd’hui.

Chez lui, le souci de frapper les esprits par des paroles chocs et des gestes symboliques (comme lorsqu’en 2016, à l’issue du premier de ses deux voyages à Lesbos, il ramène dans son avion douze clandestins musulmans) est d’ailleurs manifeste : lorsque le pape affirme que « le chrétien laisse venir tout le monde » (audience du 22 juin 2016), lorsqu’il compare les camps de réfugiés à des « camps de concentration » (homélie du 22 avril 2017, à l’église Saint-Barthélemy à Rome), ou qu’il affirme, contre toute évidence historique, que « l’Europe s’est faite de migrations et d’invasions » (le 17 février 2017, lors d’un dialogue avec les étudiants de l’université de Rome III), on a le sentiment, alors que la « crise des migrants » et l’explosion du terrorisme islamique en Europe auraient semblé devoir conduire à une plus grande prudence, que le pape François s’abandonne au contraire à une sorte de fuite en avant où l’impératif absolu de l’accueil ne paraît plus guère s’embarrasser de nuances. Son style de communication très libre, son histoire personnelle de fils d’immigré italien, son goût pour l’admonestation, traitant ceux qui ne partagent pas ses vues, au mieux d’esprits « rigides », au pire d’« hypocrites » et de « cœurs de pierre », y contribuent.

Mais n’y a-t-il pas aussi, de la part du premier pape sud-américain de l’histoire, une vision négative de l’Europe, voire une forme de ressentiment vis-à-vis de ce qu’il voit comme un continent repu, se reposant sur son passé colonialiste? Contrairement à Benoît XVI qui insistait volontiers sur l’alliance indéfectible conclue entre l’Église et la culture européenne et sur l’empreinte indélébile que celle-ci avait laissée sur la forme même du catholicisme, on a parfois le sentiment que François considère que l’Europe a fait son temps et qu’il participe de cette entreprise de « déshellénisation du christianisme » que dénonçait son prédécesseur. Bien loin de la lumineuse définition de Paul Valéry : « Partout où les noms de César, de Gaïus, de Trajan, partout où les noms de Moïse et de saint Paul, partout où les noms d’Aristote, de Platon et d’Euclide ont eu une signification et une autorité simultanées, là est l’Europe. Toute terre qui a été successivement romanisée, christianisée et soumise, quant à l’esprit, à la discipline des Grecs, est absolument européenne », l’Europe est pour lui un continent par essence multiculturel, qui « s’est formé au long d’une intégration continuelle de cultures, de multiples cultures ». Pour François, la culture chrétienne est en Europe une culture parmi d’autres, les racines chrétiennes des racines parmi d’autres, ce qui lui permet de défendre une vision de l’Europe dans laquelle le christianisme ne serait plus qu’une religion parmi d’autres. Il l’a dit et répété au fil de nombreux discours, y compris devant les fresques de Vasari qui, dans la Sala Regia du Vatican, glorifient la victoire de Lépante sur les Turcs dont son prédécesseur Pie V fut l’âme : l’Europe s’est selon lui construite par une longue suite d’invasions et de vagues d’immigrations, ce qui lui permet de présenter la vague actuelle comme une nouvelle étape de la construction de l’Europe, quand elle en est en réalité la destruction. Au passage, puisque le pape semble considérer les invasions comme un simple processus d’enrichissement culturel, une modalité comme une autre de la « culture de la rencontre », qu’il nous soit permis de lui rappeler ce qu’écrivait saint Grégoire de Tours au vie siècle, qui en avait une expérience un peu plus directe : « Pas un jour ne se passait sans crime, pas une heure sans combat, pas un instant sans deuil. »

Tout se passe comme si le pape François avait fait une croix sur l’Europe, considérant qu’il est temps pour elle de s’effacer pour faire place à des mondes nouveaux. Comme si cette « Europe grand-mère » qu’il a décrite lors de son discours de novembre  2014 au Parlement européen, incapable de se régénérer par elle-même, n’avait d’autre choix que de se laisser revivifier par des populations venues d’ailleurs, ces migrants que certains esprits ecclésiaux voient comme les prolétaires des nations, le substitut religieux et messianique de l’ouvrier qui, selon les marxistes d’autrefois, était censé assurer la rédemption du genre humain – comme le migrant aujourd’hui, pour une partie de l’Église, est censé faire entrer l’humanité dans une nouvelle ère, celle de l’unité de la famille humaine et de la culture de la rencontre.

