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De Al Gore à Barack Obama : comment le prix Nobel de la paix a perdu son sens premier
©Reuters

Désaccord

Décerné (presque) chaque année depuis 1901, cette prestigieuse récompense n'a de cesse d'éveiller la critique. Les puristes regrettent que la notion de paix ait considérablement été élargie par le comité norvégien depuis une centaine d'années, en incluant la lutte en faveur des Droits de l'Homme, celle contre la pauvreté ou le réchauffement climatique...

Antoine Jacob

Antoine Jacob

Antoine Jacob est journaliste et travaille dans les pays nordiques et baltes depuis une quinzaine d’années. Ancien correspondant de l’AFP puis du Monde à Stockholm, il couvre l’Europe du Nord en indépendant depuis 2007. Il a publié Les Pays baltes. Un voyage découverte (éd. Lignes de repères, 2009) et a également écrit  Histoire du prix Nobel (éd. François Bourin). 

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Le prix Nobel de la paix 2015 sera décerné dans quelques heures, ce vendredi. Dans son testament, son créateur, le Suédois Alfred Nobel, avait spécifié qu'il devrait récompenser chaque année " la personnalité ayant le plus ou le mieux contribué au rapprochement des peuples, à la suppression ou à la réduction des armées permanentes, à la réunion et à la propagation des progrès pour la paix ". Cette consigne est-elle encore totalement respectée ?

Antoine Jacob : Totalement respectée, non. D’abord parce que dès le premier prix qu’il décerne, en 1901, le comité norvégien chargé de cette mission inédite prend la liberté de récompenser non pas une personne mais deux. Il le fait pour primer au plus vite une série de militants de la paix qui sont déjà fort âgés. Trois ans plus tard, deuxième entaille, les « sages » d’Oslo ne récompensent pas une personnalité, comme souhaité par Alfred Nobel, mais une organisation. Un choix qui est contesté par certains.

Ensuite, le comité va évoluer avec son temps. En pleine expansion de l’Allemagne nazie, il distingue un opposant politique à Hitler, l’Allemand Carl von Ossietzky (1935). Le premier des dissidents récompensés par le prix. Ce journaliste emprisonné entre-t-il dans le cadre du testament : « la personnalité ayant le plus ou le mieux contribué au rapprochement des peuples, à la suppression ou à la réduction des armées permanentes, à la réunion ou à la propagation des congrès pacifistes » ? C’est discutable, même si cet Allemand dénonçait le réarmement allemand.

Peu à peu, le Comité Nobel va élargir encore son champ d’action, à mesure que de nouveaux défis se présentent, dont il estime qu’ils représentent une menace pour la paix au sens large. A mesure aussi que lui parviennent plus de nominations lointaines. C’est ainsi que la défense des droits de l'Homme (à partir des années 1960, avec notamment Martin Luther King), la lutte contre pauvreté (à partir de mère Teresa, 1979), la mise en garde contre le réchauffement climatique (le GIEC et Al Gore en 2007) seront récompensées.

Ces innovations ne plaisent pas à tout le monde. Des régimes politiques dénoncent certains choix. Et il y a ceux, minoritaires mais qu’on entend régulièrement, qui parlent de dérive, de violation du testament Nobel, document qui devrait prévaloir. Ces critiques émanent avant tout de pacifistes purs et durs.

Barack Obama a reçu cette prestigieuse récompense en 2009, moins d'un an après son élection à la présidence des Etats-Unis. Aujourd'hui, il s'apprête à passer le relais. L'engagement militaire étasunien continue d'être fort à travers le monde. Est-ce pertinent ou pas d'attribuer un prix Nobel de la paix à une personnalité politique en exercice ?

Disons que c’est nettement plus risqué que d’accorder le prix à mère Teresa, au Haut comité des Nations unies pour les réfugiés (HCR) ou à l’ONU elle-même. Dans sa logique, le Comité Nobel norvégien s’est dit – je schématise – « puisque nos décisions suscitent un écho grandissant, puisqu’elles sont de plus en plus attendues, voire redoutées, pourquoi ne pas mettre à profit cet outil qu’est le prix pour épauler des processus de paix en cours, des réconciliations politiques en train de s’accomplir ? Notre prix confortera ces acteurs-là mais les obligera aussi à parvenir à des résultats ». C’est ainsi que Nelson Mandela et le président sud-africain de l’époque (de Klerk) sont primés en 1993 ; le Palestinien Arafat et les Israéliens Rabin et Peres en 1994 ; les Nord-Irlandais Trimble (protestant) et Hume (catholique) en 1998.

Inévitablement, ce genre de prix accordés à chaud implique des risques. Ces processus peuvent dérailler, voire dégénérer. Mais les « sages » d’Oslo ont coutume de dire qu’ils ne sont pas responsables des actes des lauréats. Cela dit, ils n’ont pas toujours agi avec discernement. Le cas le plus patent est l’attribution du prix à Barack Obama, qui n’en avait pas besoin et qui, surtout, n’avait pas fait ses preuves. L’ancien secrétaire du Comité Nobel l’a d’ailleurs admis dans un livre publié cet automne à Oslo.

Les lauréats du prix Nobel de la paix sont choisis par un comité nommé directement par le parlement norvégien, contrairement aux autres prix Nobel, sélectionnés par plusieurs institutions suédoises apolitiques. Ce comité compte 5 membres désignés par les partis représentés au Parlement d’Oslo. Quelle indépendance politique leur accorder vis-à-vis des intérêts politiques de la Norvège ?

Le Comité Nobel a coutume de dire qu’il est totalement indépendant et qu’il ne représente en rien les positions du gouvernement norvégien. Tout comme ce dernier répète que les choix du comité ne l’engagent nullement. Je pense qu’ils en sont tous persuadés et que le comité – du moins depuis qu’il ne peut plus être constitué de ministres (depuis 1936) ni de parlementaires en exercice (1978) – ne reçoit aucune consigne extérieure. Mais la Norvège est un pays peu peuplé et Oslo une ville où, à un certain niveau, tout le monde se connait plus ou moins. Qu'ils le veuillent ou non, ces gens ont une vision (occidentale) assez similaire du monde, des « valeurs universelles » qui devraient prévaloir, et des intérêts du pays. On peut aisément les retrouver dans le palmarès des Nobel.

Cela ne veut pas dire pour autant que tous ces choix réjouissent la Norvège. Quelques exemples : le prix donné à l’Allemand von Ossietzky (1935) va à l’encontre des intérêts commerciaux et diplomatiques d’Oslo. En 1962, l’Américain Linus Pauling est primé bien que les Etats-Unis, dont les autorités norvégiennes ont toujours été proches, l’accusent d’être un communiste. En 2010, le dissident chinois Liu Xiaobo est choisi malgré les mises en garde de Pékin qui, depuis, le fait payer à la Norvège au niveau commercial et diplomatique. Et puis, en 2012, le prix est attribué à l’Union européenne malgré l’impopularité de cette organisation dans ce pays scandinave, qui a refusé d’y entrer à deux reprises.

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