Covid : mais qui tirera les leçons du rapport secret de l’IGAS sur les errances du ministère de la Santé ?<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Santé
Emmanuel Macron préside un Conseil de défense sanitaire, entouré de ses ministres, lors de la pandémie de Covid-19.
Emmanuel Macron préside un Conseil de défense sanitaire, entouré de ses ministres, lors de la pandémie de Covid-19.
©IAN LANGSDON / PISCINE / AFP

Gestion de la crise sanitaire

Un rapport de l'IGAS, dévoilé par Le Parisien, accable le gouvernement sur sa gestion de la crise du Covid-19.

Adélaïde Motte

Adélaïde Motte

Adélaïde Motte est journaliste à l'IREF. 

Voir la bio »
Charles Reviens

Charles Reviens

Charles Reviens est ancien haut fonctionnaire, spécialiste de la comparaison internationale des politiques publiques.

Voir la bio »

Atlantico : Le Parisien s’est procuré un rapport resté secret de l’IGAS concernant la gestion de la crise Covid par le ministère de la Santé. Quels sont les principaux apprentissages de ce document ? Que nous dit-il de la manière dont est géré le ministère de la Santé ?

Adélaïde Motte : Ce qu’on retient surtout, c’est que ce rapport de l’IGAS confirme ce qu’on savait déjà sur l’état de l’hôpital. Le CESE et la Cour des comptes l’ont déjà dit l’année dernière. Cela fait déjà plusieurs mois que l’on sait à quel point l’hôpital s’est mal adapté au Covid, et pourquoi. Le rapport de l’IGAS enfonce le clou et il fournit des nouveaux exemples : 25 organigrammes en quelques semaines, ça n’a pas de sens. Mais la suradministration, c’est un phénomène connu.

Charles Reviens : Séverine Cazes du Parisien présente dans le Parisien daté du 4 janvier un grand article sur un rapport de l’inspection générale des affaires sociales (IGAS) incluant un focus particulier sur l’impact du covid sur les EHPAD. Le rapport IGAS rédigé suite à une demande de juin 2020 d’Olivier Véran, alors Ministre des Solidarités et de la Santé, lui a été remis en novembre de la même année et a pour objet un « retour d’expérience (RETEX) du pilotage de la réponse à l’épidémie de Covid-19 par le ministère » afin de « tirer les leçons de manière constructive, collective et transparente », notamment en cas d’un rebond épidémique.

L’article qui n’omet pas la traditionnelle titraille générale agonisant la gestion publique « impréparation, désorganisation et circuit de décision peu lisible ». Il évoque tout les difficultés dans la gestion de crise : centre opérationnel de régulation et de réponse aux urgences sanitaires et sociales (Corruss) initialement sous-dimensionné, caractère improvisé et instable du centre de crise sanitaire avec une croissance massive des effectifs ne réunissant pas nécessairement les compétences adaptées à la situation et un changement permanent de l’organigramme. Il relate également la très forte centralisation des responsabilités autour du directeur général de la santé Jérôme Salomon (sans évoquer son comptage télévisuel quotidien et lugubre des décès lors de la première vague covid-19), les angoisses juridiques et de capacités de Santé Publique France pour la gestion de la pénurie de masques.

L’article annexe sur les EHPAD évoque la non-intégration immédiate de l’administration de tutelle des EHPAD (direction générale de la cohésion sociale) dans le dispositif de crise avec d’ailleurs deux structures concurrentes (pas plus ?), les retards et changements permanents des règles d’engagement relatifs aux tests pour ces établissements, la multiplication des recommandations et la non-prise en compte des spécificités du secteur médico-social pas les tutelles.

Comme 375 personnes semblent avoir été questionnées pour la production du rapport, la rétention de leurs propos n’exclut pas ragots, bruits de couloir et ressentiments au sein de la bureaucratie de l’avenue de Ségur. Il est également intéressant de noter les sujets non évoqués dans l’article et qui pouvait pourtant poser question lors de la crise sanitaire : le fait majeur que le pilotage de la saturation des services d’urgence des hôpitaux publics a été la principale variable d’ajustement de la gestion globale de la crise, ou la très faible articulation entre hôpital public et médecine de ville. Mais ces sujets n’étaient très probablement pas dans la commande du Ministre.

Comment expliquer que le ministère de la Santé se soit retrouvé dans des situations aussi problématiques ? Est-ce le symptôme d’un mal plus profond ?

Adélaïde Motte : Le ministère de la Santé, comme tous les autres, est engoncé dans le statut de la fonction publique. Cela empêche des adaptations utiles : licencier les incompétents, récompenser les meilleurs éléments, adapter les postes aux réalités, etc. Le système est inadapté à ce que devrait être un système de santé.

Charles Reviens : L’exécutif se voit en effet reprocher dans l’analyse du rapport IGAS par la journaliste du Parisien le manque de masques, le délai avant d’activer le centre de crise interministériel ou encore le maintien des élections municipales en mars 2020.

