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"Les dernières données sur le nombre de suicides en France datent de 2008-2009. Nous ne disposons pas encore des chiffres de 2010. Je me demande bien comment on peut dire que les chiffres du suicide ont augmenté alors que la crise grecque n’a émergé que l
"Les dernières données sur le nombre de suicides en France datent de 2008-2009. Nous ne disposons pas encore des chiffres de 2010. Je me demande bien comment on peut dire que les chiffres du suicide ont augmenté alors que la crise grecque n’a émergé que l
©Reuters

Foules sentimentales

Contrairement aux idées reçues, toutes les dépressions (économiques) n’entrainent pas la dépression (psychiatrique). Même si les deux phénomènes coexistent et sont liés statistiquement, le lien de causalité n’est jamais sûr.

Frédéric  Rouillon

Frédéric Rouillon

Frédéric Rouillon est psychiatre, chef de service à la clinique des maladies mentales et de l’encéphale au centre hospitalier Sainte Anne (Paris) et président du conseil scientifique de la Fondation pour la recherche en psychiatrie et en santé mentale. 

 

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Atlantico : La crise a-t-elle un effet sur l’état mental des Français ?

Frédéric RouillonVous allez être un petit peu déçu... Car aucune étude épidémiologique ne permet de dire qu’il existe un lien de cause à effet entre la crise et l’émergence de troubles psychiatriques. On peut supposer, on peut émettre des hypothèses, on peut constater des faits individuels… Mais ils ne sont des preuves en aucune façon. On voit des gens qui se suicident comme lors de la grande crise de 1929. Mais aujourd’hui comme alors, ce n’est pas parce que trois grands patrons ruinés se suicident que cela représente un fait épidémiologique.

On a parlé en Grèce d’un nombre de suicides en augmentation ?

On ne peut pas porter de jugements trop définitifs. Ce sont des mensonges car les statistiques de suicides ne sortent –en général- qu’avec un ou deux ans de retard. Les dernières données sur le nombre de suicides en France datent de 2008-2009. Nous ne disposons pas encore des chiffres de 2010. Je me demande bien comment on peut dire que les chiffres du suicide ont augmenté alors que la crise grecque n’a émergé que l’été dernier. D’autant que l’épidémiologie coûte très cher… et que ça n’est certainement pas une priorité actuelle des administrations sanitaires du pays. A moins qu’il n’y ait un système de suicido-vigilance qui permet de produire des chiffres en temps réel – mais j’en aurais sans doute entendu parler…

D'une façon plus générale, avez-vous observé une causalité -tout au long de votre carrière- entre une bonne santé économique et le nombre de dépressions ou de suicides ?

Cela fait plus d’un siècle que nous avons des statistiques sur le suicide. On note bien des fluctuations, mais celles-ci sont peu liées à des évènements historiques majeurs – sauf pendant les grandes guerres où les études sont absentes. On n’a jamais pu établir un lien strict entre  les grandes crises sociales et économique et le suicide.

Au contraire, depuis 1960, le taux de suicide en France a pratiquement eu tendance à augmenter progressivement. Or, au moment de la crise économique on a observé une légère baisse – probablement à la faveur des plans de prévention des suicides. Bref, il y a une relative inertie dans l’épidémiologie du suicide.

A titre individuel, on peut évidemment décrire des événements dramatiques, des suicides, des licenciements qui provoquent un désespoir et des actes irréparables. Mais aucun chiffre n’appuie la thèse que la crise amène son contingent de suicides.

Le constat est-il le même en ce qui concerne les prescriptions ?

Non. En pharmaco-épidémiologie, on note une hausse assez graduelle de la consommation d’antidépresseurs depuis les années 1980 sans qu’on puisse la lier à tel ou tel pic de la crise économique. Même si on sent bien autour de nous ou en consultation où ils nous rapportent leurs inquiétudes, leur anxiété, leurs préoccupations de l’avenir… On entend la conviction des 15-25 ans qui savent qu’ils n’auront pas la vie paisible et heureuse de leurs aînés. Cliniquement on peut percevoir des choses.

Epidémiologiquement, on remarque une progression sur la deuxième moitié du XXe siècle, et du suicide et de la dépression et de la consommation d’antidépresseurs dans les pays occidentaux.

Mais les courbes du chômage influencent-elles les chiffres des troubles mentaux ?

Les années 1980 ou 1990 n’ont pas été aussi préoccupantes que celles que nous vivons en ce moment. Depuis la fin des années 1970, on a vu le premier et le deuxième choc pétrolier et la fin de Trente Glorieuses. Et on voit les taux de dépressions augmenter en même temps que les taux de suicides et la consommation d’antidépresseurs qui ne cessent de croître depuis la fin du XXe siècle.

Les consommations d’anti-dépresseurs peuvent dépendre de bien d’autres raisons qui sont liées davantage à l’ancienneté de la population qu’à sa dépression. Ne serait-ce que la promotion de ces produits, le fait que les médecins généralistes les manient avec plus de facilité qu’avant… On a plus vendu plus d’antidépresseurs dans les années 1970 ou 1980 que lors des années 1950-1960 non pas parce qu’il y avait plus de maladies infectieuses mais parce qu’on avait plus le geste de prescrire…

S’il existe bien quelque chose qu’on ne peut jamais dire en psychiatrie : c’est « parce que ». La totalité des phénomènes psychiques (et particulièrement quand il s’agit de population) a un déterminisme multifactoriel et il est donc extrêmement difficile de mettre des liens de causalité entre des phénomènes qui coexistent au prétexte qu’on pense que c’est assez logique que cela marche comme ça. Même si les deux phénomènes coexistent et sont liés statistiquement : le lien de causalité n’est jamais sûr. C’est la poule et l’œuf.

Propos recueillis par Antoine de Tournemire

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