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Crash de l'A320 de Germanwings : des avions impossibles à détourner, c’est possible mais faut-il vraiment le souhaiter ?
©Reuters

58 minutes pour vivre

A la suite du crash de l'A320 de Germanwings, certains observateurs se sont interrogés sur la possibilité de prendre le contrôle de l'avion à distance en cas de détournement. Une fausse bonne idée qui aurait des conséquences désastreuses.

Xavier Tytelman

Xavier Tytelman

Formateur en aéronautique, spécialiste de la sécurité aérienne et président du Centre de Traitement de la Peur de l'Avion (www.peuravion.fr), Xavier Tytelman est également chargé d'étude Veille Analyse Anticipation au profit du Bureau Opérations et Gestion Interministérielle des Crises (Ministère de l'Intérieur / DGSCGC).
 
 
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Atlantico : Installer un système de prise de contrôle à distance des avions de ligne pour éviter que des cas comme celui de l’A320 de Germanwings ne se reproduisent, c’est une possibilité qui a été soulevée lors des débats qui ont suivi l’événement. Est-ce une bonne idée ?

Xavier Tytelman : D’un point de vue technique, c’est tout à fait réalisable, car cela reviendrait à convertir un avion de ligne en un drone contrôlé à distance. Cependant la sécurisation de la transmission de données constituerait une faille de sécurité : en rajoutant une capacité extérieure à prendre le contrôle de l’avion, on ouvre plus de risques qu’on n’en enlève. Car autant la probabilité de faire l’expérience tragique d’un autre pilote suicidaire est proche de zéro, autant celle que des hackers terroristes essayent de prendre le contrôle ou de parasiter les transmissions est très forte.

Une personne déterminée à faire se crasher un avion ne parviendrait-elle pas de toute manière à désactiver le pilotage automatique ou la prise de contrôle venant de extérieur ?

On peut imaginer des systèmes anticollision, ou bien une possibilité de prise de contrôle depuis le sol, cependant dans tous les cas le pilote est le dernier ressort. Il existe par exemple des systèmes qui permettent de protéger le domaine de vol de l’avion, c'est-à-dire, qui le conduisent à refuser de trop ralentir ou de suivre une pente trop inclinée. L’avion se met donc en montée ou en descente si certaines manœuvres effectuées sont jugées mauvaises par l’ordinateur. Cependant il est déjà arrivé que les capteurs de l’avion donnent des informations erronées, ce qui peut le conduire à se mettre en descente tout seul. Si tel est le cas, le pilote déconnecte les capteurs et reprend le contrôle de son avion. Le pilote, au risque de dire une évidence, est là pour piloter : l’avion contrôle le pilote, et le pilote contrôle son avion. Ils marchent l’un avec l’autre.

Si la machine ou une personne au sol prenait l’ascendant sur le pilote, quelles questions cela soulèverait-il sur le plan des responsabilités en cas de problème ?

Ne serait-ce que parce que cela ouvrirait de trop  grandes failles dans la sécurité, les compagnies ne le feront pas. Des solutions sont apportées pour parer à toutes les éventualités, mais ce sont toujours les moins mauvaises qui sont mises en place. Si toutefois le système était mis en place, en cas d’accident des questions supplémentaires se poseraient sur l’entité responsable de l’avion : était-ce le pilote, la compagnie, ou l’opérateur au sol qui n’est pas parvenu à reprendre le dessus ? De toute façon en aviation cette question vient après celle de la sécurité. Si une mesure est considérée comme bonne, elle sera appliquée, peu importe ce que cela coûtera derrière. En l’occurrence ce ne serait pas une bonne solution.

Comment les pilotes percevraient-ils le passage au "tout automatique" ou au contrôle à distance ?

Les pilotes comme les passagers ne veulent pas d’un avion qui serait un drone. Si l’aviation faisait sa révolution et annonçait qu’il n’y aura plus de pilotes à l’avenir, beaucoup moins de personnes seront enclines à prendre l’avion. Si des satellites peuvent être déviés de leur trajectoire par piratage, il n’y a pas de raison pour qu’un avion soit mieux protégé.

Cependant les drones militaires sont très sécurisés…

Nous savons que le Hezbollah a réussi à voler des données contenues dans des drones israéliens. Il n’y a pas eu de détournement, mais cela prouve que le système n’est pas impénétrable. Mais leur nombre est très limité. Si dès demain 20 000 avions en vol étaient ainsi guidés à distance, la probabilité de dysfonctionnements et de détournements serait très élevée.

L’humain, malgré ses failles, sera toujours là lorsque l’électronique tombera en panne. Certes la technologie est de plus en plus fiable, mais savoir qu’un humain garde la main est rassurant. Il n’est pas du tout certain que les passagers soient confiants s’ils savent que leur vol dépend exclusivement d’un ordinateur. La question se pose par exemple si un passager fait une crise cardiaque : le pilote peut se rendre compte du niveau d’urgence et de la nécessité de se poser tout de suite ou non. Face à des paramètres éminemment humains, il n’est pas dit que la machine soit suffisamment adaptée.

Le crash de l’A320 a fait naître beaucoup de questions. Faut-il pour autant ne rien changer ?

Non, comme en témoigne l’exemple du Boeing 787 : des mesures avaient déjà été prises pour que les pilotes puissent se rendre aux toilettes sans sortir du cockpit. Après le 11 septembre, un double sas a aussi été rajouté par certaines compagnies. C’est coûteux, mais positif pour la sécurité du cockpit. Une autre possibilité pourrait consister à créer une sorte de "super code" que la compagnie serait la seule à connaître : sous réserve d’une sollicitation de la part du pilote "enfermé dehors", le personnel au sol pourrait ouvrir la porte. Nous n’allons pas rouvrir les cockpits comme avant, car le fait de les rendre imprenables a sauvé plus de personnes qu’il n’en a tué.

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