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Dans les coulisses de l'affaire Duhamel : ce discret ménage effectué par la gauche morale... en vue de son grand retour ?
©STEPHANE DE SAKUTIN / AFP

Gauche morale 2.0

Si la pédophilie et l'inceste concernent tous les milieux sociaux et tous les environnements politiques, seule la gauche morale a théorisé le vice en l'intégrant à ses grands discours sur la libération des moeurs et la lutte contre l'oppression bourgeoise et patriarcale. C'est cette même gauche qui a réussi à prendre le pouvoir après 1968 et a exercé une mainmise sur la vie intellectuelle et politique française. Tout comme un grand ménage sur l'affairisme s'est produit à la fin des années Mitterrand, une discrète et bien tardive "épuration" se fait de Duhamel à Christophe Girard en passant par Matzneff.

Arnaud Benedetti

Arnaud Benedetti

Arnaud Benedetti est Professeur associé à Sorbonne-université et à l’HEIP et rédacteur en chef de la Revue politique et parlementaire. Son dernier ouvrage, "Comment sont morts les politiques ? Le grand malaise du pouvoir", est publié aux éditions du Cerf (4 Novembre 2021).   

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Atlantico : L’affaire Duhamel s’inscrit dans une série de révélation. Y a-t-il une volonté pour la gauche de s’épurer en se débarrassant de ses fardeaux (Christophe Girard, Gabriel Matzneff ou d’une certaine façon Cohn Bendit et Finkielkraut) ?

Arnaud Benedetti : Il existe manifestement une partie de la gauche qui, à l’épreuve de ces multiples révélations, souhaite opérer sur une ligne qui est tout autant morale qu’idéologique. Je dis bien : "à l’épreuve", car je ne crois pas à une vision concertée et "manipulatoire". Il y a un phénomène d’abord : celui que l’on appelle la "libération de la parole" où un certain nombre de personnes victimes d’agressions sexuelles décident de les révéler soit par voie de justice, soit médiatiquement, parfois les deux. Cette réalité est le produit d’une désinhibition par rapport aux détenteurs de positions de pouvoir dont on hésite plus à dénoncer les abus, y compris sur le plan de l’intime. Cette dénonciation a toujours existé, mais elle est désormais plus médiatique et surtout érigée en enjeu de société, et en conséquence en sujet politique légitime. Ce "sociétal" qui relevait initialement de la sphère privée,dont le périmètre n’allait pas au-delà des frontières du civil ou pénal, sans excès majeur de publicité, s’est invité dans le débat politique à grands renforts de visibilité. Le paradoxe, qui ne l’est pas au demeurant, c’est que cette montée en puissance du "societal" est le résultat du travail d’une gauche libertaire dont quelques unes des figures sont aux prises avec ce type d’affaires. Ainsi, ce sont souvent des "néo-féministes", produits de la mouvance la plus radicale de toutes les théories de la deconstruction qui sont à la pointe de cette bataille. Les libertaires ont enfanté leurs plus farouches adversaires qui ne sont plus désormais à leur droite, mais à leur gauche.

Les affaires de mœurs ont toujours servi à liquider des concurrents politiques, mais ici elles sont un levier pour poursuivre un combat idéologique, à savoir "régénérer moralement" la gauche qui a failli, celle des élites, celle issue de 1968 qui a troqué la révolution anti-capitaliste pour la révolution des mœurs et l’alliance avec une forme de libéralisme économique. Tout ceci serait cocasse si les faits reprochés à quelques icônes de cette gauche d’establishment n’étaient pas aussi sordides et glauques. La question est de savoir jusqu’où ira ce mouvement. Tout accrédite l’idée que l’on n’est qu’au début d’une lame de fond. Les ambiguïtés, les silences d’entre soi du progressisme de "salon" du style "on savait mais sans savoir vraiment" sont au demeurant tout autant "destructeurs" que les faits reprochés aux auteurs de ces abus. Il est intéressant de noter que Science Po, relais pour une part des pensées deconstructivistes et qui a abandonné bien de ses fondamentaux d’origine, soit le théâtre à ciel ouvert de cette crise et de ces contradictions.

Y-a-t-il un affrontement qui est en train de se jouer entre la gauche mitterrandienne et la gauche morale ?

Cet affrontement reproduit une vieille histoire entre la gauche du pouvoir, dont le mitterrandisme a été l’une des multiples figures, et la gauche idéologique qui a toujours dénoncé les compromissions de la gauche de pouvoir. Madame Hidalgo, elle-même représentante de la gauche sociétale, est aujourd’hui confrontée à une contestation en interne par la fraction la plus ultra de cette même gauche sociétale. Le problème, c’est que la gauche du pouvoir n’a plus la force dynamique qui lui assurerait son autonomie. Elle est soit réduite à l’offre abîmée d’un PS qui peine à exister, soit dépendante du macronisme. Et ce dernier, par l’ambivalence de sa nature politique, n’est pas à l’abri des turbulences que ces dénonciations engendrent. Nombre de figures iconiques de la gauche dite "réformiste" ont contribué à sa genèse, le macronisme est très proche sociologiquement du "strauss-khanisme" avec tout ce que ce courant charrie d’imaginaire licencieux, d’entre-soi, de demi-secrets, etc. L’enjeu dépasse la gauche, il questionne aussi la majorité dans ce qu’elle doit aussi à la gauche, et le macronisme sera confronté le moment venu à l’interrogation de sa relation avec certains de ses initiateurs venus de cette gauche-là. Par-delà l’offensive contre celle-ci, c’est le macronisme qui est ciblé aussi.

Cette épuration peut-elle être le signe d’un nouveau départ ?

La bataille culturelle qu’une partie de la gauche joue à l’intérieur de son propre camp et au-delà ne s’indexe pas à mon sens sur le calendrier électoral, même si celui-ci sera une opportunité pour tester la volumétrie du rapport de forces. L’avant-garde sociétale, néo-féministe, racialiste, indigéniste s’inscrit dans un temps plus long et dans une vision plus révolutionnaire. Il s’agit de transformer en profondeur pour ces groupes la texture culturelle de nos sociétés. Ils veulent épurer, non pas seulement des individus, mais toute une histoire, un passé. Les errements de certaines figures de l’establishment sont des plaies sur lesquelles ils appuient pour dénoncer notamment ce qu’ils appellent la "domination masculine" ou le "privilège blanc". Ce qui fait peu de doute, en revanche, c’est que si d’autres affaires d’abus sexuels venaient à compromettre d’autres personnalités nous assisterions à une accélération de l’érosion dans ce qu’il reste de confiance dans les élites, même si chacun sait que ces faits ne sont pas l’apanage d’une catégorie... 

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