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La France a-t-elle suffisamment anticipé un éventuel rebond épidémique à l'automne ?
La France a-t-elle suffisamment anticipé un éventuel rebond épidémique à l'automne ?
©ALAIN JOCARD / AFP

Anticipation

La Haute Autorité de Santé a publié un rapport sur la stratégie anticipée de vaccination à l’automne 2022 face à la pandémie de Covid-19. La France a-t-elle toutes les cartes en main pour faire face au prochain rebond épidémique ?

Antoine Flahault

Antoine Flahault

 Antoine Flahault, est médecin, épidémiologiste, professeur de santé publique, directeur de l’Institut de Santé Globale, à la Faculté de Médecine de l’Université de Genève. Il a fondé et dirigé l’Ecole des Hautes Etudes en Santé Publique (Rennes, France), a été co-directeur du Centre Virchow-Villermé à la Faculté de Médecine de l’Université de Paris, à l’Hôtel-Dieu. Il est membre correspondant de l’Académie Nationale de Médecine. 

 

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Bio Saiyan

Bio Saiyan

Bio Saiyan est biologiste médical (Twitter : @SaiyanBio). 

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Atlantico : La Haute Autorité de Santé a validé au mois de mai sa stratégie de vaccination de la Covid-19 et son anticipation des scénarios possibles à l’automne 2022. Que contient ce rapport ?

Antoine Flahault : Ce dernier rapport de la Haute Autorité de Santé traite des recommandations vaccinales contre le COVID-19 pour la rentrée 2022. Ces nouvelles recommandations sont fondées sur les trois scénarios préconisés par l’OMS : un scénario optimiste d’une circulation virale qui ne légitimerait plus de rappels vaccinaux ; un scénario médian d’une reprise épidémique saisonnière ressemblant à la saison écoulée, scénario que les auteurs qualifient de plus probable et qui représente le scénario de préférence de la HAS ; et un scénario pessimiste qui prévoit une souche plus virulente qui échapperait au vaccin, qu’ils qualifient de scénario moins probable. Selon le deuxième scénario, médian, la HAS préconise de coupler à la vaccination anti-grippale de l’automne un nouveau vaccin contre le COVID-19 pour les personnes vulnérables définies comme immunodéprimées et leur entourage, les personnes âgées de plus de 65 ans, ou plus jeunes avec co-morbidités, ainsi que les professionnels de santé. La HAS ne précise pas à l’heure actuelle s’il s’agira d’un nouveau vaccin mono ou bivalent ou d’un nouveau rappel vaccinal, mais l’agence réitère sa recommandation de compléter dès à présent le schéma vaccinal à trois doses pour toutes les personnes éligibles en particuliers âgées ou à risque.

Bio Saiyan : La Haute Autorité de Santé (HAS) a validé le 12 mai dernier une série de recommandations sur la future stratégie de vaccination contre la COVID-19 (rapport mis en ligne le 25 mai). Après plus de 2 ans de pandémie COVID, un an après la mise à disposition pour tous les adultes d'un vaccin remarquablement efficace contre les formes sévères, la France connaît actuellement une phase d'amélioration de la situation hospitalière. 

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La fin du passe vaccinal, la confusion sur les schémas de rappels, la difficulté pour "aller vers" les populations fragiles non protégées ont cependant conduit actuellement à un quasi arrêt de la campagne vaccinale. La circulation virale reste forte (plus de 20 000 nouveaux cas chaque jour), les entrées hospitalières ont cessé de baisser et de nouveaux variants arrivent sur le territoire, faisant craindre un rebond épidémique à plus ou moins court terme.

Il apparaît donc nécessaire de réfléchir à une stratégie de prévention de la population, qui passe notamment par la vaccination (les actions pour diminuer la circulation virale ne sont pas évoquées dans ce rapport). Il est important de noter que la HAS s'est auto-saisie afin d'émettre des recommandations, signe que le ministère de la santé ne l'a pas sollicité pour anticiper ces besoins.

A travers son rapport, la HAS semble confondre et mélanger les origines de la diminution constatée de la sévérité sur le territoire des infections COVID : il évoque tantôt un facteur lié exclusivement à la nature même du variant Omicron, tantôt un niveau d'immunité individuel acquis suffisant.

Les inconnues dans les prochains mois restent nombreuses : apparition de nouveaux variants ? Avec quelle sévérité intrinsèque et quel taux d'échappement aux immunités précédentes ? Durabilité de la protection contre les formes graves dans le temps ? Disponibilité et efficacité de vaccins "mis à jour" ? 

La visibilité est faible, mais la HAS prend l'option de se projeter directement plusieurs mois dans le futur "à l'automne". Cette temporalité semble faire écho aux partisans d'une épidémie liée à la température, ce que la situation dans les DOM-TOM l'été dernier a cependant réfuté.

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La HAS propose 3 scénarios, basés sur la sévérité des futurs variants et le maintien ou non de l'immunité contre les formes graves. Mais elle s'évite de mentionner les critères qui définiraient chacune de ces hypothèses. 