Il me semble que le caractère profondément inédit de la crise covid n’est pas fait suffisamment mentionné, avec un niveau d’appréhension beaucoup plus faible en Occident que de l’Asie du Sud où Sud-coréens, Japonais et Taiwanais avaient connu l’épisode du SARS qui leur avait permis en quelque sorte de préparer leurs écosystèmes sanitaires. Donc il y a dans le couple Parisien/IGAS une bonne dose de yakafokon nous amenant à rappeler que la critique est aisée mais l’art est difficile ou bien que la critique des gens qui agissent est facile surtout lorsqu’on connait le résultat des événements très incertains auxquelles les responsables ont dû faire face.

Rappelons que la performance globale de la France dans la crise sanitaire n’est pas fortement décalée par rapport à celle des autres pays occidentaux. Ce qui peut poser bien davantage question, c’est le fait que cette performance « moyenne » a été réalisée au prix d’atteintes tout à fait considérables au fonctionnement normal de la société et de l’économie avec en outre une prodigalité en matière des deniers publics qui n’a rien à voir avec par exemple celle la Suède qui a pourtant des résultats comparables voire meilleurs.

Mais on voit bien surgire dans le rapport plusieurs travers bien connus de l’écosystème français public contemporain : la suradministration (couts de coordination pour articulier agences régionales de santé, préfecture et conseils départementaux pour les EHPAD), le juridisme exacerbé (le contraire du « faites comme vous pouvez, dérogez aux règles en restant honnêtes, on ne viendra pas après vous chercher des poux » évoqué dans un témoignage), la gestion des compétences dans l’administration (absence de profils de type achat/supply chain pourtant critiques pour Santé Publique France).

L’article indique par ailleurs que le rapport IGAS a probablement été versé au dossier de l’enquête de la Cour de justice de la République (CJR). Donc tout cela contribue à renforcer la confusion délétère entre responsabilité judiciaire et responsabilité politique des responsables publics. Sur l’enjeu de la responsabilité politique, la question a d’ailleurs été tranchée avec la réélection finalement facile d’Emmanuel Macron, qu’on s’en réjouisse ou qu’on le déplore.

Il y a enfin de l’enjeu de la difficulté de l’innovation dans la sphère publique puisque les opérateurs privés ont pris beaucoup plus la lumière à l’occasion de cette crise, qu’il s’agisse de Doctolib ou des sites CovidTracker et Vite ma dose de Guillaume Rozier.

Vous parlez de suradministration, mais dans le même temps, jusqu’à mi-mars 2020, « le directeur général de la santé (DGS), directeur interministériel de la crise, assure une triple fonction : direction stratégique, direction scientifique et direction des opérations ». Comment expliquer ce paradoxe ?

Adélaïde Motte : Dans les hôpitaux, il y a effectivement des personnes qui font trop de choses, qui croulent sous le travail et ont trop de fonctions pour simplement eux-seuls ; mais en même temps certains n’ont pas grand-chose à faire de leur journée. Un nombre non-négligeable de fonctionnaires avait déclaré ne pas savoir exactement ce qu’il faisait à son poste. Cela provoque une suradministration ET un manque de personnel. Les crédits qui seraient nécessaires sont utilisés par des personnes qui ne savent pas ce qu’elles ont à faire.

Quelles ont été les conséquences concrètes ?

Adélaïde Motte : Cela a mené à des décisions contestables. Le troisième confinement a été décidé car nous n’avions plus de place en réanimation alors même que les cas critiques n’étaient pas particulièrement nombreux. Des mesures ont été prises avec des conséquences économiques et psychologiques par manque d’actualisation du système. Cela a sans doute dû provoquer des morts ou des pertes de chance.

Peut-on espérer que les leçons de ce rapport seront tirées ? Qui en aurait le courage ?

Adélaïde Motte : Je ne suis pas très optimiste sur ce point. Les solutions, pour enlever la suradministration, demandent de retirer les postes. Cela ne peut se faire sans la montée au créneau de ceux qui pourraient perdre leur poste.

Nous devrions nous inspirer de ce que fait l’Allemagne, avec son recours aux cliniques privées. La France est hostile aux cliniques privées. donc les solutions existent mais la France ne veut pas les utiliser. Donc résoudre les problèmes actuels demanderait de changer de paradigmes et d’idées. Et je doute que nous ayons le courage de le faire. 

Charles Reviens : Seul l’avenir le dira. On peut toutefois remarquer qu’a eu lieu qu’a eu lieu l’été 2020 après le premier confinement un « Grenelle de la Santé » qui s’est focalisé exclusivement sur les questions des moyens et des rémunérations sans aucune décision en ce qui concerne la transformation systémique d’un écosystème sanitaire hexagonal qui est pourtant apparu plusieurs fois très fatigué et à bout de souffle à l’occasion de la crise covid-19.

Les événements relatés dans l’article et le rapport ne font que se rajouter à une collection d’événements attestant les profondes fragilisation et remises en cause d’acquis français considérés durablement comme très solides et très enviés ailleurs, comme les écosystèmes éducatifs et énergétiques.

Mais toute cela ne provoque pour le moment aucune révolte positive générant l’énergie nécessaire au redressement. Comme le constate Jérôme Fourquet dans un récent article du Figaro, se produit au contraire un désinvestissement et une léthargie politiques affaiblissant les responsables élus qui subissent par exemple une concurrence en pertinence et en crédibilité de la part des responsables de la grande distribution, acteurs médiatiques majeurs à l’époque de la vie chère et des pénuries à répétition.

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !