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De #GaspardGlanz au passé de Nathalie Loiseau, ces clashs qui soulignent la mentalité de guerre civile qui gagne les esprits français
©BERTRAND GUAY / AFP

Guerre civile mentale

L'affaire qui entoure le contrôle judiciaire de Gaspard Glantz ou les révélations sur le passé de Nathalie Loiseau illustrent bien la dégradation du débat public depuis quelques mois.

Edouard Husson

Edouard Husson

Universitaire, Edouard Husson a dirigé ESCP Europe Business School de 2012 à 2014 puis a été vice-président de l’Université Paris Sciences & Lettres (PSL). Il est actuellement professeur à l’Institut Franco-Allemand d’Etudes Européennes (à l’Université de Cergy-Pontoise). Spécialiste de l’histoire de l’Allemagne et de l’Europe, il travaille en particulier sur la modernisation politique des sociétés depuis la Révolution française. Il est l’auteur d’ouvrages et de nombreux articles sur l’histoire de l’Allemagne depuis la Révolution française, l’histoire des mondialisations, l’histoire de la monnaie, l’histoire du nazisme et des autres violences de masse au XXème siècle  ou l’histoire des relations internationales et des conflits contemporains. Il écrit en ce moment une biographie de Benjamin Disraëli. 

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Atlantico : L'affaire qui entoure le contrôle judiciaire de Gaspard Glantz ou les révélations sur le passé de Nathalie Loiseau, qui aurait fait parti d'un syndicat étudiant très à droite dans sa jeunesse illustrent bien la dégradation du débat public depuis quelques mois. Est-il encore possible de discuter d'avis contraires dans notre société ? Ne peut-on pas voir dans l'évolution des perceptions de la société et de l'espace public un réel infléchissement vers une forme de "guerre civile mentale" où tout dialogue est fondamentalement devenu impossible voire impensable ?

Edouard Husson : Nathalie Loiseau est rattrapée par là où elle a péché. Même limitée à l’Institut d’Etudes Politiques de Paris, l’Union des Etudiants de Droite était un groupe au coeur de l’affrontement avec le communisme - encore puissant à l’époque - mais dont le moteur était clairement un militantisme contre-révolutionnaire. Il se peut que Nathalie Loiseau ait été à l’époque encore peu réfléchie en politique, avant de passer, dans les années qui suivent, dans des groupes de jeunes militants fédéralistes européens à l’origine d’Erasmus et de la première liste transnationale à des élections européennes (l’initiative pour une démocratie européenne de Franck Biancheri): on pourrait alors tracer une ligne cohérente vers son engagement actuel. Mais pourquoi, dans ce cas, avoir à ce point décidé d’enfourcher le cheval du chevalier blanc de la lutte contre l’extrême droite? L’ancien Ministre des Affaires Européennes a fait comme beaucoup: elle a alimenté la rhétorique contre l’extrême droite, contre le populisme, et elle se retrouve confrontée à sa propre tartufferie. Elle doit finalement se flageller en public pour rassurer sur le fait qu’elle fait bien partie de la confrérie des dévots dénonciateurs du populisme d’extrême droite. 
En fait, LREM est fondée, rhétoriquement, sur une double détestation: non seulement vis-à-vis de ce qui est sa droite mais aussi vis-à-vis de ce qui reste à gauche sans se rallier au gouvernement en place. Le déchaînement sur les réseaux sociaux contre Gaspar Glantz, digne de la rhétorique de l’homme au coûteau entre les dents dans les années 1920, est affligeante. Comme, d’ailleurs la détestation envers le mouvement des Gilets Jaunes, en général, de la part d’un certain nombre de diplômés de l’enseignement supérieur. Gaspard Glantz ne rentre pas vraiment dans l’opposition progressisme contre populisme. il s’agit d’un journaliste se plaçant plutôt dans le vieil affrontement droite contre gauche, capitalistes contre anticapitalistes, spécialisé dans les manifestations où apparaît l’extrême gauche. Il fait partie de ceux qui ont identifié Benalla sur les vidéos du 1er mai 2018. Arrêté sans doute par hasard, il est devenu ensuite, une fois identifié, une cible dans la « guerre civile mentale » que mène le gouvernement contre une partie de la société: le voilà interdit de reportage sur les manifestations pendant de longs mois. Le dialogue public, fondement d’un régime libéral, au sens politique du terme, est en train de mourir dans la France de 2019. 

