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Dans sa chair : la droite sans le filtre de ses partis, c’est qui, c’est quoi aujourd’hui ?
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Examen complet

La reconfiguration des programmes politiques, que ce soit au Parti socialiste ou à l'UMP, n'est que le reflet d'un électorat vivant lui-même une métamorphose inédite. Citadine ou rurale, aisée ou modeste, voyant l'avenir avec un optimisme modéré ou une crainte débridée : voici la radiographie des caractéristiques de la droite au regard de ses principales évolutions.

Denis  Tillinac

Denis Tillinac

Denis Tillinac est écrivain, éditeur  et journaliste.

Il a dirigé la maison d'édition La Table Ronde de 1992 à 2007. Il est membre de l'Institut Thomas-More. Il fait partie, aux côtés de Claude Michelet, Michel Peyramaure et tant d'autres, de ce qu'il est convenu d'appeler l'École de Brive. Il a publié en 2011 Dictionnaire amoureux du catholicisme.

 

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Bruno Cautrès

Bruno Cautrès est chercheur CNRS et a rejoint le CEVIPOF en janvier 2006. Ses recherches portent sur l’analyse des comportements et des attitudes politiques. Au cours des années récentes, il a participé à différentes recherches françaises ou européennes portant sur la participation politique, le vote et les élections. Il a développé d’autres directions de recherche mettant en évidence les clivages sociaux et politiques liés à l’Europe et à l’intégration européenne dans les électorats et les opinions publiques. Il est notamment l'auteur de Les européens aiment-ils (toujours) l'Europe ? (éditions de La Documentation Française, 2014) et Histoire d’une révolution électorale (2015-2018) avec Anne Muxel (Classiques Garnier, 2019).

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Bernard Sananès

Bernard Sananès

Bernard Sananès est président d'Elabe. Il est diplômé de l'Institut d'Etudes Politiques d'Aix en Provence, et de l'Institut Pratique de Journalisme.

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Atlantico : L’électorat de droite de ces dernières années a vécu plusieurs mouvements de taille. Augmentation significative du nombre d'électeurs de l'extrême droite, dissociation du libéralisme en tant que marqueur depuis l'aggiornamento du gouvernement Hollande, prise de position contestataire, voire militantes pour les questions sociales... En dehors des formations politiques, la droite semble se redessiner dans une diversité : celle qui a peur, sensible au discours d'Eric Zemmour ; et une droite plus confiante liée au mouvement de l'écologie humaine par exemple. Quelle vision l'électorat de droite porte-t-il sur le monde, et comment se positionne-t-il par rapport à lui ?

Bernard Sananès : S’il est vrai que les sympathisants UMP et ceux du FN partagent un diagnostic commun pessimiste de la situation actuelle de la France, leur rapport au monde constitue un clivage majeur. Alors que pour une majorité des sympathisants de l’UMP la mondialisation, qu’elle soit économique ou culturelle, constitue une chance, elle est perçue comme une menace par les sympathisants du Front national. Pour 80% d’entre eux, la mondialisation économique est une mauvaise chose, contre 47% à l’UMP. De même, 57% voient dans la mondialisation culturelle un danger, contre 39% à l’UMP. Le rapport à l’Union européenne est un autre point de différenciation : pour 2/3 de l’UMP c’est une bonne chose et une mauvaise chose pour 69% des sympathisants frontistes qui rejettent le processus européen. Ce clivage entre repli et ouverture s’explique par les différences structurelles des deux électorats. D’un point de vue socio-professionnel, l’UMP est aujourd’hui avant tout constituée de catégories de population plutôt protégées des aléas économiques. On compte 23% d’employés et d’ouvriers parmi les sympathisants UMP contre 32% au sein de la population. Or ce sont bien les catégories populaires qui constituent la grande partie des sympathisants du FN. L’âge constitue un autre point de différenciation important entre sympathisants UMP et FN. Parmi les sympathisants du Front national, 62% sont âgés de moins de 50 ans. Les classes d’âge intermédiaires, au cœur de la population active, y sont surreprésentées.  49% des sympathisants du Front national sont employés ou ouvriers. Enfin, et contrairement à ce que l’on observe pour l’UMP, la distribution géographique des sympathisants frontistes a des spécificités. On observe une surreprésentation des personnes habitant en milieu rural (26% contre 23%) et surtout dans de petites agglomérations (22% contre 17%).

