Dans le match démocratie vs technocratie, quel degré de sincérité pour le budget 2024 ?<!-- --> | Atlantico.fr
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L’objectif du gouvernement est de présenter un budget le moins dégradé possible. Pour se faire, il retient des hypothèses de croissance qui lui permettent d’afficher un solde public le moins mauvais possible.
L’objectif du gouvernement est de présenter un budget le moins dégradé possible. Pour se faire, il retient des hypothèses de croissance qui lui permettent d’afficher un solde public le moins mauvais possible.
©JULIEN DE ROSA / AFP

Inquiétudes

Le ministre des Comptes publics a lancé ce mardi la 2e édition des Dialogues de Bercy entre lui et les parlementaires.Y aura-t-il cette année moins d’opacité qu’il n’y en a traditionnellement dans l’élaboration du Budget ?

Charles Prats

Charles Prats est Secrétaire national UDI à la lutte contre la fraude sociale et fiscale ; magistrat en disponibilité et directeur général du groupe RESOCOM - Lutte contre la fraude documentaire.

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Philippe Crevel

Philippe Crevel

Philippe Crevel est économiste, directeur du Cercle de l’Épargne et directeur associé de Lorello Ecodata, société d'études et de conseils en stratégies économiques.

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Xavier Yvon

Xavier Yvon

Xavier Yvon est administrateur de l’Assemblée nationale. Il a notamment exercé à la Cour des comptes pendant des années. Il écrit ici sous pseudonyme.

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Atlantico : La deuxième édition des dialogues de Bercy, qui réunissent le ministre des Comptes publics et les parlementaires français, vient de démarrer. Certains élus, comme la sénatrice Nathalie Goulet, s'inquiètent ouvertement de l'insincérité du budget 2024. En cause : la complexité de l'exercice tant pour des raisons techniques que des raisons politiques. Quels sont les principaux obstacles, aujourd'hui, à la transparence du budget ?
Charles Prats : Les règles budgétaires sont définies par la loi organique relative aux lois de finances. Ces lois de finances doivent présenter de façon sincère l’ensemble des ressources et des charges de l’État, sincérité qui s’apprécie « compte tenu des informations disponibles et des prévisions qui peuvent raisonnablement en découler ». Les texte organique précise que les comptes de l’État doivent être réguliers, sincères et donner une image fidèle de son patrimoine et de sa situation financière.
Le principe, c’est donc la transparence du budget. Et c’est globalement le cas. C’est un exercice aride mais tout citoyen devrait aller consulter les documents budgétaires qui sont disponibles en accès libre sur les sites internet du ministère des finances. Tout est classé en « missions » et « programmes » et avec un peu de persévérance il est aisé de trouver l’ensemble des informations. Le citoyen, comme le parlementaire, peut également trouver les objectifs de performance fixés aux administrations, les indicateurs de réalisation et, en théorie, l’explication des écarts.
Le principal écueil, à la fois technique et politique, c’est qu’un budget se construit sur la base d’une prévision de croissance économique, donc d’activité estimée pour l’année suivante qui conditionne évidemment les recettes fiscales attendues et donc les ressources budgétaires et les conditions de l’équilibre.
On comprend alors que, cette prévision étant aussi et surtout un affichage politique, le budget présenté puisse être parfois taxé d’insincérité si les anticipations du gouvernement apparaissent trop optimistes.

Philippe Crevel : Rappelons d’abord que l’insincérité des budgets constitue une antienne, un lieu commun qui revient à chaque vote de budget depuis que le parlement vote les lois de finance. Il s’agit, à certains égards, d'une posture, mais il est vrai que le budget peut différer de la réalité économique. Il ne tient parfois pas compte du ralentissement (ou, occasionnellement, quand cela arrive, de l’expansion) économique. Les dépenses peuvent également être minorées (c’est souvent le cas)... et la loi de finance pour 2024 n’est évidemment pas épargnée. Elle devrait afficher les mêmes problèmes de sincérité que les autres, d’autant plus que les quatre dernières années ont vu se succéder de nombreuses crises. Les gilets jaunes, la guerre en Ukraine et la vague inflationniste, sans oublier, bien sûr, la pandémie. Le contexte actuel n’est pas sans générer de l’incertitude… ce qui rend mécaniquement l’élaboration d’une loi de finance plus complexe. Pour les parlementaires, c’est une occasion de plus de soulever la question de l’insincérité des comptes.