Comme si elle marchait sur des œufs, la stratégie de vaccination proposée apparaît extrêmement limitée : dans l'hypothèse la plus favorable, seuls les immunodéprimés doivent bénéficier d'une campagne de rappel (ce qui est déjà le cas actuellement... et trop peu réalisé dans les faits). La HAS juge, sans argumentation, l'hypothèse intermédiaire comme étant la plus probable :  immunité en baisse, variant de virulence équivalente à Omicron. Or, si l'immunité qui baisse avec le temps est une donnée déjà admise par la communauté scientifique, rien ne permet d'affirmer que les prochains variants seront moins sévères (Delta a remplacé Alpha et conduisait à plus de formes sévères). Dans cette hypothèse, elle propose une stratégie vaccinale révérée aux populations à risque, ne tranchant même pas sur la vaccination proposée aux soignants. Il apparaît légitime de s'interroger sur l'accessibilité à tous du vaccin dans cette stratégie (toutes les personnes à risque sont-elles identifiées et se considèrent-elles comme tel ?). L'absence de mention des conséquences en dehors de l'hôpital sont elles aussi à déplorer, et toute notion de prévention des "COVID longs" par la vaccination n'est pas abordée. Encore une fois, le raisonnement se base sur la ligne seul "l'hôpital doit tenir".

Les schémas effecteurs ne sont pas abordés : définition de qui peut vacciner et comment s'organiser : "il faudra tenir compte de ce qui a été mis en place". Mais qui en fera le bilan ? Or, il pourrait s'avérer opportun de la période actuelle de relative accalmie pour dès à présent préparer les organisations, quitte à ne pas les activer si la situation ne le nécessite pas. La HAS indique d'ailleurs que si une nouvelle vague devait arriver plus tôt, il faudrait anticiper la campagne vaccinale...

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La HAS acte la fin de tout retour d'une forme de pass vaccinal, arguant d'une balance à trouver entre la liberté individuelle et les contraintes de santé publique. Or, si sur la forme le pass vaccinal peut être critiqué, nul doute qu'il a conduit à une vaccination massive en France, et permis d'éviter une situation encore pire cet hiver.

Un des points les plus critiquables de ce rapport concerne la temporalité de cette stratégie de rappel. Encore une fois, la HAS entretient l'hypothèse d'une infection saisonnière, elle incite à une vaccination à l'occasion de la vaccination grippale. Cette demande avait déjà été faite à l'automne 2021, et nous avons pu constater sur le terrain ses limites : demande des patients ou des médecins de séparer les 2, taux très partiel de vaccination contre la grippe et surtout la vaccination COVID qui attend la disponibilité des vaccins grippe, conduisant à un retard de protection préjudiciable pour les patients. 

Le rapport de la HAS conclut également à un aveux d'échecs de ces 18 derniers mois : données insuffisantes sur les échecs vaccinaux (la seule piste explorer était les mutations du virus, jamais les facteurs individuels des patients), recherche des causes des freins à la vaccination (acceptabilité, mobilisation des professionnels de santé, difficulté d'accès aux soins). 

L'absence de tout critère permettant de juger la nécessité et l'ampleur d'une nouvelle campagne vaccinale rend l'apport de ce travail limité, voire volontairement optimiste au regard des inconnues scientifiques. La HAS, en s'étant autosaisie du dossier et mentionnant les axes de travail prioritaire, envoie cependant un message aux pouvoirs publics pour rappeler la nécessité d'une anticipation des actions face à un virus qui aura encore un impact sur nos vies.

La France a-t-elle toutes les cartes en main pour faire face au prochain rebond épidémique ?

Antoine Flahault : Personne n’a toutes les cartes en main, puisque comme l’indique le rapport de la HAS, on ne sait pas prédire l’évolution de cette pandémie, y compris à un horizon aussi court que celui de cet été (non considéré par le rapport) et a fortiori de la prochaine saison froide. Il est cependant intéressant et utile de procéder comme le fait la HAS, en s’appuyant sur des scénarios plausibles, en sachant qu’on ne peut pas en réalité y attacher de probabilités, et qu’il est même envisageable qu’un quatrième scénario survienne, non prévu par les experts aujourd’hui. Il y a également beaucoup de scénarios intermédiaires qui peuvent se produire, par exemple un scénario qui se situerait entre le deuxième scénario, dit médian et le troisième dit pessimiste. Sans que la nouvelle souche soit beaucoup plus virulente que celles que l’on a connues (BA.1 ou BA.2) une plus grande transmissibilité pourrait s’accompagner d’une plus grande saturation hospitalière et d’une plus forte mortalité en nombre absolu. Le Portugal est en train de faire l’expérience d’un scénario que je qualifierais « 2-3 », avec une mortalité élevée, supérieure à celle de cet hiver avec Omicron BA.1, qui continue de croître, alors que nous sommes au début de la saison chaude. La France, la Suisse et d’autres pays d’Europe de l’ouest semblent sur le point d’emboîter le pas au Portugal, affichant une dynamique voisine.