Bruno Cautrès : Le succès du livre d’Eric Zemmour est un symptôme de notre époque tout à fait intéressant : il traduit les multiples interrogations que se posent les français et notamment l’électorat de la droite sur les questions de l’identité nationale, de l’Europe et de la mondialisation. Ces thèmes qui sont au centre des réflexions de l’auteur sont bien les thèmes sur lesquels l’électorat de la droite se sent un peu perdu. Cet électorat (celui de l’UMP) est favorable à la dimension économique de l’Europe, aux grands principes d’un espace économique où les frontières nationales ont été abolies ; mais il redoute les conséquences de cette intégration économique sur la question de l’immigration ou de la préservation de l’identité nationale. La question du national semble très sensible dans l’électorat et l’on assiste à un retour du national. Nommes là au cœur de l’importante question des porosités ou de l’étanchéité entre l’UMP et la FN d’ailleurs. Les craintes liées à la mondialisation et à l’intégration européenne ne sont pas l’apanage de le droite ; à gauche également ces craintes s’expriment notamment dans le domaine social, la préservation du « modèle social français ». Toutes ces craintes sont portées par le contexte de crise économique, le sentiment d’un rêve européen brisé, l’immense difficulté des hommes politiques à tracer des voies. L’une des phrases les plus entendues dans la vie politique française est celle qui consiste à demander au pouvoir de « montrer le cap ». Le pouvoir lui-même ne cesse de communiquer sur cette question ; mais l’immense défiance dans la parole politique brouille le message, le rend inaudible. Les craintes qui existent à droite comme à gauche traduisent le sentiment qu’ont de nombreux français d’être abandonnés par un monde politique clos sur lui-même, couper des réalités matérielles et de la vie réelle. Sans vouloir jouer les Cassandre, la situation est préoccupante.

Quels évènements clés ont engendrés ces évolutions ?

Bruno Cautrès : Tout d’abord, les partis politiques sont d’une manière générale dans une phase difficile dans toutes les démocraties, mais plus particulièrement en France pour plusieurs raisons : la succession des alternances politiques depuis le milieu des années 1980 a pu donner le sentiment que les partis s’essoufflaient, que leurs solutions avaient été testées sans grands résultats. En France, les partis politiques sont des organisations durables et des acteurs majeurs de la vie démocratique et en même temps leurs effectifs ne sont pas aussi importants que dans bien d’autres pays européens ; leur rôle reste irremplaçable pour la  sélection des candidats aux élections et la participation de ces candidats à la compétition électorale et dans le même temps ils semblent avoir du mal à attirer et plus encore à fidéliser leurs membres. Nous vivons une époque de profonde recomposition des termes du débat démocratique : si les notions de gauche et de droite veulent toujours dire beaucoup de choses, de nombreux électeurs sont moins idéologues et partisans qu’au temps de la guerre froide, des années 1960-1970. Ils peuvent se mobiliser pour défendre une cause (par exemple les manifestations contre le mariage pour les homosexuels) sans que la défense de cette cause ne soit directement transférable en voix et en adhésions pour les partis politiques.  Et défendre une cause ne signifie pas adhérer en totalité aux propositions des partis qui se mobilisent également à ces moments.

