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Crise du capitalisme : retour sur le déclin préoccupant des petites entreprises américaines depuis les années 1980
©SPENCER PLATT / GETTY IMAGES NORTH AMERICA / AFP

Fin d'une époque ?

Les petites entreprises américaines ont subi une importante crise des années 1980 à aujourd'hui. Différents secteurs ont été touchés.

Michel Ruimy

Michel Ruimy

Michel Ruimy est professeur affilié à l’ESCP, où il enseigne les principes de l’économie monétaire et les caractéristiques fondamentales des marchés de capitaux.

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Atlantico : Le capitalisme semble perdre de sa superbe aux États-Unis. Et pour cause, seuls 39% des Américains âgés de 18 à 29 ans soutiennent encore ce système économique. Évolution de l’idéologie, creusement des inégalités, plusieurs facteurs expliquent ce phénomène. Parmi eux, et pas des moindres, le déclin des petites entreprises. Comment s’est déroulé le déclin de petites entreprises des années 1980 à aujourd'hui ? Quels sont les secteurs qui ont été les plus touchés ?

Michel Ruimy : Il faut bien saisir que le capitalisme américain se fonde sur une philosophie, celle de la liberté de s’enrichir. Le modèle dominant est celui du self-made-man, dont certaines icônes sont notamment Bill Gates ou Elon Musk, qui sont parvenus à devenir riches par leurs propres moyens. Pourtant, le magazine américain Time consacrait, en 2016, sa « une » à la crise du capitalisme. Dans les pages intérieures, un long article revenait sur la financiarisation de l’économie américaine depuis les années 1980 et, plus généralement, de l’économie mondiale. Il constatait l’emprise croissante de l’industrie financière sur l’économie et comment Wall Street et ses méthodes en sont venus à régner en maître aux Etats-Unis. 
Dans ce contexte et dans une perspective historique, le déclin des petites entreprises peut s’expliquer par les spécificités du capitalisme américain, qui peut se caractériser en 5 points : 
Tout d’abord, une très grande dimension des entreprises. Même si le modèle de production fordiste, avec ses produits très standardisés, a évolué, l’idée que la taille est source d’économies d’échelle et de réduction des coûts reste dominante. C’est pourquoi, les fusions sont toujours aussi nombreuses, et les consolidations, rapides. 
Ensuite, en prolongement, il y a la législation antitrust. Partout où le modèle capitaliste américain s’est imposé, il a été précédé ou il s’est accompagné de cette réglementation de la concurrence. Au plan historique, les cartels et les ententes étaient souvent associés à des comportements prédateurs. Ce sont les industriels eux-mêmes qui ont réclamé des règles. Or, ­ et c’est une caractéristique politique du pays ­ la loi fédérale, telle qu’elle est interprétée par la Cour suprême à la fin du XIXème siècle, a organisé les relations entre les États mais ne s’est pas ingérée dans leur fonctionnement interne. En interdisant les cartels, qui traversaient les frontières locales, le Sherman Act a donc eu pour effet ­ non anticipé ­ de favoriser les concentrations capitalistiques à l’intérieur des Etats et de généraliser la holding comme structure légale. 
Troisième point qui dérive du précédent, l’organisation des industries en oligopoles. 
Quatrième aspect, le statut de l’entreprise avec la prééminence de la société anonyme, d’un actionnariat dispersé et le rôle important de la Bourse, qui est devenue le pôle unificateur de l’ensemble des pratiques et des finalités de l’entreprise : les sociétés sont toujours à la recherche d’une haute rentabilité financière. 
Enfin, la séparation entre propriété et gestion, qui a pour corollaire la professionnalisation du management.
Ainsi, faut-il partir des changements structurels, qui ont eu lieu depuis 35 ans en liaison avec la libéralisation financière, pour expliquer ces mutations qui ont touché le cœur du système capitaliste. C’est un type de libéralisme purement économique qui s’est imposé et qui n’a rien à voir avec le libéralisme que l’on connaissait jusque-là, qui était un mode de compromis politique, fondé sur les libertés démocratiques. 
En conséquence, l’ensemble des secteurs ont été plus ou moins touchés. Les PME, très largement présentes dans la construction et l’industrie, ont été particulièrement fragilisées pendant la crise financière : dès 2006 dans la construction, puis, en 2008, dans l’industrie manufacturière avec la chute des commandes qui a immédiatement suivi la faillite de la banque Lehman Brothers. Même si un rebond dans la création d’entreprises été observé depuis, la logique générale du capitalisme américain persiste.

Les petites entreprises constituent l’une des principales composantes du capitalisme. Pour autant, si des entreprises plus petites et moins productives sont mises en faillite par des entreprises plus grandes et plus productives, cela nuit-il nécessairement à l’économie du pays ?

