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Dans la géopolitique mondiale, l’Occident est déjà mort
©FRED DUFOUR / AFP

Bonnes feuilles

Henri Guaino vient de publier "Ils veulent tuer l'Occident" aux éditions Odile Jacob. Il évoque l’Occident engagé sur une pente qui pourrait bien lui être fatale à brève échéance. Extrait 2/2.

Henri Guaino

Henri Guaino

Henri Guaino est un haut fonctionnaire et homme politique français

Conseiller spécial de Nicolas Sarkozy, président de la République française, du 16 mai 2007 au 15 mai 2012, il est l'auteur de ses principaux discours pendant tout le quinquennat. Il devient ensuite député de la 3e circonscription des Yvelines.

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Longtemps, les destinées du monde se sont jouées en Occident. Longtemps, avec des fortunes diverses, l’Occident d’abord identifié à la chrétienté, puis aux Lumières, puis au colonialisme, puis au « monde libre » a constitué une entité géopolitique pesant sur le sort de l’humanité. Bien que déchiré tour à tour par des schismes, des guerres de religion, des guerres intestines comme le furent la guerre d’Indépendance américaine, les guerres de la Révolution et de l’Empire, ou les deux conflits de 1914-1918 et de 1939-1945 qui s’étendirent ensuite à toute la planète,  l’Occident demeurait, pour le reste du monde, un ensemble qui finissait toujours par se réunir dans le creuset d’une même civilisation et d’une même puissance. L’éclatement de ce creuset annonce un bouleversement de la géopolitique mondiale dans laquelle l’Occident est de moins en moins un acteur en tant que tel. Sur la grande scène du monde  l’Histoire ne s’écrit plus entre les nations de l’Occident, ni entre l’Occident et le reste du monde, mais entre les États-Unis et la Chine. L’antagonisme se lit dans les discours comme celui où le vice-président des États-Unis, le 4 octobre 2018, attaque violemment la Chine et dont le journal Le Monde rend ainsi compte : le vice-président accuse la Chine de « vol de propriété intellectuelle américaine » et de « pratique prédatrice des transferts forcés de technologie ». « La Chine a aussi bâti un État de surveillance inégalé, qui ne cesse de grossir et de devenir plus intrusif, souvent avec l’aide de la technologie américaine, a dénoncé Mike Pence, stigmatisant un modèle “orwellien” visant à contrôler “la moindre facette de l’activité humaine […]. La Chine ne veut rien de moins que repousser les États-Unis d’Amérique du Pacifique occidental”. »

« Jusqu’au milieu du XXe siècle, il était encore possible d’appareiller de Southampton, Londres ou Liverpool vers l’autre côté du monde sans quitter le territoire britannique, de faire escale à Gibraltar et Malte avant Port-Saïd ; puis de passer à Aden, Bombay et Colombo, de faire halte dans la péninsule Malaise et d’atteindre enfin Hong Kong. Aujourd’hui ce privilège appartient aux Chinois 1. » Dans cette nouvelle géographie économique et politique où le centre du monde se déplace vers l’immense région située entre le bassin de la Méditerranée orientale, l’océan Indien et la mer de Chine et englobe toute l’Asie centrale par où passent les oléoducs, les gazoducs, les voies de communication entre l’Occident et l’Extrême-Orient et où se trouvent les grandes réserves d’énergie, de minerais et de terres rares, les États-Unis ne jouent plus que leur propre carte. Cela n’a pas commencé avec Donald Trump et l’annonce du retrait unilatéral des troupes américaines de Syrie sans prévenir ses alliés présents à leurs côtés sur le terrain : l’Amérique d’Obama est intervenue en sous-main en Tunisie et en Égypte lors des Printemps arabes sans aucune concertation avec ses alliés comme celle de Bush avait décidé seule la deuxième guerre d’Irak. Elle avait engagé depuis longtemps avec l’Europe ce que les Américains eux-mêmes appellent « la guerre juridique », infligeant des sanctions aux banques et aux entreprises européennes qui n’obéissaient pas aux lois et aux injonctions des États-Unis. L’amende de 9 milliards de dollars infligée à la BNP pour ne pas avoir respecté l’embargo américain sur le Soudan, Cuba et l’Iran est dans toutes les mémoires. L’indemnisation forcée par la France, sous la menace d’une guerre juridique, des victimes de la Shoah transportées vers les camps d’extermination par la SNCF a fait moins de bruit. Faisant pour la première fois payer l’occupé au lieu de l’occupant, elle fut pourtant encore plus choquante sur le plan des principes. Avec une Amérique qui ne veut plus payer pour l’OTAN, impose sa politique sur l’Iran, fait cavalier seul sur le climat et qui s’est lancée dans une guerre commerciale planétaire dont les Européens sont voués à être les principales victimes, la politique américaine du rapport de force prend un tour encore plus unilatéral et plus violent depuis le début du mandat de Donald Trump. Celui-ci a été élu par une Amérique profonde qui réclame cette politique et cette violence parce que, minée par les inégalités, les déchirements communautaires et le malaise psychique qui frappe tout l’Occident, elle arrive, comme les sociétés européennes, au bord du gouffre vertigineux de la violence mimétique.

Les États-Unis, qui vivent sur l’épargne du reste du monde dont celle de la Chine qui détient pour plus de 1 000 milliards de dollars de leur dette publique, ne s’embarrassent même plus d’une solidarité avec le monde anglo-saxon : le Canada ou l’Angleterre n’ont pas leur mot à dire. L’Amérique ne veut plus négocier ses intérêts avec personne.

Elle ne veut plus d’alliés, elle ne veut que des supplétifs et des vassaux comme la Chine veut les siens en Asie et bien au-delà, tout le long de ses nouvelles routes de la soie qui, avec leurs réseaux d’influence politique, culturelle, militaire, leurs chaînes de partenaires plus ou moins inféodés, leurs privilèges commerciaux et économiques, leurs infrastructures routières, ferroviaires, énergétiques, numériques, leurs plateformes logistiques, portuaires et aéroportuaires dédiées, leurs zones économiques spéciales, leur contrôle des approvisionnements en matières premières, leurs propres institutions financières, forment comme la toile d’araignée d’un néocolonialisme dont la stratégie ressemble à celle des comptoirs des grandes compagnies à chartes occidentales des XVIIe et XVIIIe siècles. Elles associent déjà soixante-dix pays et prolongent leurs ramifications jusqu’en Europe, au Portugal, en Grèce, en Pologne, en Serbie…

Ni l’Amérique ni la Chine ne veulent conquérir militairement le monde, mais elles veulent le dominer. La grande confrontation pour la domination du monde a commencé par la guerre commerciale et, moins visible, la guerre culturelle. Pendant ce temps, les grandes îles de l’Occident, l’Australie, la Nouvelle-Zélande, le Royaume-Uni s’occupent d’abord de s’extraire des flux migratoires et l’Union européenne, victime expiatoire et consentante, déchirée par ses contradictions, paie au prix fort d’avoir cherché à se construire en détruisant les vieilles nations et en propageant l’idéologie mortifère de la dépolitisation au point de devenir ingouvernée et ingouvernable. Fait significatif : jadis les nations européennes se disputaient pour le partage de l’Afrique, aujourd’hui ce sont la Chine et les États-Unis qui s’y affrontent.

Extrait du livre d'Henri Guaino, "Ils veulent tuer l'Occident", publié aux éditions Odile Jacob.

A lire aussi sur Atlantico, un entretien avec l'auteur : Henri Guaino : « L’Union Européenne attise désormais les violences et les pulsions mauvaises qu’elle prétendait guérir à jamais »

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