Met-elle en place les mesures nécessaires pour anticiper les possibles scénarios (retour à la normale, reprise périodique ou variant plus virulent) et s’assurer le bon déroulement de futures campagnes vaccinales ?

Antoine Flahault : Il est important que les autorités se préoccupent de l’avenir de cette pandémie et profitent de la relative accalmie - qui pourrait être de courte durée - pour anticiper les scénarios possibles de demain. Il faut cependant remarquer que la HAS qui a autorité sur tous les pans de la réponse, et pas seulement sur les aspects vaccinaux et médicamenteux, mais aussi non pharmaceutiques, n’évoque pas les autres mesures utiles, à part très rapidement l’accès aux traitements.

Qu’en est-il des mesures qui permettraient d’appréhender avec plus de sérénité la nouvelle vague (adaptation des locaux, aération, vaccination des publics fragiles non vaccinés dès maintenant, etc….) ?

Antoine Flahault : Les autorités dans presque toute l’Europe se fondent sur une réponse purement vaccinale, à part en Belgique qui a annoncé il y a quelques semaines un plan « Ventilation » sans vraiment le décliner dans sa mise en œuvre pratique. La vaccination, on l’a vu durant l’hiver et le printemps, ne parvient pas à enrayer la succession des vagues de COVID-19, mais parvient à rendre moins virulents les nouveaux variants et sous-variants du coronavirus, en réduisant le risque de formes graves et la létalité du virus (c’est-à-dire le nombre de décès rapportés au nombre d’infections). Mais la très grande transmissibilité du virus entraîne en nombre absolu une mortalité de COVID-19 qui reste inacceptable car très élevée et largement évitable. On peut apprécier d’avoir désormais retrouvé une vie sociale qui ressemble davantage à la « vie comme avant », mais on ne peut pas se satisfaire de ces alertes à répétition, des vagues itératives, et surtout de la tension qu’elles provoquent sur un système hospitalier déjà mis à mal par deux ans et demi de pandémie. Il convient aujourd’hui de déployer un vaste plan « Ventilation » dans toute l’Europe, afin d’enrayer les contaminations à leur source. On rappelle que nous passons plus de 90% de notre vie en milieu clos, souvent mal ventilés, avec d’autres personnes. Ce sont dans ces locaux intérieurs que se produisent 95 à 99% des contaminations par le coronavirus. S’il est très important de veiller à la couverture vaccinale optimale de la population, l’amélioration de la qualité microbiologique de l’air intérieur, en la rendant la plus proche possible de celle de l’air extérieur devrait être désormais la première priorité du gouvernement en matière de gestion de cette pandémie. Nous pouvons limiter la transmission du virus autant que possible sans entraver les libertés individuelles comme nous avions dû le faire avant les vaccins. Or les vaccins aujourd’hui ne suffisent pas à réduire la transmission du virus et, s’ils réduisent la mortalité, trop de personnes sont vulnérables et succombent encore chaque jour à ce virus mortifère.

On a beaucoup reproché au gouvernement de naviguer à vue concernant le coronavirus. Alors que nous étions dans une phase d’accalmie certaine, dans quelle mesure continue-t-il de le faire ? A-t-il appris de ses erreurs ?

Antoine Flahault : La gestion de cette pandémie est formidablement difficile.On ne peut pas réduire la politique gouvernementale à la seule gestion du risque sanitaire. Le gouvernement doit faire face aux nombreux défis de notre époque. La guerre en Ukraine complique singulièrement la donne, y compris sur le plan sanitaire. L’émergence de la variole du singe n’est pas là pour simplifier l’équation. Les gouvernements européens, dans leur grande majorité, ont largement suivi les avis de la science. Il faut reconnaître que les scientifiques eux-mêmes ont aussi étalé leurs débats, leurs contradictions, leurs hésitations. Mais on ne peut pas reprocher aux politiques de n’avoir tenu aucun compte de l’avis des scientifiques. On peut aussi entendre qu’il y a d’autres paramètres dans la réponse que les indicateurs sanitaires. Il est difficile d’avoir le temps d’apprendre  des crises lorsqu’elles se succèdent à un rythme effréné comme ces vagues pluri-saisonnières de la pandémie de COVID-19 que nous connaissons. Il ne faut juste pas baisser la garde, alors que tout le monde en a assez et voudrait bien tourner la page. Nous avons su construire collectivement une sorte de « paix armée »  contre ce coronavirus, grâce essentiellement aux vaccins aujourd’hui. Mais les personnes vulnérables de la société paient encore un trop lourd tribut que nous ne pouvons pas ignorer ni négliger. Il nous faut désormais nous atteler à déployer des mesures de fond, comme la meilleure ventilation du bâti évoquée ci-dessus, afin de davantage neutraliser le dragon que représente cette pandémie dans nos sociétés. Mais il faut être conscient que cela prendra du temps et nécessitera des investissements que les pouvoirs publics ne semblent pas encore prêts à engager.

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