Covid : les 3 graphiques qui établissent l’efficacité de la stratégie de la Suède… mais pas forcément où on le croit <!-- --> | Atlantico.fr
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Des drapeaux suédois flottent devant le palais royal de Stockholm, le 29 mai 2020, en pleine pandémie de coronavirus COVID-19.
Des drapeaux suédois flottent devant le palais royal de Stockholm, le 29 mai 2020, en pleine pandémie de coronavirus COVID-19.
©Jonathan NACKSTRAND / AFP

Fin de la foire

Une nouvelle étude (The Covid-19 lesson from Sweden: Don't lock down) dresse le bilan de la stratégie de la Suède qui n’a pas géré la pandémie du Covid-19 comme la plupart des autres pays.

Antoine Flahault

Antoine Flahault

 Antoine Flahault, est médecin, épidémiologiste, professeur de santé publique, directeur de l’Institut de Santé Globale, à la Faculté de Médecine de l’Université de Genève. Il a fondé et dirigé l’Ecole des Hautes Etudes en Santé Publique (Rennes, France), a été co-directeur du Centre Virchow-Villermé à la Faculté de Médecine de l’Université de Paris, à l’Hôtel-Dieu. Il est membre correspondant de l’Académie Nationale de Médecine. 

 

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Charles Reviens

Charles Reviens

Charles Reviens est ancien haut fonctionnaire, spécialiste de la comparaison internationale des politiques publiques.

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Atlantico : Une nouvelle étude (The Covid-19 lesson from Sweden: Don't lock down) dresse le bilan de la stratégie de la Suède qui n’a pas géré la pandémie du Covid-19 comme la plupart des autres pays. Le gouvernement n’a pas imposé de confinement mais a proposé des isolations volontaires, peu appliquées. Les vaccins ont été très employés chez les personnes âgées, mais presque inexistants chez les jeunes. Entre 2020 et 2023, le bilan humain de la Suède se situait dans la moyenne internationale. Ces méthodes d’action particulières ont-elles vraiment été bénéfiques ?

Graphique 1 : les pays où les mesures de verrouillage sont plus strictes n'ont étonnamment pas enregistré des taux de mortalité plus faibles (en fait, les taux de mortalité sont légèrement plus élevés). Source : cliquez ICI

Deuxième graphique : les fermetures ont coûté très, très cher.

3e graphique : les fermetures ont entraîné des dépenses publiques incroyablement élevées pour atténuer leurs effets négatifs.

Antoine Flahault : Il est extrêmement important de faire le bilan de cette pandémie et de réaliser des retours d’expérience approfondis portant tant sur les impacts sanitaires que sociaux et économiques comme viennent de le faire ces chercheurs de l’université suédoise de Lund. La Suède peut à juste titre se targuer d’une réponse originale et de résultats, somme toute, plutôt favorables. S’il est exact de rappeler le caractère profondément erroné des sombres prévisions concernant l’impact sur la mortalité de la politique suédoise, prévisions qui furent basées sur des modèles de l’Imperial Collège de Londres, il faut quand même noter, selon les résultats présentés dans la figure 2 du papier suédois, que l’excès de mortalité durant l’année 2020 et 2021, c’est-à-dire jusqu’au moment du déploiement des vaccins, a été largement supérieur en Suède à celui observé dans les autres pays nordiques (Danemark, Norvège, Finlande). Or c’est précisément la période de la pandémie où l’on peut évaluer le rôle des mesures non pharmacologiques, c’est à dire celui des confinements, fermetures d’école, et du port du masque.

Charles Reviens : Ce dimanche 10 mars 2024 nous sommes presque à 4 ans du début du confinement général débuté en France le 17 mars 2020. L’étude disponible en ligne de Fredrik N. G. Andersson et Lars Jonung, publiée dans Economic Affairs de février 2024, conclut à la pertinence de la démarche de la Suède face à la pandémie au regard des doubles performances sanitaires et économiques du pays pendant cette période. Fort commentée et critiquée à l’époque, la stratégie suédoise a été marquée par la méfiance pour les mesures de fermeture « lockdown » appliquée fortement partout ailleurs en Europe occidentale : la société et l’économie suédoises (entreprises, magasins, écoles, restaurants…) sont largement restées ouvertes, les interdictions étant remplacées par des recommandations des pouvoirs publics visant à obtenir des habitants des comportements volontaires de distanciation sociale, un peu à l’image de ce qui s’est fait dans les pays développés d’Asie du Sud Est (Corée du Sud, Taiwan, Japon, Singapour).

Sur le plan d’impact sanitaire, il est plus sage de confier l’analyse de l’impact sanitaire à un médecin mais on ne constate par exemple pas d’écart entre la France et la Suède quant au nombre de morts covid par unité de population.

En revanche l’impact des approches en matière de restriction des activités économiques et sociales a été majeur. La Suède a ainsi connu une récession de 2 % du PIB en 2020 contre 8 % en France, qui a donc connu une récession quatre fois plus importante, avec des conséquences majeures en matière de finances publiques du fait d’une réduction massive des recettes et une augmentation des dépenses via les différents plans d’accompagnement.

