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Covid-19 - Hallucinations: l’épidémie révèle les séquelles neuro-psychologiques dues à la réanimation
©RODRIGO BUENDIA / AFP

Dysfonctionnements cérébraux

Suite à l’admission en réanimation, les effets de la réanimation sont parfois plus graves que la maladie en elle-même. Le Covid-19 créé des hallucinations traumatiques chez les personnes qui le contracte.

Stéphane Gayet

Stéphane Gayet

Stéphane Gayet est médecin des hôpitaux au CHU (Hôpitaux universitaires) de Strasbourg, chargé d'enseignement à l'Université de Strasbourg et conférencier.

 

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Atlantico : De nombreux patients atteint de coronavirus et pris en charge à l’hôpital ont été contraints de respirer à l’aide d’une ventilation assistée. Lorsqu’ils racontent leur expérience à la sortie, un grand nombre d’entre eux racontent avoir fait l’expérience d’hallucinations. À quoi est-ce dû ?

Stéphane Gayet : En France, nous faisons une distinction nette entre, d’une part les soins continus – longtemps appelés soins intensifs – et la réanimation. Or, dans les pays anglophones, on parle de « soins intensifs » pour évoquer la réanimation : il faut être vigilant sur ce point, lorsqu’on lit des articles en anglais ou en français traduit de l’anglais.

En principe, en France, la frontière entre les soins continus et la réanimation est marquée par l’assistance respiratoire invasive (invasif signifie agressif, pénétrant ; s’agissant de l’assistance respiratoire, c’est l’intubation trachéale ; car il existe également une assistance respiratoire non invasive, appelée « ventilation non invasive ou VNI » : il n’y a pas de sonde d’intubation dans la trachée, mais un masque étanche appliqué fermement sur le visage).

Dans les états pathologiques de haute gravité – qui peuvent avoir une origine traumatique, chirurgicale ou médicale -, on est contraint en général de soigner les patients en réanimation et de leur imposer une assistance respiratoire invasive (car la VNI est vite dépassée, insuffisante). L’assistance respiratoire invasive nécessite une intubation trachéale (mise en place d’une sonde d’intubation dans la trachée, en passant par le nez), qui nécessite une sédation (utilisation de médicaments qui diminuent le niveau de conscience et les douleurs), car c’est insupportable quand on est conscient (certains patients non suffisamment sédatés parlent de torture : le passage de la sonde dans le nez, dans le pharynx et le larynx est douloureux, et le fait de subir une ventilation forcée est très pénible).

Les patients qui sont sous ventilation assistée invasive en réanimation sont triplement agressés : premièrement, la cause de leur état grave (maladie infectieuse, vasculaire ou métabolique ; traumatisme grave ; intervention chirurgicale lourde et compliquée) ; deuxièmement, l’assistance respiratoire invasive qui est une technique agressive ; troisièmement, les médicaments injectables puissants que l’on est contraint de leur administrer, c’est en particulier la neurosédation (voir la deuxième partie). Or, cette triple agression a bien sûr d’importants effets délétères (néfastes pour la santé). Car la réanimation est un ensemble de techniques invasives qui permettent de maintenir en vie une personne qui, sans elles, mourrait inéluctablement ; mais elle laisse des séquelles.

Dans le cas d’une insuffisance respiratoire aiguë, au maximum un « syndrome de détresse respiratoire aiguë ou SDRA », il existe, malgré la ventilation assistée invasive, une hypoxémie (insuffisance d’oxygène dans le sang) et donc une hypoxie (insuffisance d’oxygène dans les tissus de l’organisme). Or, le cerveau est un gros consommateur d’oxygène : c’est lui qui souffre le plus en cas d’hypoxie et cette souffrance hypoxique est majorée par l’agression médicamenteuse, auxquelles il faut encore ajouter le stress situationnel : ces trois facteurs favorisent le « délire de réanimation » qui est fréquent.

Il est essentiel d’avoir à l’esprit le fait que les personnes mises en « coma artificiel » (plus ou moins profond) ne dorment pas : cet état n’a rien à voir avec un sommeil. Etant donné que l’on a tendance – pour une raison de toxicité – à alléger le plus possible ce coma artificiel, les malades perçoivent ce qui se passe autour d’elles et sur leur corps. Dans le délire de réanimation, il existe une perception déformée de la réalité, et toujours dans le sens négatif : la pose d’un cathéter veineux ou artériel est perçue comme le découpage d’un membre, un examen d’imagerie par scanner est perçu comme un passage dans un four, une toilette du cou est perçue comme une pendaison, etc. Ces délires d’interprétation sont à l’origine d’une souffrance psychique pendant la réanimation et qui persiste après la réanimation. Etant donné que ces malades sont plongés dans un coma artificiel, ils ne réagissent pas beaucoup lors de leur délire, mais celui-ci les marque de façon lourde et durable.