Entre ceux qui dénoncent la "dictature" que serait la République aujourd'hui ou qui demandent l'interdiction d'inviter Alain Finkielkraut à une conférence à Science-Po parce qu'"il ne peut pas exister de "dialogue" lorsque des individus aussi profondément réactionnaires qu'Alain Finkielkraut, par leurs propos et leurs idées, mettent de nos vies et nos existences en danger et justifient la montée d'un climat de violence", et ceux qui, en se référant à une pensée progressiste, renvoient toute position opposée à la leur à un dangereux nationalisme/populisme, la scène publique parait irréconciliable.Quels sont les biais autour desquels s'articulent ces oppositions ? 

Alain Finkielkraut a été abondamment insulté, voici quelques semaines, en marge d’une manifestations des Gilets jaunes. Il y avait eu une réelle et authentique émotion. Or voici qu’un groupe d’étudiants de Sciences Po récidive, dans le même sens que ces militants de la cause palestinienne qui s’étaient mêlés à une manifestation des Gilets Jaunes. C’est intéressant parce qu’on voit bien que la rhétorique progressisme contre populisme du gouvernement n’est qu’une partie du problème. Il y a en ce moment un raidissement à gauche, avec un refus, par principe, de positions relevant d’une droite conservatrice. Alain Finfielkraut mène depuis des années un combat courageux pour renforcer le pan conservateur du conservatisme libéral. Non seulement les accusations proférées à son égard par quelques étudiants de Sciences Po, de sexisme ou de racisme sont affligeants de stupidité mais ils montrent que l’accès à l’enseignement supérieur ne prémunit pas contre une rhétorique manichéenne. C’est l’un des problèmes du macronisme, d’ailleurs: il voudrait mettre en scène l’opposition entre les diplômés de l’enseignement supérieur et les autres mais il n’y arrive pas. 
Un historien comme Emmanuel Todd a bien repéré l’effet de l’accès d’une partie de la population à l’enseignement supérieur: le retour des inégalités dans la société, bien observable à partir des années 1970. le néolibéralisme est largement une façon de justifier la “sécession des élites” (Ch. Lasch), qui ne veulent plus du pacte social de l’après-guerre. Mais la crise politique dans laquelle se trouve plongée la France actuelle oblige à ajouter une dimension: le déclin qualitatif de l’enseignement primaire et secondaire a porté vers l’enseignement supérieur des étudiants qui n’ont plus les bases, l’enracinement, le bon sens nécessaire à la conduite de la société. Emmanuel Macron, né en 1977, est un condensé de ce nouveau type social: porte-drapeau de la “sécession des élites”, il est pleinement de son époque, superdiplômé mais sans réelle substance. Et il montre le mauvais exemple à ses congénères en sombrant dans une rhétorique manichéenne, simpliste, telle que l’opposition entre le progressisme et la lèpre nationaliste. J’ai toujours détesté François Mitterrand, renégat de la droite et pervertisseur de la gauche, mais il était d’une génération solidement formée et donc capable de prendre un tournant comme celui de 1983, celui de la lutte contre l’inflation, par bon sens. En revanche, je ne suis pas sûr qu’Emmanuel Macron soit capable du tournant politique qui pourrait le sauver, celui d’une réconciliation avec la nation et cette autre moitié de la société qui ne se reconnaît pas dans son programme: il se sent trop peu sûr de ses bases. On ne comprend pas la violence de Macron vis-à-vis du peuple si l’on ne voit pas sa hantise de devoir mener un véritable débat national, à armes égales, avec des gens, souvent plus âgés que lui, et qui ont encore reçu une éducation secondaire solide. 

D'une certaine façon, la remise en question des fondations démocratiques de notre société - au nom du populisme comme du progressisme - ne montre-t-elle pas l'incapacité de notre époque à penser un avenir commun ?

La notion de “sécession des élites”, telle que Christopher Lasch l’a formulée, me semble décrire parfaitement la situation dans de nombreux pays occidentaux: aux Etats-Unis, Trump est le meilleur garant de l’unité du pays et il déclenche la haine hystérique de ces élites qui s’aperçoivent qu’elles ne vont pas pouvoir, en fait, larguer les amarres avec le reste de la société, se désengager du pacte national. En Grande-Bretagne, Theresa May ne sait pas à qui va sa loyauté: aux élites qui crient “remain”, ce qui veut dire “rester loin de notre peuple” au sein de l’Union Européenne; ou au peuple, dont une bonne part a toujours voté conservateur, qui veulent sortir, “leave”, de ce cauchemar qu’est devenu le monde sans frontières. Le cas britannique est intéressant car on y a d’abord vu surgir un populisme, avec le parti UKIP. Mais son porte-parole, Nigel Farage, vient de créer un nouveau parti, “The Brexit Party”. Ce n’est pas seulement une ruse de communication politique ! C’est aussi une tentative de sortir du populisme à un moment où le parti Tory n’a pas tenu son engagement de réaliser le Brexit. L’Allemagne est engagée, avec retard, dans une crise politique du même type, avec l’effondrement du SPD, l’érosion de la CDU et l’apparition de l’AfD. C’est sans doute la France qui, comme souvent dans son histoire, montre sous une forme particulièrement évidente les termes de la crise: progressisme diviseur et populisme impuissant s’affrontent dans une lutte stérile dont il va falloir sortir par la recréation d’un parti conservateur et d’un parti social-démocrate, pour reprendre des catégories un peu anciennes mais qui ont le mérite de rappeler que la démocratie vit d’un débat entre une droite et une gauche, capables, chacune, de rassembler une partie des élites et une partie du peuple. 

La France a connu d'autres crises où deux parties distinctes semblaient irréconciliables, par exemple en 1945 ou en 1958. Comment s'en est-elle alors sortie ? Que peut-on en tirer qui pourrait permettre de sortir de la crise politique actuelle ?

Les contextes sont très différents. En 1945, on sort de la guerre, il y a un chef de la Résistance qui a réussi ce tour de force de ramener son pays à la table des vainqueurs par la force de l’esprit, du verbe, de l’intelligence politique, beaucoup plus que par des moyens matériels. En 1958, le même de Gaulle est encore là pour tirer la France d’une ornière politique. Cela ne veut pas dire qu’il n’y ait pas eu des tendances fâcheuses entre 1945 ou 1958: l’hégémonie culturelle de la gauche a sa racine dans l’immédiat après-guerre et l’on voit ce qu’il en a coûté à la droite d’abandonner l’éducation et la culture à la gauche marxiste. Jusqu’à aujourd’hui nous ne nous en sommes pas remis; en 1958, une partie de la droite n’a suivi de Gaulle que pour être sauvée de la crise algérienne; mais elle a refusé son “Europe des réalités” et sa politique de rééquilibrage des relations avec les Etats-Unis. Là aussi, nous en portons les séquelles: la droite postgaullienne a lentement dérivé vers l’abandon de la souveraineté nationale tandis que la gauche soixante-huitarde cueillait les fruits de l’hégémonie culturelle. Cette droite et cette gauche se sont même accouplées pour produire ce phénomène politique étonnant qu’est Emmanuel Macron. Sa force vient de ce qu’il brandit en même temps les oukases hérités de ses deux parents. C’est sa faiblesse aussi: il est incapable du coup de trouver le moindre langage commun avec le peuple. Jusque-là, la droite ou la gauche se retrouvant dans l’opposition, se ressourçaient provisoirement en puisant ce qu’il fallait dans leur tradition populaire respective pour gagner l’élection suivante. Ces numéros de cirque ont épuisé le jeu politique français. A présent, on se trouve devant une véritable “guerre civile des idées”, le gouvernement contre le peuple; et il suffirait d’un nouveau coup de matraque, fatal celui-là, contre une femme désarmée, pour que la situation dégénère encore plus. Dans les élites sécessionnistes, en particulier, les esprits sont échauffés à un point inouï. Les chasses aux sorcières se succèdent avec une frénésie qui relève de ce paroxysme de crise dont parle René Girard dans ses analyses sur le mimétisme. 

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