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Croissance molle, chômage élevé, inflation anémique : le triangle des Bermudes économique qui empêchera de réussir des réformes en France aussi longtemps que nous y resterons
©Reuters

Manque de croissance compétitive

La maladie française a une source quantitative : un taux d’emploi trop faible, à 65,7% (65,2% selon l’OCDE) des personnes entre 15 et 64 ans, contre 70% aux USA et 75% en Allemagne.

UE Bruxelles AFP

Jean-Paul Betbeze

Jean-Paul Betbeze est président de Betbeze Conseil SAS. Il a également  été Chef économiste et directeur des études économiques de Crédit Agricole SA jusqu'en 2012.

Il a notamment publié Crise une chance pour la France ; Crise : par ici la sortie ; 2012 : 100 jours pour défaire ou refaire la France, et en mars 2013 Si ça nous arrivait demain... (Plon). En 2016, il publie La Guerre des Mondialisations, aux éditions Economica et en 2017 "La France, ce malade imaginaire" chez le même éditeur.

Son site internet est le suivant : www.betbezeconseil.com

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Réformer en France : pourquoi garder secret l’objectif poursuivi ?

Parce qu’il mettrait le feu aux poudres, par ces temps de défense du statut des cheminots (étendu aux employés de bureau à la SNCF), véritable garant de notre « modèle social » ? Disons-le donc : il s’agit d’obtenir plus de croissance en faisant travailler plus de Français, et de Françaises, de manière productive, dans le secteur privé. Pourquoi donc ? Parce que la croissance potentielle qui est la nôtre, entre et 1,5 et 1,7%, ne permet pas d’assurer le paiement de nos dettes publiques et moins encore de nos engagements sociaux : la retraite bien sûr, surtout la formation des jeunes, et de nos engagements écologiques : la transition énergétique notamment. Mais pourquoi ne pas le dire ? Parce que ce serait mettre l’accent sur une terrible réalité : on consomme d’autant mieux qu’on produit d’autant mieux, et vice-versa. C’est l’offre de qualité, en relation avec une demande de qualité, autrement dit exigeante, qui fait repartir la machine et la maintient constamment sous pression.

Il faut donc augmenter notre production, pour faire repartir la machine économique par l’emploi, réduire d’abord le chômage, puis le temps partiel contraint, puis le chômage caché, tout en rendant ces travaux plus efficaces, par la formation initiale et permanente, dans le nouveau monde que nous vivons. Sans plus de production, nous nous enfonçons, vieux et jeunes - dont on ne nous parle pas. Mais ce supplément de production doit tenir compte des nouvelles technologies, pour les assimiler, et aussi des nouvelles demandes, pour les satisfaire au mieux.

Notre maladie française a une source quantitative : un taux d’emploi trop faible, à 65,7% (65,2% selon l’OCDE) des personnes entre 15 et 64 ans, contre 70% aux USA et 75% en Allemagne. Et aussi une source qualitative, car aussi longtemps qu’on ne favorise pas l’emploi compétitif, celui qui répond à la demande, on n’a rien ! Les rapports offre demande sont permanents, quantitatifs et qualitatifs. Ne pas bien les satisfaire explique notre quadrilatère infernal : 1,5% de croissance en moyenne, 7% de chômage au mieux, 60 milliards d’euros de déficit commercial sur les douze derniers mois et 1700 milliards d'euros dette publique négociable à huit ans de vie moyenne. N’avoir pas assez de « bonne croissance », celle qui passe par la réduction du déficit extérieur puis par un excédent est la base pour réduire nos frais de structures publiques, notre déficit public et notre dette. Et pour avoir plus de croissance, pour soutenir à la fois l’emploi, la productivité et la compétitivité, il faut répondre toujours, et de mieux en mieux, à la demande, en montant en qualité. Et le point d’entrée dans ce cercle vertueux est l’emploi.

Et c’est là que le bât blesse, puisque que notre taux d’emploi plus faible qu’en Allemagne ou aux États-Unis, s’explique aux deux bouts : pas assez de jeunes entre 15 et 24 ans en emploi, pas assez de séniors non plus entre 55 et 64 ans, et surtout au-dessus de 65 ans. En revanche, la France fait relativement plus travailler les 25-54 ans : 87,8% contre 87,4% en Allemagne et 81,3% aux États-Unis, mais moins les jeunes (37,2% contre 49,3% en Allemagne et 55,2% aux États-Unis ), nettement moins les séniors (53,7% contre 71,3% en Allemagne et 64,1% aux États-Unis ) et surtout les 65 ans et plus (2,9% contre 6,6% en Allemagne et 19,3% aux États-Unis). En même temps, la France offre relativement moins de travail aux femmes, avec un taux d’emploi de 61,7% contre 68,9% pour les hommes, qui sont relativement moins payées de 11% à qualifications égales.

Voilà pourquoi on parle de cette « dette qu’on laissera aux enfants », parce que c’est mieux que de parler du chômage des jeunes et des vieux, et du faible travail proposé aux femmes, tout ce qui pèse sur notre croissance et donc notre futur. Mettre 10% des Français au travail, c’est donc l’objectif à suivre, et à dire. C’est l’objectif qui explique aujourd’hui les réformes de la formation permanente et de l’apprentissage, la nécessité des liens entre école et lieux de production, biens et services, la culture de la qualité, de la confiance et de la coopération, qui doit commencer très tôt à l’école.

Bien entendu, il ne s’agit pas simplement d’une politique par l’offre, « de droite bien sûr », ou la demande, « de gauche évidemment ». Il s’agit d’une dynamique entre les deux, sous la férule d’une qualité systématiquement améliorée, à l’allemande, et à l’écoute des critiques, des réseaux sociaux et de ce que fait et projette la concurrence, à la française pourquoi pas.

On comprend que le secret soit gardé, tant nous sommes loin des luttes qui nous passionnent : contre les riches, les inégalités, les grandes entreprises, Donald Trump, l’Europe.... Il est gardé, ce secret, car il est jugé indicible : « travailler plus, hommes et femmes, et mieux, en écoutant le client – que nous sommes » ! Il est donc présenté par bouts : l’école, le bac, l’apprentissage, la SNCF, la réforme de l’entreprise, et maintenant celle de la Constitution, en attendant les retraites… comme autant de pièces d’un puzzle dont on ne nous donne pas l’image finale. On comprend alors pourquoi nous n’aimons pas ces réformes qui s’ajoutent sans cesse : elles suscitent évidemment l’opposition de ceux qui sont chahutés et doivent s’ajuster, attendant l’appui des « autres » dans la fameuse « convergence des luttes », mais sans voir la logique d'ensemble.

Réformer en France : pourquoi donc garder secret l’objectif poursuivi ? Par peur de l’effet d’annonce ? Par crainte de ne pas bien expliquer ou convaincre ? Mais c’est prendre un risque croissant, de ne pas nous faire confiance.

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