Ceci étant dit, il faut aussi souligner que le parlement français, à la différence des parlements anglais ou américains pour ne citer qu’eux, ne dispose pas de moyens d’information ou de simulation budgétaire propres. Il dépend donc de l’information de Bercy. Il est en situation de sujétion au ministère des Finances. Il y a environ 30 ans, il avait d’ailleurs été question de doter le parlement d’un office budgétaire indépendant… mais ce choix a été récusé par Philippe Seguin puis par ses successeurs. Ce n’est guère étonnant : quand bien même les députés critiquent bien volontiers cette situation de sujétion, ils y trouvent aussi de vrais avantages : se faisant, ils peuvent aisément se dédouaner de toute responsabilité et rester dans la contestation des chiffres de Bercy. Pointer le déficit du doigt, qui sert au ministère à échapper à la réalité économique, c’est également une opposition facile.

Au final, il ne faut pas perdre de vue le jeu de posture qui se joue à ce niveau.

Xavier Yvon : Nathalie Goulet appartient à l’opposition, aussi faut-il ne pas faire preuve de naïveté. C’est un discours qu’il est commun d’entendre dans la bouche des opposants au pouvoir en place et qui ne les empêche d’ailleurs pas de changer radicalement de position quand c’est à leur tour de récupérer les manettes. Cela fait plusieurs décennies, maintenant, que le budget de l’Etat n’est pas sincère, ce n’est pas sous Emmanuel Macron (ou sous son éventuel successeur) que les choses vont changer. Il ne faut pas perdre de vue qu’il s’agit-là d’une forme de jeu du chat et de la souris pour aller vers plus de sincérité.

L’intérêt du gouvernement, bien souvent, c’est de ne pas tout dire. Les causes d’insincérité sont multiples : il y a d’abord la surévaluation des recettes fiscales et, bien évidemment, la sous-évaluation de certaines dépendances. Le projet de loi de Finances sera présenté début octobre. Aujourd’hui, l’exercice du gouvernement consiste donc à essayer de faire tenir un éléphant dans un dé à coudre. Il a des demandes de dépense partout et est contraint par ses recettes pour ne pas afficher un trop grand déficit public. Le déficit de l’Etat, en France, remonte à Jacques Chirac en 1975.

En théorie, les contraintes européennes qui pèsent sur la France lui imposent de ne pas dépasser les 3% de PIB. Avec la crise sanitaire, nous avons explosé tous les compteurs et le déficit a dépassé les 6%. Il en va de même avec l’Ukraine. Tous les députés de l’opposition hurleront donc à l’insincérité du budget, mais quand ils arriveront au pouvoir à leur tour, ils procéderont de la même façon et feront face aux mêmes critiques. Essayons donc de dépasser cela. 

En France, il existe trois types de lois de Finance (que les journalistes appellent des “budgets”, mais le mot n’a pas de valeur sur le plan juridique). Il y a la loi de Finance initiale, déposée en octobre et votée jusqu’à la fin du mois décembre. C’est un budget prévisionnel, qui comprend donc des recettes, un déficit et un équilibre. En général, on termine avec 30 ou 50 milliards de déficit en France. Après quoi, il y a aussi l’éventuel projet de loi de finances rectificative. Quand le gouvernement présente l’un de ceux-ci, comme le faisait très souvent Jacques Chirac, il éponge les dépenses supplémentaires non prévues. L’ancien président de la République débloquait régulièrement quelques milliards par manifestations et n’a pas fait preuve de la plus grande sincérité. 