Avec la CoVid-19, ce délire de réanimation est particulièrement fréquent, car la réanimation est lourde et prolongée en raison de la gravité de l’atteinte pulmonaire. De plus, il est probable qu’un facteur supplémentaire intervienne : le neurotropisme (affinité pour le tissu nerveux) du virus SARS-CoV-2, qui est connu pour donner chez certains malades des troubles neurologiques sensoriels (altération du goût et de l’odorat) et des troubles cognitifs (intellectuels : confusion mentale, perturbations de la mémoire…).

Lorsque l’on va en réanimation pour une insuffisance respiratoire, on est mis sous respirateur et de nombreux narcoleptiques sont prescrits au patient. Pourquoi les utilise-t-on et quelles sont leurs conséquences ?

La neurosédation est une nécessité : il faut supprimer les perceptions douloureuses des malades et les plonger dans une sorte de coma artificiel – qui peut être léger ou au contraire profond -, afin qu’ils soient soulagés, calmes, dociles et peu conscients. Ce coma artificiel n’est pas un sommeil : la conscience est simplement diminuée.

La neurosédation - ce coma artificiel de profondeur variable - est obtenue grâce à une polymédication lourde et forcément toxique. Parmi les médicaments que l’on utilise, on peut citer : les hypnotiques sédatifs (le midazolam, dérivé des benzodiazépines ; l’étomidate, qui a une durée d’action brève) ; les morphiniques (la morphine et ses dérivés) et les opioïdes de synthèse (ils agissent comme la morphine - qui est un dérivé de l’opium – et avec une grande puissance : le sufentanil) et les anesthésiques généraux d’action rapide (le propofol ; la kétamine). On connaît mieux la toxicité de ces médicaments aujourd’hui, et l’on a tendance à en diminuer l’utilisation autant que possible.

La notion de narcose consiste en un état de conscience diminuée, provoqué par un médicament dit narcotique. Les médicaments qui ont une telle action (nécessitant une dose élevée) sont les barbituriques et les hypnotiques non barbituriques ; certains morphiniques et certains opioïdes de synthèse ont une action narcotique à dose suffisante.

Pour un réanimateur, le recours à ces médicaments puissants est toujours délicat. Il les utilise après avoir bien pesé leurs avantages et leurs inconvénients ; mais en général, la gravité de l’état du malade impose leur administration, et il s’agit alors de bien choisir les substances et de les administrer à la plus petite dose efficace et pendant la période la plus courte possible.

On peut supposer que le Covid-19 a lui aussi un tropisme neurologique, car certains patients atteints expérimentent la perte de goût ou des troubles de la mémoire. Y-a-t-il un risque de séquelles ?

Comme nous n’avons vu en première partie, ce neurotropisme du SARS-CoV-2 se confirme. Le délire de réanimation a donc plusieurs causes et il est connu depuis des décennies, indépendamment de la pandémie de CoVid-19. Ce neurotropisme ne fait qu’aggraver l’atteinte cérébrale, déjà inéluctable du fait de la réanimation lourde avec tout ce qu’elle implique.

A ce jour, nous n’avons pas assez de recul pour déterminer le pronostic des séquelles constatées à la sortie de réanimation d’un malade atteint d’une forme grave de CoVid-19.

L’atteinte encéphalique au cours des formes graves de CoVid-19 procède de trois mécanismes principaux : les micro thromboses et les macro thromboses artérielles et veineuses du cerveau ; l’infection des cellules nerveuses par le virus, car les récepteurs ACE-2 sont présents dans le cerveau (infection qui aboutit en général à la mort de la cellule) ; les phénomènes inflammatoires débordants liés à l’hyper stimulation du système immunitaire (œdèmes pouvant être sévères et même très graves).

Les séquelles laissées par les formes sévères de la CoVid-19 peuvent régresser et même disparaître pour certaines d’entre elles. Mais, lorsque survient un délire de réanimation, c’est un indice de mauvais pronostic concernant d’éventuelles séquelles cognitives (intellectuelles) : le risque de dysfonctionnements cérébraux durables est important. De fait, les patients qui sortent d’une réanimation pour CoVid-19 grave ne sont plus les mêmes : on les considère comme guéris, mais ils perçoivent bien qu’ils sont nettement diminués et fragiles ; en vérité, très peu pourront reprendre une activité professionnelle et certains conserveront un sérieux handicap. Oui, le risque de séquelle est important après réanimation lourde pour CoVid-19 et on aperçoit ici le coût humain et social à long terme de la pandémie. Décidemment, cette CoVid-19…

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