Covid-19 : quelles leçons tirer pour nous de la première (toute relative) flambée de l’épidémie en cours à Taïwan ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Un exercice organisé par le gouvernement taïwanais pour empêcher la propagation du coronavirus COVID-19, dans le district de Xindian, en mars 2020.
Un exercice organisé par le gouvernement taïwanais pour empêcher la propagation du coronavirus COVID-19, dans le district de Xindian, en mars 2020.
©Sam Yeh / AFP

Reprise épidémique

De nouveaux cas de Covid-19 ont contraint les autorités taïwanaises à instaurer des restrictions sanitaires. Taïwan fait toujours figure de bon élève sur la question de la gestion de la crise sanitaire. Les autorités taïwanaises ont décidé de prolonger l’alerte épidémique au niveau 3 jusqu’au 14 juin pour lutter efficacement contre ces nouveaux clusters.

Antoine Flahault

Antoine Flahault

 Antoine Flahault, est médecin, épidémiologiste, professeur de santé publique, directeur de l’Institut de Santé Globale, à la Faculté de Médecine de l’Université de Genève. Il a fondé et dirigé l’Ecole des Hautes Etudes en Santé Publique (Rennes, France), a été co-directeur du Centre Virchow-Villermé à la Faculté de Médecine de l’Université de Paris, à l’Hôtel-Dieu. Il est membre correspondant de l’Académie Nationale de Médecine. 

 

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Atlantico : Taïwan enregistre depuis début mai une flambée épidémique, si celle-ci est modérée elle contraste avec la situation du pays qui jusqu’à présent n’enregistrait quasiment aucun cas quotidien et jugulait parfaitement les clusters. Comment la stratégie de contrôle épidémique taïwanaise a-t-elle été bousculée ? La réduction du temps de quarantaine est-elle l'un des éléments les plus importants de cette remontée ? 

Antoine Flahault : Taïwan, avec ses 24 millions d’habitants peut s’enorgueillir d’avoir l’un des meilleur bilan sanitaire en matière de Covid-19, mais aussi social et économique de la planète depuis le début de la pandémie. Avec un total de 46 décès par Covid-19, le pays rapporte l’un des taux de mortalité (0.19) les plus faibles de l’OCDE, de près de 900 fois inférieur à celui rapporté par la France. En octobre dernier, les Taiwanais comptabilisaient 200 jours d’affilés sans la moindre contamination locale. Sur le plan social, la vie était presque « comme avant » durant les fêtes de Noël 2020, et le pays a connu très peu de mesures de confinement, très peu de fermetures d’écoles notamment. Sur le plan économique aussi, le pays a joui d’une situation très favorable puisque son PIB a connu une croissance positive en 2020 de près de 3% alors que l’Union Européenne s’enfonçait dans l’une des pires récessions de l’après-guerre (-8,3% en France pour la même période). Mais Taïwan fait face aujourd’hui à la pire pression qu’il ait connu de la part du coronavirus et rapporte l’un des taux de reproduction les plus élevé du monde en ce moment (R effectif > 1,6 depuis début mai). Tout cela semble parti d’un cluster qui s’est déclaré dans la zone aéroportuaire de Taipei, avec l’importation de cas par les équipages et la contamination des personnels des hôtels dédiés à leur accueil à l’aéroport. Avec plus de 600 nouveaux cas par jour, et une prévision à une semaine de près de mille cas, si le nombre de nouvelles contaminations demeure faible dans le pays, inférieur à 4 cas pour 100 000 habitants, la progression exponentielle actuellement observée est prise très au sérieux par les autorités. L’un des piliers de la stratégie « zéro Covid » mise en œuvre depuis le tout début de la pandémie par les Taïwanais reposait sur un contrôle sanitaire aux frontières efficace, avec la fermeture des frontières lorsque la situation l’exigeait. Cette stratégie avait fonctionné avec grande satisfaction jusqu’à présent, ayant été appliquée avec beaucoup de rigueur sur tous les passagers arrivant sur l’île. Comme on a pu le constater en Nouvelle-Calédonie et à Wallis et Futuna (deux territoires français qui ont aussi adopté une stratégie de type « zéro Covid »), le talon d’Achille de cette stratégie est souvent constitué par les équipages des compagnies aériennes qui peuvent ramener le virus au retour de leurs escales à l’étranger et qui sont l’objet d’une attention moindre que les passagers des mêmes avions. Des équipages Taïwanais de retour des USA ont ainsi ramené le virus sur l’île, et la faible durée de leur quarantaine ramenée à 3 jours pour des raisons économiques, semble avoir représenté un danger qui devrait pouvoir être rapidement contrôlé à l’avenir, maintenant que le risque est repéré.