Enfin, il y a aussi le projet de loi de règlement. C’est là, me semble-t-il, qu’il sera possible d’identifier la sincérité ou non d’un budget, puisque c’est à ce moment-là que l’on arrête le montant définitif des recettes et des budgets de l’Etat. 

A quel point peut-on estimer, de façon générale, que les budgets français sont opaques ? Dans quelle mesure nos gouvernants cachent-ils parfois la poussière sous le tapis, pour ainsi dire ?
Charles Prats : Comme je viens de l’expliquer, les informations sont disponibles pour qui veut bien se donner la peine d’aller les chercher. Il ne faut pas confondre technicité avec opacité.
En revanche on a pu parfois constater que certaines manipulations permettaient de cacher des informations intéressantes et, effectivement, de mettre la poussière sous le tapis comme vous le soulignez avec malice. Notamment avec la gestion des « indicateurs de performance ».
Laissez-moi vous donner un exemple : jusqu’au début des années 2010, il existait dans les documents budgétaires de la « mission 183 » un indicateur relatif au taux de fraude à l’aide médicale de l’État (la prise en charge gratuite des soins pour les immigrés clandestins). La consultation des documents budgétaires publiés par Bercy permettait de constater que ce taux de fraude atteignait quasiment 50 % ! J’avais à l’époque alerté plusieurs députés dont Claude Goasguen qui avait interpellé à l’Assemblée Nationale la ministre Roselyne Bachelot au sujet de ce taux massif. Que croyez-vous qu’il advint ? L’année suivante l’indicateur a été supprimé ! Le gouvernement (l’administration) a cassé le thermomètre pour éviter que les parlementaires ne puissent s’appuyer sur les documents budgétaires pour exercer leur contrôle. Comment être sûr d’éviter une polémique ? En faisant disparaître l’information librement accessible…
Vous avez ensuite une autre réalité : ne pas inscrire en lois de finances un certain nombre d’opérations. Notamment ce que l’on appelle les « engagements hors bilan ». C’est-à-dire ce que l’État doit payer ou est susceptible de devoir payer, mais que l’on n’intègre pas facialement dans le décompte de la dette publique.
Philippe Crevel : L’objectif du gouvernement est, bien entendu, de présenter un budget le moins dégradé possible. Pour se faire, il retient des hypothèses de croissance qui lui permettent d’afficher un solde public le moins mauvais possible.

Du fait du poids des dépenses publiques, estimé à 8% du PIB, et de celui des prélèvements obligatoires (qui grimpent jusqu’à 45%), le système des finances publiques français apparaît très complexe. D’autant plus que ces éléments sont dispatchés entre le budget de l’Etat - déterminé au moment du vote de la loi de Finances - et la loi de Finances de la Sécurité sociale - qui permet de déterminer le budget des régimes spéciaux. Le problème vient notamment du fait qu’il y a beaucoup d’interférences entre les deux. C’est l’occasion, pour l’Etat, de faire des transferts. Parfois à son avantage, il faut bien le reconnaître, mais aussi parfois à son détriment. Cela ne fonctionne pas à sens unique. Il faut aussi rappeler que l’Etat transfère des dépenses au profit des collectivités locales… qu’il finance par ailleurs en grande partie. C’est quelque chose que les élus locaux ont régulièrement tendance à oublier.

Tout ceci conduit, il est vrai, à une très grande opacité du système français. Celui-ci repose sur un nombre d’acteurs conséquent (collectivités locales, communes, intercommunalités, régions, départements pour n’en citer que quelques-unes…) et ce dernier rend la lecture du budget particulièrement ardue.

