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Selon une étude, 45 % des personnes n'ont pas ressenti de véritable bonheur depuis plus de deux ans.
Selon une étude, 45 % des personnes n'ont pas ressenti de véritable bonheur depuis plus de deux ans.
©Loic VENANCE / AFP

Quête du bonheur

Selon les données du Happiness Report d’Oracle, 45% des personnes interrogées n'ont pas ressenti de véritable bonheur depuis plus de deux ans et 25% ne savent pas, ou ont oublié, ce que signifie se sentir vraiment heureux.

Xavier Briffault

Xavier Briffault

Chargé de recherche au CNRS (INSHSSection 35).
Habilité à diriger des recherches (HDR).

Membre du conseil de laboratoire du CERMES3.
Membre du Haut Conseil de la Santé Publique (HCSP), Commission Spécialisée Prévention, Education et Promotion de la Santé.
Expert auprès de la HAS, de l’Agence de la Biomédecine, de la MILDT, de l’ANR, d’Universcience.

Chargé de cours à l’Université Paris V Paris Descartes, à l’Université Paris VIII Vincennes-Saint Denis. 

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Atlantico : Selon les chiffres du Happiness Report d’Oracle, 45 % des personnes n'ont pas ressenti de véritable bonheur depuis plus de deux ans et 25 % ne savent pas, ou ont oublié, ce que signifie se sentir vraiment heureux. Est-ce cohérent avec ce que l’on observe actuellement ?

Xavier Briffault : Il faut tout d'abord preciser que les auteurs de cette étude sont Gretchen Rubin, une auteur à succès qui vend des livres sur le bonheur, et Oracle, qui fait de la gestion de bases de données et des relations clients. Les deux ont un intérêt à promouvoir l’idée que les marques, les entreprises et les consultants ont un rôle à jouer pour retrouver le bonheur perdu. Ce qui est frappant, c’est une volonté de gérer des choses graves par le ludique, le superficiel, l'apparence.

Sur l’idée que 45% des gens sont malheureux depuis deux ans, c’est tout à fait soutenu par les données dont on dispose dans d'autres études. Il y a eu une multiplication par deux voire trois des personnes présentant un trouble dépressif, une augmentation des passages aux urgences pour motifs suicidaires ou panique, notamment chez les jeunes. Il y a plus de troubles du sommeil, etc. il  y a une perte d’espérance et de visibilité sur la vie et sur l’avenir. Tout cela est certes lié à la pandémie, au virus en tant que tel mais aussi beaucoup aux politiques de gestion de cette pandémie. L’Etat vient d'être condamné pour carence fautive sur la gestion des masques, par exemple, pour avoir menti sur la gestion des stocks et avoir prétendu que les masques étaient inutiles alors que la littérature scientifique demontre sans aucune ambiguïté l'inverse. Cette gestion d'un évènement traumatogene majeur par le mensonge et la peur a entraîné une perte de confiance de la société dans le système politique. Cela a entraîné des pertes de sens, des abandons, des démissions, et aujourd'hui des pénuries de personnel dans différents secteurs. Face à cela, l’économie, et l'ensemble de la société se dérégulent. La situation a encore été renforcée par la guerre en Ukraine et le sentiment général d'insécurité qu'elle continue d'engendrer.

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Tout ceci fait partie du constat, mais ce qui importe, c’est la solution. Pour Oracle, il faut des smileys, des couleurs et de quoi amuser les gens dans leurs actes de consommation. A mon sens, on voit actuellement les fondamentaux de la vie sociale qui s’effondrent. Si la solution à ce  mal-être qui devient gravissime, ce sont des smileys, nous avons un vrai problème. Mais c'est sans doute le symptôme de l'époque, et le signe d'un évitement des stimuli aversifs pour éviter les réminiscences traumatiques des deux années qui viennent de s'écouler.

88 % recherchent de nouvelles expériences qui les fassent sourire et rire. Pour être heureux, les gens privilégient la santé (80 %), les relations personnelles (79 %) et les expériences (53 %). Est-ce que ce sont des bonnes pistes ?

La connexion interpersonnelle, la restauration des liens sociaux, ce sont des choses majeures et qui ont été gravement altérées par la gestion de la pandemie. Elles continuent d'ailleurs de l'être avec le retour des discours anxiogènes liés à la dite septième vaque qui vont avoir à nouveau des effets délétères. Donc il faut bien évidemment restaurer le lien social, mais croire que c’est par le branding, le design des pubs, qu'on va le faire, ça participe évidemment du problème bien davantage que de la solution. Car cela veut dire que, précisément, nous sommes à court de solutions. L’article est un symptôme de cette dégradation. Les gens mettent en place des stratégies d’évitement de la réalité du monde.

On a une augmentation de la consommation d’anxiolytique, d’opiacés, etc. On augmente la médication psychiatrique des gens. Or ce sont des traitements avec des effets secondaires majeurs et globalement peu efficaces. Face à cela l’Etat propose quelques séances de psy, mais ce qu’il faut c’est repenser de fond en comble la politique de prise en charge. Mais rien ne change. Il faut changer la formation des médecins, la pratique. Et cela va prendre du temps. Ce qu’il faut faire dans l’immédiat, c’est changer les discours, mais cela n’arrive pas. Les logiciels de gestion du problème continuent à être les mêmes.

Qu’en est-il des nouvelles expériences et des changements de vie ?

C’est déjà ce qu’on observe, ne serait-ce qu’avec les mouvements géographiques de parties de la population qui quittent les grandes villes. On voit des gens qui quittent leur travail, des étudiants qui mènent un discours de rupture. Il y a des choses qui changent ou qui veulent évoluer et qu’il faut accompagner massivement pour préserver la santé mentale. Nous avons besoin d’un changement paradigmatique majeur. Le sentiment d'un ailleurs possible est très antidépresseur, mais ces ailleurs disparaissent à cause du Covid, des guerres, du réchauffement climatique, etc. qui donnent le sentiment que le monde se rétrécit progressivement sans plus aucun espace serein et anticipable.

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