C’est précisément parce que les partis politiques sont "multi-causes", qu’ils sont liés par leurs propositions programmatiques dans de nombreux domaines (économiques, culturels, sociaux) et qu’ils doivent impérativement attirer vers eux des publics différents pour obtenir une majorité des voix, qu’ils ne peuvent parfois répondre de manière cohérente à des segments de l’électorat qui défendent une cause précise. On a ainsi bien vu que l’UMP n’est pas à l’unisson sur la question du mariage homosexuel. S’il ne fait pas de doutes qu’une partie des électeurs de l’UMP, la partie la plus catholique pratiquante, rejette le mariage des homosexuels, d’autres segments de la droite (à l’UMP ou à l’UDI ou au MODEM) y sont favorables ou indifférents. Une partie de l’électorat de la droite est elle-même issue de la génération 68 ou a été éduquée dans un contexte de montée des valeurs "postmatérialistes" : refus de l’autorité verticale, tolérance dans le domaine des mœurs. Et une autre partie rejette ces évolutions.

En ce qui concerne la Manif pour tous et l’importante mobilisation qu’elle a représentée, il ne faut pas négliger le contexte politique plus général : gouvernement et pouvoir exécutif de gauche, installé dans l’impopularité. Au fond, la Manif pour tous a représenté au plus fort de sa mobilisation un parti, celui de la défense d’un modèle familial assez soutenu par des franges de l’électorat de la droite. Elle a représenté une "divine surprise" pour une UMP qui avait du mal à se remettre de l’échec de N. Sarkozy en 2012 et de la guerre fratricide à l’UMP. Mais on a vu que l’UMP n’arrivait pas à "récupérer" et à capitaliser sur cette mobilisation pour les raisons évoquées ci-dessus. Si l’univers idéologique de la droite articule bien une vision de l’ordre social à la question de la famille, de la religion, cet univers est devenu plus plastique et modulable. Sur les questions de société la droite est moins homogène qu’avant, comme la gauche est moins homogène qu’avant sur les questions économiques.

Denis Tillinac :La nouvelle configuration de la droite, avec Marine Le Pen, prend en compte des contestations identitaires au sens large: cosmopolitisme culturel, européisme des élites, identité des terroirs…Pour sa partie économique, il semble tout à fait évident que Marine Le Pen se soit grandement inspirée du programme du Parti communiste des années 1960, ce qui lui a d'ailleurs permis de récolter les nombreux déçus de l'extrême gauche, en mal de protection et de vision réaliste pour leurs problématiques quotidiennes.

Cette nouvelle configuration de la droite s'articule autour de plusieurs changements majeurs: le noyau le plus solide de la droite se constitue de classes populaire et moyenne, catholique de tradition, et davantage provinciale que citadine. Les pourtours suburbains, qui à une époque auraient plébiscités De Gaulle, ou un vote modéré probablement au centre, et se retrouvent tout à coup déroutés par la mondialisation. Ces derniers sont sensibles au mouvement de la Manif pour tous, et se sont réveillés avec lui. Bien que cet électorat soit très difficile à évaluer, on peut l'estimer aujourd'hui entre 15 et 20%. 

Mais cette droite ne s'assimile pas nécessairement à un parti. Elle traverse marginalement le centre gauche, l'UMP et le Front National. L'UMP n'a pas véritablement montré son engagement en faveur de LMPT. Cela s'explique car les personnalités politiques sont davantage européistes, en faveur du multiculturalisme, en un mot on pourrait dire que les représentants UMP conservent leur côté bobo et consensuel. Ils n'ont pas pris la mesure des changements profonds de leur électorat. Cette nouvelle droite est insaisissable car elle déroute les représentants politiques –et notamment Nathalie Kosciusko Morizet, François Coppé ou autre François Fillon-, et les heurte dans leur conformisme politique, tant à l'UMP qu'au FN ou au PS.

Selon la radiographie comparée des sympathisants UMP et FN, publiée en septembre et réalisée à partir de plusieurs enquêtes de l’Institut CSA , certaines valeurs sont-elles communes ?