Les petites et moyennes entreprises (PME) sont une partie de la colonne vertébrale de l’économie américaine car elles constituent la trame du tissu économique et assurent l’essentiel des créations d’emplois. En effet, elles se créent, attirent les salariés, se développent en s’appuyant sur l’innovation et séduisent les investisseurs en entrant en Bourse. Elles savent aussi s’exporter dans le monde et parfois s’y installer avec succès. Pour tout cela, elles sont les garantes de la santé du pays.
Ainsi, la Small Business Administration a recensé, en 2014, plus de 28 millions d’entreprises dans le pays et établi qu’entre 1993 et 2013, 65% des nouveaux emplois créés étaient imputables aux PME. Néanmoins, s’il y a une vingtaine d’années, ces petites et moyennes entreprises contribuaient pour moitié à la richesse créée (Produit intérieur brut - PIB) dans le pays, leur part, il y a 10 ans, avait légèrement diminué pour s’établir à environ 45% contre, par exemple, 50% au Royaume-Uni et 70% en Italie. Depuis, cette contribution a continué de se réduire, le choc post-Lehman ayant davantage fragilisé cette catégorie d’entreprises. 
De surcroît, ces PME constituent un vivier d’emplois déterminant pour l’économie : environ 6 millions d’entreprises, toutes tailles confondues, emploient près de 120 millions de salariés (temps plein et partiel) aujourd’hui. Parmi elles, les PME de moins de 500 salariés représentent la quasi-totalité de ces entreprises et emploie près de 60 millions de personnes, soit la moitié de l’emploi national contre environ 55% au Royaume-Uni et près de 80% en Italie. 
On voit donc bien pourquoi ce déclin est préoccupant. Leur diminution est un indicateur avancé de futurs problèmes macroéconomiques importants (croissance molle, accroissement du taux de chômage, déficit commercial…) si rien n’est fait auparavant. 

Le capitalisme peut-il évoluer à mesure que les grandes entreprises étendent leur domination ?

Le succès international du capitalisme américain s’explique, en grande partie, par le pouvoir géopolitique des Etats-Unis au cours du XXème siècle, pouvoir qui s'est affirmé à deux périodes charnières : après la Seconde Guerre mondiale et après la chute du mur de Berlin.
Aujourd’hui, plusieurs questions se posent à son égard dont notamment celles de sa remise en question par les grandes entreprises, plus particulièrement par les GAFAM (Google, Apple, Facebook, Amazon, Microsoft) qui annoncent des croissances de chiffres d’affaires impressionnantes - à elles seules, elles pèsent pour 3 000 milliards d’euros à la bourse américaine, soit, en gros, une fois et demie le PIB français ! - et, d’autre part, l’influence de la mondialisation dans la diffusion de ce modèle. 
Tout d’abord, jamais la bourse américaine n’a affiché autant de records successifs de son histoire qu’en 2017. Et cela continue en 2018 avec une réforme fiscale qui va permettre aux entreprises d’économiser sur leurs impôts des sommes considérables. Que vont-elles faire de tout cet argent ? L’Administration Trump pense et souhaite que cet argent soit réinjecté dans l’économie sous la forme d’investissements selon le « théorème de Schmidt » : les profits d’aujourd'hui font les investissements de demain et les emplois d’après-demain.
Or, ce théorème ne tient plus la route aujourd’hui aux États-Unis. En effet, les entreprises n’investissent plus assez car elles ont acquis des positions, sinon monopolistiques, du moins de force sur leur marché. Elles sont donc moins contraintes d’investir pour se défendre. Les sommes considérables qu’elles engrangent sont rendues aux actionnaires sous forme d’importants dividendes ou leur permettent de racheter, sur le marché boursier, leurs propres actions. Elles détruisent ainsi leur propre capital pour enrichir leurs actionnaires au détriment de l’investissement dans l’économie. 
C’est une perversion profonde du capitalisme américain car il profite aux actionnaires et aux dirigeants, qui sont toujours - ou presque toujours - actionnaires de leur employeur. Lorsqu’ils rachètent des actions, ils se servent une bonne gratification ! Outre-Atlantique, les entreprises cotées ont dépensé plus de 900 milliards d’euros à ce jeu sur les deux dernières années. C’est l’une des explications de la forte hausse récente des cours. Il est possible que ce jeu finisse mal, par un bon krach boursier, qui sanctionne toujours les comportements aberrants. 
Par ailleurs, nous allons, au niveau mondial, vers une application de la loi antitrust, ce qui devrait déboucher sur un monde oligopolistique, la plupart des marchés étant bientôt dominés par une poignée d’acteurs planétaires, comme c’est déjà presque le cas dans le transport aérien, la banque, les télécommunications ou encore l’automobile. Loin d’opposer les différentes formes de capitalisme - rhénan, japonais, américain… -, nous risquons ainsi, tous, d’évoluer dans un même environnement économique. 
Pour autant, cette hégémonie du capitalisme américain est-elle définitive ? Cette supériorité  est née d’accidents de l’histoire. Elle peut disparaître dans un autre accident : guerre, krach boursier, etc. C’est lors de ces ruptures dramatiques qu’émergent souvent de nouveaux principes économiques et financiers. 

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