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Le pays semble ne pas être équipé pour un tester/tracer/isoler à grande échelle, de ce fait, cette reprise épidémique est-elle inquiétante ?

Le pays n’a jamais connu de saturation de son système de santé. C’est l’un des pays développé qui a le moins testé, parce qu’il n’y avait pas de circulation du virus sur le territoire ! Le pays a enregistré moins de décès par Covid-19 que durant l’épidémie de SRAS en 2003 (75 décès à l’époque). En revanche, l’intolérance des autorités à la moindre circulation du virus les a conduit à dépister systématiquement toutes les chaînes de transmission, à séquencer les cas positifs pour leur permettre de relier les cas entre eux et casser plus rapidement et plus efficacement les démarrages de clusters. Taïwan a recours de manière très intensive aux traces digitales des habitants, comme dans de nombreux pays asiatiques. Ils utilisent une application qui avait été développée pour retrouver les victimes potentielles des tremblements de terre, donc avec une acceptation et une culture bien ancrée de la population. Taïwan est un pays très développé qui serait en mesure de déployer rapidement l’infrastructure dont elle aurait besoin en cas d’explosion épidémique.

Que peut-on retirer des réussites du modèle taïwanais ? À quels comportements et décisions faut-il prendre garde au vu de cette flambée épidémique?

Personne ne peut crier victoire dans cette pandémie tant qu’elle n’est pas terminée. Les pays asiatiques comme les autres sont soumis à la pression du virus, et l’émergence de variants toujours plus transmissibles ne favorise pas son contrôle. Par ailleurs, un autre problème que rencontre Taïwan est la lenteur de sa campagne de vaccination (1,4% de la population a reçu au moins une dose), qui semble avoir été freinée par le conflit qui les oppose à la Chine continentale, rendant la population entièrement sensible au virus et d’une très grande vulnérabilité à ses attaques aujourd’hui. Mais Taïwan a su mettre en œuvre une stratégie zéro-Covid qui s’est avérée très efficace pendant près de 18 mois, bien avant qu’un vaccin soit disponible. Une des caractéristiques de cette stratégie est l’aversion des autorités pour le risque que représente la circulation du virus sur le territoire. Donc chaque virus est considéré comme un ennemi à rechercher. Les procédures de recherche du coronavirus relèvent presque d’enquêtes criminelles. Le tueur que l’on traque c’est le virus. Les porteurs du virus sont alors assimilables aux véhicules qu’utilisent les criminels pour commettre leurs larcins ou dans leur fuite. Leur identité est analogue aux plaques d’immatriculation enregistrées dans les fichiers de police et leurs traces digitales aux passages que laissent ces véhicules aux péages ou aux stations-services. On ne prend pas de tels moyens en Europe pour rechercher les contacts des cas. En France, les autorités prennent des mesures de confinement lorsque le système de santé est au bord de la saturation après de longs mois de circulation du virus sur le territoire déjà largement ensemencé. Les pouvoirs publics occidentaux assument volontiers un plateau élevé de nouvelles contaminations de plusieurs dizaines de milliers de cas par jour. À Taïwan, la détection d’un seul cas de contamination autochtone lance le branle-bas de combat. Grâce à cela, on peut penser que la rapidité de leur réaction permettra de juguler précocement le départ d’épidémie et l’image de la lutte contre les feux de forêt prend ici tout son sens. Pris très tôt, le départ d’incendie s’éteint avec un saut d’eau voire un extincteur ; un peu plus tard il faut envoyer les Canadairs ; si l’on attend trop, les pompiers devront intervenir jours et nuits pendant longtemps pour venir à bout du sinistre, avec les dégâts que l’on connaît.

Le Japon, qui a une politique un peu similaire à celle de Taïwan, a connu deux vagues épidémiques récentes, mais aucune n’est montée au-dessus de 6000 nouvelles contaminations par jour. Pour un pays de plus de 126 millions d’habitants (près du double de la France), cela veut dire que dans les pays qui adoptent de telles stratégies, le sommet des vagues qu’ils acceptent sont au-dessous du niveau de la décrue que visent les Européens

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