Bernard Sananès : La radiographie comparée des sympathisants UMP et FN que nous avons réalisée fait effectivement apparaitre des points de convergence et des porosités entre ces deux électorats. Les sympathisants UMP et FN se retrouvent par exemple sur le constat qu’ils font de la situation du pays. Le sentiment d’une France « en déclin » est très largement partagé à l’UMP (86%) comme au Front national (94%) ; à des niveaux bien plus élevés que le reste de la population. Parmi les autres points communs figurent un très fort degré de perméabilité aux enjeux d’identité  (79% des sympathisants UMP et 93% de ceux du FN ont le sentiment que l’identité de la France est menacée) et des motifs d’indignation similaires, notamment concernant la fraude sociale, l’assistanat et les incivilités.  Trois-quarts des sympathisants UMP et FN considèrent ainsi qu’il y a trop d’aides sociales en France.

A l’inverse, les sympathisants du FN sont nettement plus nombreux à dénoncer les inégalités sociales et les écarts entre les salaires. Contrairement aux sympathisants UMP, ils rejettent par ailleurs fortement les symboles d’un gouvernement représentatif, par exemple le suffrage universel évoque quelque chose de positif pour seulement 40% d’entre eux contre 65% à l’UMP.).Pour toutes ces raisons, et même si une partie non négligeable du vote Marine Le Pen provient d'anciens électeurs de droite,  il n'est pas possible d'amalgamer idéologiquement les électorats de droite et ceux du FN

Selon Guillaume Bernard, la droite actuelle aurait vu l'une de ses principales métamorphoses en modifiant dans son ADN sa posture par rapport à la gauche. Aujourd'hui, la droite ne serait alors plus "colonisée par la gauche", mais au contraire serait l'impulsion politique même de la vie politique française, devenue un "mouvement dextrogyre". En quoi ce phénomène peut-il s'illustrer, et comment l'expliquer ?

Bruno Cautrès : Il faut toujours être prudent sur l’analyse des évolutions et des tendances. Les choses ne sont pas univoques. Il existe sans doute un déplacement du centre de gravité de la politique française vers la droite sous l’effet des évolutions macro-politiques comme la chute de mur de Berlin en 1989, le rétrécissement des écarts entre les programmes économiques de la gauche et de la droite, etc. Ainsi on ne parle plus de nationalisations (malgré le retour temporaire de ce thème via le sauvetage des banques au début de la crise de 2007/2008), le mot « profit » semble faire l’objet de moins de rejet. De même on voit bien, au-delà des mots et des postures différents en son sein que la gauche a clairement évolué vers les entreprises, les chefs d’entreprises.

Mais dans le même temps, les analyses sociologiques nous montrent une progression lente mais continue des valeurs de la tolérance culturelle qui ont souvent été portées par la gauche. Ainsi, l’acception de l’homosexualité dans l’opinion a-t-elle augmenté nettement au cours des dernières décennies ; de même pour le remariage des divorcés, les naissances hors mariage. Les débats sur l’euthanasie aussi ont perdu en intensité même si ces sujets continuent de diviser.

La crise économique qui n’en finit plus, l’épuisement des solutions politiques « clefs en main » (c’est à dire la gauche ou la droite qui proposent des programmes ou propositions totalement cohérentes et soutenues par leurs électeurs), les alternances politiques et le nombre de fois où les gouvernements en place ont été sanctionnés, tous ces facteurs ont conduit à une relative perte des repères pour les électeurs et les partis. On voit bien à l’heure actuelle que les électeurs de droite hésitent entre les solutions « à la Sarkozy » (affirmation claire et nette d’une identité de droite assumée, revendiquée haut et fort tant dans le domaine économique que culturel), ou « à la Juppé » (recherche d’une synthèse plus consensuelle entre programme économique de droite et apaisement sur les questions sociétales).

Au regard de toutes ces mouvances, quel portrait-robot peut-on faire de ce melting-pot de droite aujourd'hui ?

