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Le discount alimentaire de qualité n’existe pas.
Le discount alimentaire de qualité n’existe pas.
©Reuters

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Du foie gras sur toutes les tables de Noël ? Les produits haut-de-gamme, réservés jusqu'à récemment aux classes aisées, fleurissent dans les rayons discount. Sauf que pour atteindre ces prix, les industriels jouent, entre autres, sur la qualité des matières premières.

Pascal Perri

Pascal Perri

Pascal Perri est économiste. Il dirige le cabinet PNC Economic, cabinet européen spécialisé dans les politiques de prix et les stratégies low cost. Il est l’auteur de  l’ouvrage "Les impôts pour les nuls" chez First Editions et de "Google, un ami qui ne vous veut pas que du bien" chez Anne Carrière.

En 2014, Pascal Perri a rendu un rapport sur l’impact social du numérique en France au ministre de l’économie.

Il est membre du talk "les grandes gueules de RMC" et consultant économique de l’agence RMC sport. Il commente régulièrement l’actualité économique dans les décodeurs de l’éco sur BFM Business.

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Jean-François Narbonne

Jean-François Narbonne

Jean-François Narbonne est l'un des experts de l'ANSES, l'Agence nationale de sécurité sanitaire, professeur de Toxicologie, expert pour l’affaire du Chlordécone.

Il est par ailleurs professeur à l'Université de Bordeaux 1 et docteur en nutrition.

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Atlantico : A l'approche de Noël, les offres concernant les produits alimentaires comme le foie gras, ou encore le saumon à des prix imbattables. Comment s'organisent les systèmes de production pour se permettre de faire du hard-discount sur des produits nobles à la base ? Où se situent les économies réalisées ?

Jean-François Narbonne : Sur les produits festifs qui sont à l’origine des produits coûteux un prix bas est obtenu par une industrialisation de la production (saumon, foie gras, crevettes) ou par un changement de composition avec des ingrédients moins nobles (œufs de lump à la place du caviar, graisse végétale à la place du beurre de cacao dans le chocolat, surimi coloré à la place de civelles) ou dilution avec des composés simples (huile pour le tarama ou agar pour le caviar).

En dehors donc de la substitution classique de matière noble par des substances plus basiques, la diminution du prix s’obtient par des modifications des conditions d’élevage pour des produits animaux. La solution la plus classique est une densification de l’élevage (saumon, dinde, crevette) avec la dégradation de la qualité conséquente et le recours à des produits chimique pour lutter contre le développement de maladies ou de parasites lié inévitablement à la densification et la séquestration (antibiotiques, biocides, désinfectants). Pour l’élevage on peut aussi essayer de diminuer le prix de l’aliment avec comme limite le rendement de la production. Par exemple, on peut changer la nature de la matière grasse (huiles insaturées fragiles par huile plus saturée) ou l’origine des protéines (protéines végétales à la place de protéines animales) ou encore changer la source de l’alimentation en donnant par exemple des déchets comme dans le cas des crevettes issues de certains pays plus ou moins exotiques. Evidemment une délocalisation de la production vers des pays où il n’y a pas de contrôles des composants ni des conditions d’élevage (incluant le bien être animal) ouvre la porte à ces dérives

Le cas du foie gras illustre bien ces dérives avec une forte délocalisation vers les pays de l’Europe de l’Est, un gavage par injection sous pression de pâte appelée semoulette dans des conditions de contraintes inacceptables avec une forte atteinte au bien être animal très loin des conditions traditionnelles qui se pratiquent encore dans des élevages familiaux du sud ouest. Pour augmenter le rendement on gave aussi les femelles donnant des foie plus "nerveux" de moins bonne qualité et destinés aux préparations homogénéisées.