Sur le plan politique, il faut rappeler que les gouvernements sont supposés faire adopter des projets de lois de Finance pluriannuels, dans le cadre des PLF quinquennaux. Celui-ci devrait bientôt être discuté à l’Assemblée et au Sénat. C’est un sujet important puisque tant que la France n’aura pas discuté et voté ce texte, elle ne recevra pas d’aide de la part de l’Union européenne. Or, le budget pluriannuel doit comporter une trajectoire de déficit permettant le retour à une somme inférieure à 3% du PIB. Tout gouvernement essaie donc, par des moyens divers et variés, de rentrer dans les clous de ce programme pluriannuel. Certains décident de différer des dépenses, d’autres de les transférer à des acteurs dont l’action n’est pas comptée dans le budget… et il arrive parfois même que d’aucuns minorent les dépenses en espérant ne pas faire l’objet d’une sanction européenne. Car la commission de Bruxelles contrôle elle aussi la sincérité des comptes publics. Après la crise de la dette en Grèce, elle est d’autant plus attentive et s’assure que les Etats ne travestissent pas leurs comptes.

Sait-on combien de la dette française s'est ainsi retrouvée "hors bilan" après que des exécutifs successifs aient opté pour ce genre de méthodes ?
Charles Prats : Les engagements hors bilan de la France se montaient à 3.864 milliards d’euros au 31 décembre 2022. C’est une somme astronomique qui vient s’ajouter à la dette publique officielle qui a dépassé quant à elle les 3.000 milliards d’euros…
Philippe Crevel : Les comptes ne sont pas, pour l’essentiel, faux. Il y a tout de même des contrôles, menés par la Cour des comptes, la commission de Bruxelles… Bien sûr, les grands Etats ont tendance à être moins respectueux des règles que les petits Etats : ceux-ci sont plus simples à surveiller. Mais le cadre européen - et national - bloque assez bien les faux en écriture.

Bien entendu, il reste possible de jouer sur les marges. Il peut y avoir, évidemment, la tentation de placer hors-budget (et hors critère de Maastricht, ce qui prend en compte les régimes sociaux, les collectivités locales et le budget de l’Etat). En tout et pour tout, ce serait l’occasion de dégager quelques milliards d’euros. Dans les faits, cependant, n’oublions pas que c’est souvent l’Etat qui a tendance à reprendre de la dette de la part d’entreprises publiques (EDF, SNCF). Il est plus rare qu’il cache sa propre dette chez d’autres.

Le rôle du parlement, en démocratie, n'est-il pas de contrôler le budget (en cela que le consentement à l'impôt est l'un des fondements de la démocratie) ? Que dire, en l'état actuel des choses, des moyens dont disposent nos parlementaires ?
Charles Prats : Beaucoup de parlementaires ne jouent pas suffisamment leur rôle de contrôleurs de l’action de l’administration. Ils ont pourtant déjà de nombreux documents à disposition, notamment les rapports annuels de performance. On ne voit pas suffisamment de députés et de sénateurs challenger le gouvernement et les administrations sur les objectifs fixés et les écarts de réalisation. Il y aurait pourtant tant à dire et faire et si les députés et les sénateurs posaient systématiquement les questions écrites et orales qui relèvent de leur pouvoir, cela changerait beaucoup de choses. Mais pour faire ce travail il faut aussi des collaborateurs pour le préparer et examiner les documents budgétaires en profondeur. Or la tendance est plutôt à restreindre les moyens alloués aux élus. Si on veut un véritable contrôle démocratique de la dépense publique, il faut accepter de s’en donner les moyens, à rebours du populisme anti-élus qui empoisonne le pays depuis de nombreuses années. Il faut aussi avoir des parlementaires plus « professionnels », qui prennent leur rôle à cœur. Mais c’est vrai que travailler la technique et le contrôle budgétaires, cela demande plus de compétences que de faire le clown en séance ou sur les réseaux sociaux…

Philippe Crevel : Le consentement à l’impôt et le contrôle des dépenses constituent, c’est exact, deux des fondamentaux de nos démocraties modernes. La révolution française s’est faite, à certains égards, sur ces questions fiscales. C’est la nécessité de trouver de nouvelles ressources qui a donné lieu aux états généraux puis à la révolution, ne l’oublions pas.