Quels étaient les atouts de ce modèle suédois ?

Antoine Flahault :Je vais vous répondre en Suédois: « lagom », que l’on peut traduire par « pas d’interdits, pas d’excès » ! Le principal atout du modèle suédois est la grande confiance de sa population envers ses autorités et la profonde culture de santé publique du pays. La Suède a été le pays dont la population âgée a été la plus rapidement et la plus fortement vaccinée contre le Covid. Cela aura épargné un grand nombre de vies au cours des vagues Delta et Omicron tandis que de nombreux autres pays, à commencer par ceux de l’est de l’Europe, enregistraient des mortalités encore forte avec ces vagues successives de Covid.

Mais la confiance ne se décrète pas. Et pourtant, elle porte ses fruits et ils sont rapidement palpables. Par exemple, dans la région de Stockholm, le trafic routier restait effondré durant le très beau weekend pascal de 2020, en pleine première vague pandémique, avec moins de 10% de la circulation attendue, et cela sans décret de confinement de la population, ni restriction imposée par le gouvernement. De même les compagnies aériennes ont cloué au sol tous les vols domestiques durant ces périodes de fortes circulation du coronavirus de l’année 2020, toujours sans aucune consigne gouvernementale, juste parce qu’il n’y avait pas assez de clients pour faire voler les avions. Les bars, restaurants et autres commerces appelés « non essentiels » par les autres pays d’Europe occidentale étaient bien souvent fermés en Suède, mais c’était faute de clients. Les écoles, certes ouvertes, avaient souvent des taux de fréquentation très limités alors qu’elles étaient restées officiellement ouvertes. Les Suédois n’aiment pas qu’on leur impose des restrictions (« pas d’interdits »), mais ils sont souvent les premiers à suivre spontanément les recommandations, celles du télétravail, de la distanciation sociale, de l’auto-confinement, en quelques sortes « pas d’excès ». Pour toutes ces raisons il me semble très hasardeux de tirer des conclusions hâtives et surtout de chercher à transposer le modèle d’un pays aux autres.

D’après cette étude, les confinements ont conduit à des dépenses d’argent public incroyablement élevées pour atténuer les effets négatifs de ces restrictions lors de la pandémie. Quelle a été l’ampleur de la hausse des déficits budgétaires avec les confinements stricts ?

Charles Reviens : Le choix français de multiples confinements a conduit à des mesures budgétaires expansionnistes sans précédent (chômage partiel, fonds de solidarité, prêts garantis par l’Etat…) nécessaires pour soutenir les entreprises et les ménages. Le coût budgétaire de ces mesures a été extrêmement élevé, l’OCDE considérant la France comme le pays où la prodigalité des dépenses publiques face au covid a été la plus élevée : il y a ainsi le même écart de 4 à 1 entre le France et la Suède sur les déficits que sur la croissance.

L’étude précitée de Andersson et Jonung conclut que les pays dont les finances publiques étaient fragiles avant la crise ont connu une nouvelle détérioration pendant la pandémie. Ils citent nommément la France qui affichait après la pandémie un ratio dette publique/PIB supérieur à celui de la Grèce en 2009 au début de la crise de la dette européenne. La ratio dette publique/PIB de la Suède, plus de trois fois inférieur à celui de la France, n’a pas augmenté suite à la pandémie et devrait même baisser dans les années à venir.

Le modèle suédois, vanté sur le plan sanitaire, a-t-il eu des bienfaits concernant les politiques publiques déployées lors de la crise et sur le plan de l’économie ? Le quoi qu’il en coûte a-t-il réellement fragilisé l’économie française ? Les moyens et l’argent public déployés lors de la crise sanitaire en France auraient-ils pu être mieux utilisés et répartis pour une meilleure efficacité ?

Charles Reviens : Les données Eurostat fournies à la question précédente montrent la divergence majeure entre la France et la Suède, qui a sur moyenne période une croissance économique supérieure à celle de la France.

On peut considérer que la gestion française de la pandémie et ses conséquences sur la dette publique est une occasion manquée pour ne pas dégrader ses comptes publics alors même que le pays a les plus grandes difficultés à mener des réformes structures importantes, à l’instar de la réforme des retraites de 2023 ou du constat présent des comptes publics très dégradés en ce début 2024.

Les conséquences à moyen terme n’en sont pas moins délétères : le « quoi qu’il en coute » macronien lors de la pandémie covid, a eu pour conséquence une désensibilisation totale de l’opinion publique française à la question des déficits et de la dette publique, comment en attestent l’absence quasiment totale de cet enjeu lors des élections présidentielles de 2022 et sa place de bonne dernière des priorités des français dans le cadre des élections européennes de 2024 à venir tel que cela apparait dans différents sondages.