Pascal Perri : Les économies réalisées proviennent d’abord des conditions de production. Dans l’essentiel des cas que vous évoquez, l’agro industrie joue sur les économies d’échelle. Les capacités de production sont élevées dans la mesure où les industriels adressent des marchés de masse. Ces entreprises jouent sur le coût marginal de production. Plus on produit, plus le coût de production d’une unité supplémentaire baisse.  L’environnement social est un autre levier de baisse des prix. Prenons le cas du foie gras produit en Hongrie. Non seulement l’homme est substitué par la machine pour le gavage des animaux mais  les salaires versés aux salariés sont sans rapport avec le coût du travail français. Troisième levier : la qualité intrinsèque du produit. Les foies gras industriels sont le produit de l’élevage intensif. On ne peut pas comparer la qualité de la matière première de ces produits avec nos foies gras du Périgord, du Gers ou d’Alsace. Enfin, ces produits sont présentés sous l’identité de marques blanches. Pas de frais de marketing ou de publicité. Comme ce sont des produits bons marchés, ils trouvent une place privilégiée dans les rayons de la grande distribution ou chez les Hard discounters, tous engagés dans une terrible guerre des prix de Noël.

Outre les matières premières, d'autres postes de dépenses comme la masse salariale peuvent faire varier le prix de vente des produits. Les employés français sont protégés par le code du travail, mais ceux des autres pays producteurs peuvent-ils compter sur le même type de protection ? 

Jean-François Narbonne : La délocalisation vers des pays plus pauvres amène aussi évidemment une diminution du coût de la main-d’œuvre (en général importante en élevage) et des infrastructures (par exemple absence de traitement des effluents avec un fort impact environnemental conséquent.

Evidemment la France dispose (encore malgré la diminution drastique des fonctionnaires et des budgets) de services publics de contrôle que ce soit sous les aspects qualité / fraude, que du bien-être animal ou des salariés.

Pascal Perri : Il existe en France une table type de Noël. Elle inclut du foie gras, du saumon fumé et quelques crustacés. Le foie gras vient de Hongrie ou d’Israël, les saumons fumés de fermes aquatiques d’Atlantique Nord où les animaux sont nourris avec des farines essentiellement animales et les crevettes sont souvent issues de l’élevage malgache où les coûts de main d’œuvre sont ridiculement bas. Je n’ai pas de chiffres précis pour chacun de ces produits, mais tout indique qu’une grande partie du prix payé par les consommateurs  couvre les frais de logistique, la rémunération de l’industriel et celle du distributeur. La valeur intrinsèque du produit représente moins de 20% du prix de vente.

Il faut distinguer les produits du hard discount alimentaire, les MDD, marques des distributeurs fabriqués en Europe de l’Ouest où le travail est encadré par des conventions collectives et des normes de sécurité alimentaire et de qualité sévères,  des autres  productions à bas prix dont le prix bas repose sur le dumping social et fiscal dans des espaces économiques peu codifiés. Le public serait sans doute surpris de découvrir les conditions d’élevage des animaux dans les exploitations industrielles et les conditions de travail, et parfois d’hygiène, dans certaines usines hors Europe. Les produits vendus par ces entreprises répondent dans le meilleur des cas au cahier des charges minimum des pays importateurs.

Il n’y a pas de mystère dans ce domaine. Le prix est une valeur étalon. Tout ceux qui pensent qu’on peut baisser les prix sans retenue et maintenir la qualité des produits et les revenus de ceux qui produisent sont au mieux des inconscients, au pire des menteurs. Le prix est un indice synthétique qui agrège les qualités fondamentales du produit vendu, les conditions de production et de distribution et une certaine valeur sociale. On peut ainsi continuer à se mentir. Mais plus nous importons ces produits, plus nous affaiblissons les filières françaises de production. Avec des écarts de prix du simple au double ou au triple, le consommateur perd la notion du prix équitable. Il en ressort une forte incompréhension, pour ne pas dire une grande confusion. Je voudrais aussi ajouter que ces produits très bons marchés exercent une pression indirecte sur les prix des meilleurs producteurs et font tendanciellement baisser tous les prix du marché, y compris ceux des produits de qualité.