Bernard Sananès: Il y a un an, nous avons dressé le portrait d'une France éclatée en 5 profils différents. L'électorat de la droite traditionnelle et une partie de l'électorat du centre-droit, les sympathisants UMP et de l'UDI  pour faire simple se retrouvent majoritairement dans ce que nous avons qualifié de France-libérale-traditionnelle (voir ici). Cette France, plutôt âgée, bénéficie d’un bon niveau de vie. Elle croit au libéralisme économique et pour elle la compétitivité des entreprises doit être une priorité. Comme évoqué précédemment, pour elle la mondialisation économique est perçue comme une chance. Les fraudes sociales et l’assistanat sont une vraie source d’indignation. Parmi les grands marqueurs on retrouve l’autorité, le travail, la rigueur, l’effort. Attachée aux valeurs de la République, elle attend cependant plus de libertés d’entreprendre.

Mais les sympathisants du Front National et ceux qui sont tentés par le vote anti-système se retrouvent eux au cœur  de  ce que nous avons appelé "La France Amère" (voir ici) qui se sent lésée et craint le déclassement social. Ce groupe est composé principalement d’actifs, âgés entre 25 et 49 ans, habitant plutôt en zones rurales ou dans les zones périurbaines. C’est le cœur des classes moyennes or 80% de ce groupe se définit lui-même comme appartenant aux classes modestes ou populaires. C’est une France en attente d’une certaine forme de protection. Pour ce groupe, la défiance « horizontale », c’est à dire vis-à-vis de l’Autre perçu comme une menace économique et sociale, fonctionne à plein.

Que peut-on en déduire sur ce qui fait l'ADN de la droite ? Est-elle homogène sur le plan économique, mais hétérogène sur le plan sociétal ?

Bruno Cautrès : L’univers idéologique de la droite est un univers qui au plan économique est favorable à la liberté d’entreprendre, valorise l’initiative individuelle et le mérite individuel, considère que l’Etat doit être cantonné à ses fonctions régaliennes ou en tout cas doit être moins interventionniste dans la vie économique. La dénonciation d’un Etat trop gros, coûtant trop cher et entravant la liberté d’entreprendre est importante dans cet univers idéologique. Au plan sociétal, la famille, la religion, sont également importantes à droite. Mais à partir de cette matrice commune, d’importantes variations peuvent exister : ainsi, tous les catholiques ne sont-ils pas automatiquement des défenseurs du libéralisme économique ou réciproquement. D’une manière générale, l’électorat de la droite s’est davantage diversifié sur les questions de société que sur les questions économiques depuis une trentaine d’années. Sous l’effet du relatif déclin des pratiques religieuses, de l’évolution générale des mœurs, les positions des électeurs de la droite sur ces questions vont de l’acceptation de la diversité en matière de modèle familial ou en matière de sexualité au rejet de ces évolutions des mœurs. Le centre de gravité de la droite au plan des valeurs culturelles reste néanmoins la défense du modèle familial catholique, qu’on lui apporte ou pas des nuances liées à l’évolution des mœurs.

Bernard Sananès : Sans remonter à René Rémond et aux trois droites, celle-ci reste aujourd’hui indéniablement plurielle. La structure de son électorat n’est plus homogène, les attentes qui le composent couvrent un spectre large de l’échiquier politique, forçant l’UMP à rechercher la synthèse entre ses différentes composantes sur beaucoup de sujets. D'ailleurs cela pose une question à l'UMP : est-elle un mouvement de rassemblement "le métro à 6 h du soir" pour reprendre la phrase célèbre de Malraux décrivant à l'époque le RPF, ou un parti de synthèse, comme l'a été longtemps le Parti Socialiste ?