Selon cette étude, les pays avec des confinements plus stricts n'ont pas connu de taux de mortalité plus faibles (des taux de mortalité légèrement plus élevés), les confinements ont coûté très cher et auraient conduit à des dépenses publiques très élevées pour atténuer leurs effets négatifs. En quoi, malgré les conclusions de cette étude, les données suédoises doivent être prises avec plus de distance et que la réalité est bien plus complexe quand on veut comparer ces chiffres à d’autres pays qui ont des critères ou des spécificités bien différentes ? En quoi le fait de vouloir comparer les chiffres entre la France et la Suède ne tient pas et n'est pas pertinent, au regard notamment de la mobilité au sein des pays ou du nombre de la population ?

Antoine Flahault :La pandémie a entraîné des vagues de contaminations redoutables avant le déploiement des vaccins car elles étaient associées à une saturation des hôpitaux et une menace d’implosion du système de santé. Les pays ont cherché à réduire ce risque en appliquant des mesures de distanciation sociale du mieux qu’ils ont pu. Lorsque le degré de confiance envers les autorités et le degré de confiance envers l’expertise scientifique leur semblaient insuffisants, les autorités ont choisi de mettre en place des mesures plus autoritaires de confinement, comme ce fut le cas en Italie, en Espagne, au Royaume-Uni, ou en France. Mais lorsque les autorités ont su qu’elles pouvaient - ou devaient - compter sur la confiance de leurs populations, elles ont alors limité les restrictions imposées par la loi et la réglementation, comme ce fut le cas en Suède, mais aussi dans les autres pays nordiques et dans une moindre mesure en Suisse ou en Allemagne. En Suisse par exemple, chacun pouvait se déplacer comme bon lui semblait durant toute la pandémie, y compris en 2020. Mais il nous aurait paru inconvenant de le faire pour des réunions de travail ou des rassemblements familiaux. Nous restions chez nous en famille restreinte, parfois nous allions nous dégourdir les jambes en montagne, d’ailleurs les stations de ski ont continué à fonctionner, mais nous travaillions depuis chez nous, très spontanément. Maintenant, il est probablement illusoire de croire pouvoir transposer aisément ces modèles germaniques ou nordiques à des cultures plus latines. Les Français n’hésitent pas à qualifier « d’ennuyeux » les peuples nordiques ou germaniques, ils revendiquent souvent leur propre manque d’esprit civique, ils sont souvent fiers de leur défiance envers leurs gouvernants. Ils exigent plutôt que leurs voisins de palier n’enfreignent pas les restrictions qu’on leur imposent, et cela passe donc plus souvent par la loi et la réglementation que par la simple recommandation reposant sur des avis scientifiques. En Suède ce n’est pas le gouvernement qui a géré la crise sanitaire, c’est l’Institut national de santé publique. Or, Santé Publique France a été essentiellement une courroie de transmission du gouvernement dans cette crise. D’ailleurs, les autorités françaises ne faisant pas vraiment confiance à leurs propres agences sanitaires, ont mis en place un Conseil Scientifique ad hoc, coiffant de ses avis la Direction Générale de la Santé, la HAS et Santé Publique France.

Charles Reviens : La question renvoie aux bénéfices mais également aux limites de tout exercice de comparaison international et de benchmark. Chaque pays a son histoire, son anthropologie, sa culture politique et administrative. Il est donc illusoire de vouloir plaquer sur un pays des dispositifs ou des expériences qui ne se sont déployées dans un contexte autre.

En revanche tout exercice de comparaison permet de créer un décalage utile pour juger de sa performance propre et d’imaginer des marques de progrès. La gestion du covid en Suède et en Asie permet par exemple de constater le déclin en France d’une discipline collective non imposée par l’Etat et l’importance majeure et plutôt négative liée au triomphe de l’individualisme.

Comment expliquer que la Suède ait un taux de mortalité lié au Covid plus élevé que ses voisins scandinaves ?

Antoine Flahault :La Suède a probablement insuffisamment protégé ses personnes âgées en 2020, notamment dans les maisons de retraite. Elle a également trop tardivement compris que le virus se transmettait par voie aérosol en milieux clos et mal ventilés, retardant les recommandations à porter le masque dans les transports, les hôpitaux, maisons de retraite et les écoles. Ses voisins scandinaves ont plus rapidement perçu ces problèmes et sans doute mieux réagi. Le Danemark, par exemple, a su montrer une très grande agilité durant les premières phases de la pandémie. Il fut le premier pays en Europe à confiner après l’Italie, après seulement un mort du Covid, plus de dix jours avant la France ou pire trois semaines avant le Royaume-Uni qui accusaient déjà plusieurs centaines de décès du Covid dans ses hôpitaux. C’est tout cela qu’il convient à présent d’analyser avec soin, de comparer avec honnêteté et méthode, maintenant que nous avons du recul. Agnès Buzyn l’a fait pour sa part dans son « Journal », pour le premier semestre de l’année 2020, et c’est un exercice très précieux. Les autorités françaises et européennes feraient bien de le faire quant à elles sur toute la période des quatre premières années de cette pandémie. Sans cet exercice nécessaire et sans doute parfois un peu douloureux, nous ne saurons pas tirer les leçons indispensables au cas où une nouvelle crise sanitaire d’une telle ampleur devait se reproduire.

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