Il va sans dire, dès lors, que le contrôle financier fait partie des tâches fondamentales du gouvernement. C’est bien pour cela qu’il y existe une commission des finances, chargée de l’exercer tant à l’Assemblée qu’au Sénat. Pour autant, il est vrai que le parlement français dispose de moins de moyens que ses voisins pour effectuer sa tâche. Cela résulte cependant de la décision, répétée à plusieurs reprises, des parlementaires eux-mêmes.

Plus précisément, les membres de la Commission des Finances peuvent faire valoir un droit de contrôle sur pièce et sur place, ce qui signifie qu’ils peuvent se rendre dans n’importe quel ministère et exiger les documents financiers ou comptables de ces derniers. L’administration ne peut pas s’y opposer. Ils peuvent également demander des enquêtes à la Cour des comptes, que celle-ci sera dans l’obligation d’effectuer. Après quoi, elle doit rendre les documents publics. Enfin, ils peuvent aussi décider d’auditionner le ministre des Finances ou le ministre de l’Economie et l’interroger sur sa bonne gestion du budget.

Xavier Yvon : Le rôle du parlement, plus précisément, c’est de voter le budget et de contrôler son exécution. Ce sont deux choses différentes. C’est pourquoi, quand on évoque la sincérité du budget est une question qu’il faut aborder de façon très précise, en allant analyser les données avec force de détail, ce qui demande beaucoup de travail. Le site de l’Assemblée nationale publie, à cet égard, l’essentiel des documents nécessaires aux vérifications. Sans mouiller sa chemise, il ne sera pas possible de voir quelles seront les dépenses sous-évaluées, particulièrement dans le budget 2023 qui est en cours d’exécution. Souvent, quand un projet de loi rectificatif est déposé, cela implique que l’on a considérablement dérapé. La discussion autour de ce projet de loi est toujours très éclairante : elle permet d’identifier où se trouve le problème initial. Ceux-ci sont généralement déposés en même temps ou juste après le projet de loi de finances initial. 

Ne perdons pas de vue non plus que, in fine, tout ce qui a été dépensé aura aussi été autorisé. C’est pourquoi certains parlementaires ont de quoi s’interroger : en octobre, ils ont échangé sur un projet de loi de finances carré alors même que le gouvernement a ensuite proposé plusieurs projets de loi rectificative, illustrant potentiellement une volonté initiale de ne pas respecter ses engagements. Seules certaines causes spécifiques (telles que les gilets jaunes, le covid ou la guerre en Ukraine par exemple) peuvent justifier un projet de loi rectificatif sans illustrer un certain défaut de la programmation budgétaire.

Du reste, il existe des moyens de contrôle. Ce n’est pas nécessairement la bonne question puisque, encore une fois, toutes les dépenses auront été autorisées a posteriori. Ces projets de loi permettent précisément d’éponger les dérives. C’est pourquoi il faut s’assurer de la réalité de l’aléas qui a engendré la mauvaise gestion. Là où cela pêche potentiellement, c’est sur l’impossibilité rencontrée par les députés pour contester la programmation budgétaire du gouvernement. Chaque dépense est estimée par les services ministériels et c’est l’exécutif qui dépose des bataillons de fonctionnaires pour estimer les recettes comme les dépenses. Ils ne peuvent donc pas faire de contre-évaluation des recettes. Ce n’est pas possible, même s’ils ont des doutes où devinent l’impasse budgétaire. Ils n’ont pas les moyens macro-économiques nécessaires et les données requises pour y parvenir.