Si Nicolas Sarkozy avait réussi à fédérer en 2007 autour d’un socle programmatique novateur, d'une posture volontariste et de sa force charismatique ce ciment s'est  aujourd’hui effrité. Au-delà du bilan contrasté du quinquennat précédent, l’absence d’inventaire, a sans doute en partie accentué cette tendance en empêchant une réflexion approfondie, sur l'idéologie, les principes d'action, les valeurs devant donner le cap à la droite. C’est sans doute  une des raisons pour laquelle la droite ne profite pas aujourd’hui de l’impopularité de l’exécutif,  concurrencée et souvent devancé par le FN dans la course au meilleur opposant.

Sur ce point la campagne pour la présidence de l'UMP ne semble pas apporter beaucoup de réponses et la mécanique de la primaire, on le devine, opposera davantage des personnalités que des programmes. Si on constate un foisonnement de structures indépendantes de l'appareil partisan qui agitent à droite le débat d'idées, l'UMP en tant que structure n'a pas encore repris le leadership sur le terrain idéologique.

Il est de coutume de considérer l'électorat Français, mais celui de la droite en particulier, de bonapartiste, sensible à l'homme providentiel. Pour autant, cela se voit-il également avec les partis ?

Bruno Cautrès : On dit souvent que l’électeur de droite a "la culture du chef". Sans doute cela est-il vrai en parti. Les difficultés des familles politiques à « rentrer » dans le rang des partis ne sont pas l’apanage d’un camp plus que d’un autre. La droite a connu, et connait encore, les partis de masse : l’UDR, le RPR et même l’UMP qui pourtant ne compte que moins de 300.000 adhérents. Tout est sans doute aussi une question de « qui est le chef »…. Une question dont nous aurons la réponse sous peu…..

Denis Tillinac : La droite bonapartiste possède cette culture, mais on ne peut pas considérer qu'il y a un parti bonapartiste à droite. L'UMP est devenu une sorte de patchwork, aujourd'hui dans l'état de fragmentation qu'on lui connaît. Nicolas Sarkozy, qui a toutes les qualités de leader en fera son parti, comme Chirac l'avait fait avec le RPR. La seule issue pour les personnalités de droite d'aujourd'hui, c'est de faire ce qu'avait fait la gauche dans les années 60-70 : une gauche politique, des clubs jacobins, qui se sont plus tard fédérés à travers la convention des institutions républicaines composés de 500 clubs. A l'époque, quand il a été question de faire sur le plan politique un programme cohérent et présidentiable, celui-ci a entièrement imprégné la société (et pour près de 40 ans), de l'éducation à l'art contemporain. 10 ans plus tard Mitterrand arrivait au pouvoir alors que la SFIO faisait 5% quelques années plus tôt. Ces clubs de réflexion deviendraient alors incontournables à l'UMP, et le candidat devrait en prendre compte. 

Pour des raisons autant anthropologiques, que culturelles et religieuses, une France du bon-sens s'est levée pour dire non. Une contestation des principes de mai 1968 dont le succès du livre d'Eric Zemmour, des médias alternatifs toujours plus influents comme Causeur ou Valeurs Actuelles peuvent en témoigner l'intensité. Il y a eu un basculement, et les politiques ne le savent pas, ne le comprennent pas. D'ailleurs, cette droite-là ne se sent pas concernée par les querelles de l'UMP. Les manifestations de LMPT sont sans doute les plus importantes depuis le retour de Charles de Gaulle au pouvoir, et paradoxalement les hommes politiques n'envisagent même pas ce mouvement. Ils ont la conviction fataliste qu'ils gouverneront comme ont gouverné Valéry Giscard D'Estaing, Jacques Chirac ou Nicolas Sarkozy… 

Si comme on nous le prédit, la présidence de l'UMP confronte Alain Juppé et Nicolas Sarkozy, nous allons vers une interrogation sur comment cette droite pourra trouver sa place sans recourir au vote blanc ou voter pour Marine Le Pen, voire François Bayrou. Le jeu politique est ouvert comme jamais.

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