S’il n’introduit pas à proprement parler de rupture philosophique dans le discours ecclésial sur les migrants, le pape François, plus disert sur le sujet que tous les papes qui l’ont précédé, procède néanmoins à quelques inflexions, prolongements et clarifications. La première de ces clarifications permet de répondre, là encore, à une objection souvent faite, selon laquelle on aurait tort d’opposer au pape une lecture politique de positions qui ressortiraient seulement de la charité : en rappelant aux Occidentaux la nécessité de voir la figure du Christ dans tout exilé, le pape François ne ferait qu’un utile rappel des valeurs évangéliques et aucunement de la politique, laissant aux gouvernements le soin et la liberté de décider de la façon adéquate de gérer les flux migratoires. Si cet argument nous a toujours paru fallacieux tant le pape François excelle à mêler les registres, à marier le simple rappel évangélique de la charité avec laquelle le chrétien se doit de traiter l’étranger croisé sur sa route et un appel plus politique à ouvrir les frontières, et ne s’est jamais privé de critiquer les politiques visant à restreindre l’accès à l’immigration, il est absolument intenable depuis la publication, au cœur de l’été 2017, du message annuel pour la Journée du migrant, qui contenait un catalogue de 21 mesures préconisées aux gouvernements, certaines déjà défendues par les papes précédents (regroupement familial, condamnation des politiques d’assimilation), d’autres d’une radicale nouveauté (notamment la réclamation de droits pour les migrants « indépendamment de leur statut migratoire »). Des recommandations ouvertement politiques, donc, mais qui paradoxalement semblent passer par pertes et profits une notion centrale de la réflexion bimillénaire de l’Église sur la Cité : le bien commun.

Que nous dit en effet ce message ? Qu’en ce qui concerne les migrants, « le principe de la centralité de la personne humaine […] nous oblige à toujours faire passer la sécurité personnelle avant la sécurité nationale » – ce qui signifie, si les mots ont un sens, que la protection des migrants devrait toujours avoir la prééminence sur le souci des pays d’accueil de protéger leur cohésion et leur sûreté. Pourtant, saint Thomas d’Aquin, lui, nous rappelle que « la charité préfère le bien commun au bien propre » et que « la raison droite juge que le bien commun est meilleur que le bien d’un seul. Donc, parce qu’il appartient à la prudence de bien délibérer, juger et commander en ce qui concerne les voies conduisant à la fin requise, il est manifeste que la prudence ne regarde pas seulement le bien privé d’un seul homme, mais encore le bien commun de la multitude » : ce bien commun qui est l’objet propre de la politique, et qui suppose pour les autorités d’assurer « l’état tranquille de la cité ». De fait, il n’y a de sécurité personnelle qui puisse exister en dehors de cadres politiques, juridiques et légaux qui en sont le rempart. Sans sécurité nationale, ne règnent que le chaos et la loi du plus fort, l’anarchie finit par s’installer à la suite d’un individualisme débridé.

Dans ce texte, le pape François ouvre une seconde brèche dans le bien commun lorsqu’il prend position pour « la défense des droits et de la dignité des migrants ainsi que des réfugiés, indépendamment de leur statut migratoire » : ce qui veut dire qu’il réclame des droits égaux pour les clandestins et pour les immigrants légaux, pour les demandeurs d’asile et pour les immigrés économiques. Parmi ces droits figurent « la liberté de mouvement dans le pays d’accueil, la possibilité de travailler et l’accès aux moyens de télécommunication » : ce qui revient, concrètement, à réclamer un droit d’installation préalable pour tous les migrants, avant même que soit étudié leur cas. Et donc à donner une prime à l’illégalité d’autant plus forte qu’il est évident qu’un clandestin qui, entre-temps, aura trouvé un moyen de subsistance, aura d’autant moins de chance de voir son dossier rejeté. Cette prime à l’illégalité ruine le fondement même du bien commun : le consentement à la légitimité de l’autorité, et donc de la loi.

Que la position du pape soit directement politique, ce texte le confirme enfin en stipulant que la protection des migrants « commence dans le pays d’origine », c’est-à-dire consiste à les accompagner à la source dans leur désir de migrer : il ne s’agit plus, selon l’Église, de se cantonner à affronter une situation de fait, mais en quelque sorte d’accompagner et d’encourager ce mouvement migratoire vers l’Europe.

Extrait du livre de Laurent Dandrieu, « Rome ou Babel: Pour un christianisme universaliste et enraciné », publié chez Artège éditions

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