Quoi qu’on en dise, les marques et les labels sont des garanties de qualité. Pas toujours des assurances tout risque. Mais prenons le cas du foie gras. La coopérative Delpeyrat installée dans le sud ouest de la France est parvenue à automatiser une partie de sa production. Elle certifie la traçabilité de ses produits et les conditions d’élevage des animaux ainsi (et c’est essentiel) que leur alimentation. Delpeyrat est une marque ancienne qui défend des valeurs de marque : le terroir, le territoire, le respect du temps (important dans l’élevage). Les savoirs faire y sont anciens et protégés. Je ne suis pas sur que les foies gras à marque blanche présentent les mêmes qualités. D’abord parce qu’une marque blanche n’a aucune réputation à défendre, ensuite par ce que sa seule logique est de vendre moins cher.

La période de Noël peut être l’occasion d’une prise de conscience. Elle nous (re)pose la question de la qualité et de la quantité de notre alimentation. Que voulons nous sur notre table ? Je suis loin d’être décroissant mais je défends un modèle plus frugal et plus qualitatif. Consommer moins de foie gras mais donner la priorité à des produits-plaisir derrière lesquels se trouvent des producteurs respectueux des règles de leur métier. Privilégier le goût, réduire le risque de mauvais produits. C’est sans doute plus facile à dire qu’à faire mais la France est un des derniers pays où la table est variée et globalement qualitative. Noel pourrait être l’occasion d’une piqure de rappel pour s’en souvenir…

Dans le domaine du textile, de nombreuses enseignes européennes ont été confrontées à des scandales médiatiques impliquant des prestataires étrangers. Ce type de pratique existe-t-il également dans l'agroalimentaire ?

Jean-François Narbonne : On a bien sûr vu dans le textile l’utilisation de substances chimiques interdites (colorants cancérigènes ou fongicides allergisants par exemple) les usages interdits en Europe peuvent exister dans des pays à faible niveau de contrôle. On trouve fréquemment ces pratiques pour les crevettes par exemple venant d’Amérique du sud ou de certains pays asiatiques pour ce qui concerne les biocides ou les agents de sanitation. On peut trouver aussi ces pratiques pour des élevages de poisson hors Europe. Des crises ont été liées à l’usage de produits chimiques interdits comme additifs ou ingrédients (on pense par exemple au colorant rouge utilisé pour colorer le cuir retrouvé dans des sauces, ou plus massivement à la mélamine utilisée en Chine dans le lait pour frauder sur la teneur en protéines). Pour le foie gras une fraude connue était le passage de la stéatose hépatique naturelle due à une inversion du rapport insuline/glucagon chez certains oiseaux migrateurs au moment du changement de la photopériode (automne) en association avec une diminution naturelle des facteurs lipotropes dans l’alimentation en utilisant du maïs de l’année précédente), par une stéatose pathologique induite par l’utilisation de substances hépatotoxiques (évidemment interdites en Europe).

Dans quelle mesure cette logique de production visant à réduire impérativement les dépenses peut-il porter atteinte à la qualité gustative des aliments ?

Jean-François Narbonne :Evidemment la dégradation des conditions de production affecte plus ou moins la qualité gustative des aliments, encore faut-il que le consommateur ait une éducation gustative lui permettant de reconnaitre les "bons produits". Le vin ou le café sont de bons exemples ou un certain entrainement ou éducation culturelle sont associés à la discrimination organoleptique des produits de qualité et des terroirs. L’abandon généralisé de l’éducation familiale dans ce domaine et la quasi absence de cette éducation à l’école entraine la perte des repères gustatifs chez les enfants qui seront donc incapables de discriminer un produit d’exception, uniquement sensibles aux saveurs de bases amenant à l’acceptation d’une alimentation industrialisée et standardisée. Un produit de luxe doit être d’exception à la fois par sa qualité que par la faible fréquence de sa consommation. On ne boit pas tous les jours un grand cru de Bordeaux. Pourquoi faudrait-il consommer tous les jours du foie gras. Par contre cette qualité exceptionnelle doit pouvoir être reconnue et appréciée comme telle. Par exemple, pour le foie gras ce que l’on appelle la tenue fait partie des critères de qualité et est liée justement au caractère non pathologique de la stéatose c’est-à-dire à l’intégrité des hépathocytes (cellules du foie) qui doivent stocker la graisse sans éclater et faire des ilots graisseux. Ces foies de mauvaise qualité serviront à faire des mousses ou autres préparations qui se liquéfieront dès la sortie du réfrigérateur. Le rapport protéines / graisse est un bon critère mesurable de qualité. Il faut aussi constater qu’un hygiénisme extrême ou des messages nutritionnels délirants aboutissent à la perte de repères gustatifs.  Que dire des aliments aseptisés consommés dans une cantine scolaire ou hospitalière fonctionnant en liaison froide ? Que dire aussi d’un côte de porc sans graisse "entrelardée" ? Or, précisément dans les viandes le goût est donné par la graisse, la fibre musculaire protéique étant sans saveur. La phobie du gras prônée par nos nutritionnistes fous pousse le consommateur (et donc l’éleveur) vers des animaux très peu gras qui donne une viande insipide. L’image d’un consommateur devant un filet de porc noir de Bigorre et un verre de Madiran devient une vision digne de l’enfer, alors que de voir un enfant devant un hamburger reconstitue avec 5% de graisse et 40% de protéines de soja buvant un soda light est considérée comme exemple vertueux !