Comment les budgets ont-ils été votés depuis la première élection d'Emmanuel Macron, et qu'est-ce que cela peut annoncer pour les budgets à venir ? Particulièrement maintenant que le chef de l'Etat ne bénéficie plus de sa majorité ?
Charles Prats : Les lois de finances ont toujours été votées. Parfois avec des heurts. Mais avec des déficits chroniques, une dette dépassant les 3.000 milliards et des taux d’intérêt en hausse, le mur financier se rapproche. J’estime qu’au rythme actuel, la France va être dans une situation intenable en 2026. Nous devons emprunter chaque année pour couvrir le déficit de l’année en cours mais aussi pour rembourser le nominal des emprunts précédents. Ce que l’on appelle « rouler la dette ». Sauf que lorsqu’on le faisait auparavant avec un taux d’intérêt à 0 %, ce n’est plus le cas aujourd’hui. Les taux ont grimpé très fortement. Une partie non négligeable de la dette française est indexée sur l’inflation. Et au niveau européen la BCE va avoir tendance à remonter encore les taux pour lutter contre l’inflation, selon la vieille tradition politique allemande. L’Allemagne qui peut avoir un intérêt stratégique à durcir encore les taux pour mettre un peu plus à genoux la France et ensuite racheter à la casse les actifs chez nous. Car il faut bien avoir conscience que les lois de finances à venir vont devoir entériner des augmentations de prélèvements obligatoires. Ceux qui disent le contraire mentent. Et cette augmentation de la pression fiscale pour tenir budgétairement va avoir des conséquences négatives sur les acteurs économiques. La situation française est particulièrement périlleuse.
Une voie alternative serait évidemment de constater que la dérive de nos comptes publics provient de l’augmentation hallucinante des dépenses de protection sociale depuis 1981. Et d’en tirer les conséquences sur les remèdes à appliquer : baisser drastiquement ces dépenses. Au risque de me répéter encore une fois, lorsque nous prenons en charge plus de 75 millions d’assurés sociaux pour 68 millions d’habitants, chiffre issu d’un rapport de la Cour des comptes de septembre 2020, nous gaspillons évidemment des dizaines de milliards chaque année. L’inspection générale des finances a invité dans son rapport d’avril 2023 à enfin traiter ce problème en relevant que ce surnombre d’assurés sociaux d’au moins 4 millions d’individus était un sujet prioritaire de lutte contre la fraude sociale. Et je vais au bout du raisonnement , c’est aujourd’hui une question de survie économique pour la France. Je suis convaincu qu’Emmanuel Macron et son gouvernement pourraient trouver une majorité très large pour aller dans ce sens. La balle est dans le camp de l’exécutif.
Philippe Crevel : Lors du premier quinquennat d’Emmanuel Macron, il faut séparer la période pré-covid de la période post-épidémie. Avant l’émergence du virus, le président de la République s’en tenait globalement à ses engagements. Il faut en effet évoquer la transformation du CICE en exonération de charge sociale, ce qui a engendré un petit déficit temporaire.

Tout cela est bien loin de nous. Il y a eu, depuis, la politique du “quoiqu’il en coûte” laquelle a engendré un déficit au sommet, à près de 9% du PIB et qui est redescendu aux alentours de 5% du PIB aujourd’hui. A la différence des autres pays européens, la France a beaucoup de difficulté à réduire son déficit post-covid du fait de plans de soutiens importants dans le cadre de la gestion de l’inflation. Or, il y a un impératif : il faut revenir aux alentours de 3% à horizon 2027. La France, jusqu’à présent, n’a jamais été capable de réduire aussi rapidement ses dépenses publiques. Le contexte actuel est donc peu favorable au respect du plan pluriannuel présenté à Bruxelles par l’Hexagone. 

Faute d’avoir une majorité absolue, il sera extrêmement difficile de rendre des arbitrages très stricts sur un délai très court. L’exercice sera évidemment périlleux et constitue le rendez-vous clé de l’année 2024. A quel prix le gouvernement sera-t-il capable de s’engager dans la réduction du déficit public ? Ou préfèrera-t-il continuer sur un chemin de crête à 5% et nous exposer à des remarques ou des sanctions de la part de l’Union européenne ? A voir.

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