Comment distinguer le juste milieu pour les consommateurs ? Les labels sont-ils toujours gage de qualité, ou a-t-on pu également observer des dérives ? Comment s'y retrouver ? Quelles sont les filières à éviter ?

Jean-François Narbonne : Il est évidemment difficile de se repérer pour être assuré d’avoir des produits festifs de qualité. Faire passer un produit basique comme exceptionnel uniquement en ayant un emballage attrayant est une arnaque vielle comme le monde. Le consommateur veut être assuré au contraire d’en avoir pour son argent, c’est-à-dire d’être assuré d’un certain rapport qualité/prix. Les labels rouges ou fermiers peuvent être des indicateurs (mais il y a de nombreuses exceptions). Le mieux évidemment est de connaitre les producteurs, par exemple en utilisant ses déplacements ou ses vacances pour visiter des terroirs et des producteurs. Au lieu de passer ses vacances dans un center parc aseptisé sous cloche pourquoi ne pas aller dans un gite à la ferme chez un producteur de fromage de foie gras, de vin ou d’huile d’olive. Même à l’occasion de voyages à l’étranger pourquoi rester au bord de la piscine alors qu’il y a un élevage de crevettes à proximité. On peut donc même sans grands moyens se constituer un réseau de fournisseurs comme le font à plus grande échelle certains grands restaurateurs.

Evidemment en dehors de ce cadre idéal il faut essayer de discriminer les bons produits. Le petit commerce (et pas forcément de luxe) peut être une source d’information sur les bons produits. Par exemple des cavistes qui vont sur place sélectionner leurs vins ont souvent l’opportunité de sélectionner d’autres produits de terroir (foie gras par exemple). On peut avoir aussi ce type d’expertise chez les bouchers ou les fromagers par exemple. On peut aussi avoir recours à des grandes marques qui engagent leur image. On n’a pas forcément le meilleur mais on a une certaine garantie de ne pas avoir le pire. Pour les élevages les pays ayant une grande tradition et expérience ont une chance plus grande de fournir de bons produits. Par exemple les Norvégiens ont de loin la plus grande expérience dans l’élevage du saumon, il en est de même pour Madagascar et ses crevettes. Des produits label rouge de Norvège ou de Madagascar correspondent en général à des produits de bonne qualité. Des produits de proximité sont souvent de meilleure qualité que des produits venant d’horizon lointains. Il est évident par exemple que le caviar de la Gironde est de bien meilleure qualité que le caviar de Chine servi malheureusement dans certains restaurants étoilés. Un aliment considéré comme banal mais d’une très bonne provenance peut être bien meilleur qu’un produit dit festif de mauvaise qualité. 2 œufs fermiers à la poêle accompagnés de ventrèche de porc noir de Bigorre avec du piment d’Espelette AOC accompagnés par un verre de Cigalus de la Clape est du « fast food » autrement meilleur que du mauvais foie gras hongrois. 

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